Il est vrai que de 1908 à 1914, j’ai appartenu aux Camelots du Roi. En ces temps révolus, M. Maurras écrivait dans son style ce que je viens d’écrire – hélas ! – dans le mien. La situation de M. Maurras à l’égard des organisations bien-pensantes de l’époque – qui ne s’appelaient pas encore nationale – était précisément celle où nous voyons aujourd’hui. M. le colonel de La Rocque – on ne peut pas se le rappeler sans mélancolie. Nous n’étions pas des gens de droite. Le cercle d’études sociales que nous avions fondé portait le nom de Cercle Proudhon, affichait ce patronage scandaleux. Nous formions des vœux pour le syndicalisme naissant. Nous préférions courir les chances d’une révolution ouvrière que compromettre la monarchie avec une classe demeurée depuis un siècle parfaitement étrangère à la tradition des aïeux, au sens profond de notre histoire, et dont l’égoïsme, la sottise et la cupidité avaient réussi à établir une espèce de servage plus inhumain que celui jadis aboli par nos rois. Lorsque les deux Chambres unanimes approuvaient la répression brutale des grèves par M. Clemenceau, l’idée ne nous serait pas venue de nous allier, au nom l’ordre, avec ce vieux radical réactionnaire contre les ouvriers français. Nous comprenions très bien qu’un jeune prince moderne traiterait plus aisément avec les chefs du prolétariat, même extrémistes, qu’avec des sociétés anonymes et des banques. Vous me direz que le prolétariat n’a pas de chefs mais seulement des exploiteurs et des meneurs, te problème était justement de lui donner des chefs, assurés que nous étions par avance qu’il n’irait pas respectueusement les demander à M Waldeck-Rousseau ou à M. Tardieu, qu’il ne les choisirait pas parmi des renégats du type de M. Hervé ou de M. Doriot. À la Santé, où nous faisions des séjours, nous partagions fraternellement nos provisions avec les terrassiers, nous chantions ensemble tour à tour : Vive Henri IV ou l’internationale. Drumont vivait encore à ce moment-là, et il n’v a pas une ligne de ce livre qu’il ne pourrait signer de sa main, de sa noble main, si du moins je méritais cet honneur. J’ai donc le droit de rire au nez des étourdis qui m’accuseraient d’avoir changé. Ce sont eux qui ont changé. Je ne les reconnais plus. Ils peuvent d’ailleurs changer sans risque, les témoins irrécusables sont presque tous sous la terre, et Dieu sait s’ils les font parler, les morts ! Quel bruit de volière !

Il y a une bourgeoisie de gauche et une bourgeoisie de droite. Il n’y a pas de peuple de gauche ou de peuple de droite, il n’y a qu’un peuple. Tous les efforts que vous ferez pour lui imposer du dehors une classification conçue par les doctrinaires politiques n’aboutiront qu’à créer dans sa masse des courants et contre-courants dont profitent les aventuriers. L’idée que je me fais du peuple ne m’est nullement inspirée par un sentiment démocratique. La démocratie est une invention d’intellectuels, au même titre, après tout, que la monarchie de M. Joseph de Maistre. La monarchie ne saurait vivre de thèses ou de synthèses. Non par goût, non par choix, mais par vocation profonde, ou, si vous préférez, par nécessité, elle n’a jamais le temps de définir le peuple, elle doit le prendre tel qu’il est. Elle ne peut rien sans lui. Je crois, j’écrirais presque je crains, qu’il ne puisse rien sans elle. La monarchie négocie avec les autres classes qui, par la complexité des intérêts qu’elles défendent et qui débordent le cadre national, seront toujours, en quelque mesure, des États dans l’État.. Vous me direz qu’ellel’oublie parfois. Alors elle meurt. Elle peut perdre la faveur des autres classes, il lui reste la ressource de les opposer les unes aux autres, de manœuvrer. Les besoins du peuple sont trop simples, d’un caractère trop concret, d’une nécessité trop pressante. Il exige du travail, du pain et un honneur qui lui ressemble, aussi dépouillé que possible de tout raffinement psychologique, un honneur qui ressemble à son travail et à son pain. Les notaires, huissier, avocats qui ont fait la révolution de 1793 s’imaginaient qu’on pouvait remettre indéfiniment la réalisation d’un programme aussi réduit.