À la fin du poème, leurs mains levées retombaient sans force sur leurs genoux, leurs yeux se fermaient, et elles hochaient la tête comme pour signifier : « Il n’y a pas de mots pour le dire ; c’est trop beau, trop beau pour cette terre ».
Après que l’hymne eut été chantée en chœur, le révérend Sprague fit fonction de « bulletin paroissial » en communiquant une liste interminable d’avis de toutes sortes. En Amérique, malgré le développement considérable de la presse, cette coutume se maintient envers et contre tout, ce qui ne laisse pas d’être assez bizarre et fastidieux. Il en est souvent ainsi des coutumes traditionnelles. Moins elles se justifient, plus il est difficile de s’en débarrasser.
Le bulletin terminé, le révérend Sprague s’attaqua à la prière du jour. Quelle belle et généreuse prière, et si détaillée, si complète ! Le pasteur intercéda en faveur de l’église et de ses petits enfants de la congrégation ; en faveur des autres églises du village ; en faveur du village lui-même, du comté, de l’État, des fonctionnaires, des États-Unis, des églises des États-Unis, du Congrès, du Président, des fonctionnaires du gouvernement, des pauvres marins ballottés par les flots courroucés, en faveur des millions d’êtres opprimés par les monarques européens et les despotes orientaux, de ceux qui avaient des yeux et ne voulaient pas voir, de ceux qui avaient des oreilles et ne voulaient pas entendre, en faveur des païens des îles lointaines. Il acheva sa prière en souhaitant que ses vœux fussent exaucés et que ses paroles tombassent comme des graines sur un sol fertile. Amen.
Aussitôt, les fidèles se rassirent dans un grand froufrou de robes. Le garçon dont nous racontons l’histoire ne goûtait nullement cette prière. Il ne faisait que la subir, si seulement il y parvenait ! Son humeur rétive ne l’empêchait pas d’en noter inconsciemment tous les détails. Car il connaissait depuis toujours le discours et la manière du révérend. Il réagissait à la moindre nouveauté. Toute addition lui paraissait parfaitement déloyale et scélérate. Le thème général lui en était si familier que, perdu dans une sorte de rêverie, il réagissait seulement si une parole ou une phrase nouvelle frappait son oreille. Au beau milieu de l’oraison, une mouche était venue se poser sur le dossier du banc, en face de Tom. Sans s’inquiéter de ce qui se passait autour de lui, l’insecte commença sa toilette, se frotta vigoureusement la tête avec ses pattes de devant et se fourbit consciencieusement les ailes avec celles de derrière. La tentation était forte, mais Tom n’osait pas bouger car il craignait la vengeance céleste. Cependant à peine le pasteur eut-il prononcé le mot amen que la pauvre mouche était prisonnière. Par malheur, tante Polly s’en aperçut et obligea son neveu à relâcher sa victime.
Après la prière, le pasteur lut son texte, puis s’engagea dans un commentaire si ennuyeux que bien des têtes, bercées par son bourdonnement, se mirent à dodeliner. Et pourtant, il y parlait de foudre, de feu éternel et d’un nombre si réduit de prédestinés que la nécessité du salut ne paraissait plus si évidente. Tom comptait les pages du sermon. En sortant de l’église, il savait toujours en dire le nombre. Mais il pouvait rarement parler du contenu. Néanmoins, cette fois-ci, il s’y intéressa réellement pendant un court instant. Le pasteur dressait un tableau grandiose et émouvant de l’assemblée des peuples à la fin des temps, quand le lion et l’agneau reposeraient ensemble, et qu’un petit enfant les conduirait par la main. Mais ni l’enseignement, ni la morale, ni le côté pathétique de ce spectacle impressionnant ne le touchaient. Il ne pensait qu’au rôle éclatant joué par le principal personnage devant le concert des nations. Son visage s’éclaira. Il se dit qu’il aimerait être cet enfant. S’il s’agissait d’un lion apprivoisé, bien sûr. Mais le sermon devenant de plus en plus obscur, son attention se lassa et il tira de sa poche l’un des trésors dont il était le plus fier.
C’était un gros scarabée noir, aux mandibules formidables, qu’il avait baptisé du nom de « hanneton à pinces ».
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