Les illuminations

Les illuminations

Arthur Rimbaud

- Collection Poésie -

In Libro Veritas

Les illuminations

Arthur Rimbaud

Catégorie : Poésie

L'ensemble de ces poèmes aurait été remis à Verlaine en février 1875 à Stuttgart. Quelques mois plus tard, Verlaine transmet ce dossier de poèmes en prose qu'il n'appelle pas encore Illuminations à Germain Nouveau, selon le témoignage d'une lettre de Verlaine à Ernest Delahaye. En 1886, les Illuminations rassemblaient non seulement les poèmes en prose que nous connaissons sous ce titre, mais encore l'ensemble dit des Derniers vers. En 1895, c'est cet ensemble de proses et de vers que Verlaine a préfacé.



Source : Wikipedia

Art libre (lal)

     Le livre que nous offrons au public fut écrit de 1873 à 1875, parmi des voyages tant en Belgique qu'en Angleterre et dans toute l'Allemagne.

    Le mot Illuminations est anglais et veut dire gravures coloriées, - colored plates : c'est même le sous-titre que M. Rimbaud avait donné à son manuscrit.

    Comme on va voir, celui-ci se compose de courtes pièces, prose exquise ou vers délicieusement faux exprès. D'idée principale il n'y en a ou du moins nous n'y en trouvons pas. De la joie évidente d'être un grand poète, tels paysages féeriques, d'adorables vagues amours esquissées et la plus haute ambition (arrivée) de style : tel est le résumé que nous croyons pouvoir oser donner de l'ouvrage ci-après. Au lecteur d'admirer en détail.

    De très courtes notes biographiques feront peut-être bien.

    M. Arthur Rimbaud est né d'une famille de bonne bourgeoisie à Charleville (Ardenne) où il fit d'excellentes études quelque peu révoltées. A seize ans il avait écrit les plus beaux vers du monde, dont de nombreux extraits furent par nous donnés naguère dans un libelle intitulé les Poètes maudits. Il a maintenant dans les trente-deux ans, et voyage en Asie où il s'occupe de travaux d'art. Comme qui dirait le Faust du second Faust, ingénieur de génie après avoir été l'immense poète vivant élève de Méphistophélès et possesseur de cette blonde Marguerite !

    On l'a dit mort plusieurs fois. Nous ignorons ce détail, mais en serions bien triste. Qu'il le sache au cas où il n'en serait rien. Car nous fûmes son ami et le restons de loin.

    Deux autres manuscrits en prose et quelques vers inédits seront publiés en leur temps.

    Un nouveau portrait par Forain qui a connu également M. Rimbaud paraîtra quand il faudra.

    Dans un très beau tableau de Fantin-Latour, Coin de table, à Manchester actuellement, croyons-nous, il y a un portrait en buste de M. Rimbaud à seize ans.

    Les Illuminations sont un peu postérieures à cette époque.

    Paul Verlaine
Publié dans La Vogue
1886

    Aussitôt que l'idée du Déluge se fut rassise,

    Un lièvre s'arrêta dans les sainfoins et les clochettes mouvantes et dit sa prière à l'arc-en-ciel à travers la toile de l'araignée.

    Oh les pierres précieuses qui se cachaient, - les fleurs qui regardaient déjà.

    Dans la grande rue sale les étals se dressèrent, et l'on tira les barques vers la mer étagée là-haut comme sur les gravures.

    Le sang coula, chez Barbe-Bleue, - aux abattoirs, - dans les cirques, où le sceau de Dieu blêmit les fenêtres. Le sang et le lait coulèrent.

    Les castors bâtirent. Les « mazagrans » fumèrent dans les estaminets.

    Dans la grande maison de vitres encore ruisselante les enfants en deuil regardèrent les merveilleuses images.

    Une porte claqua, et sur la place du hameau, l'enfant tourna ses bras, compris des girouettes et des coqs des clochers de partout, sous l'éclatante giboulée.

    Madame *** établit un piano dans les Alpes. La messe et les premières communions se célébrèrent aux cent mille autels de la cathédrale.

    Les caravanes partirent. Et le Splendide Hôtel fut bâti dans le chaos de glaces et de nuit du pôle.

    Depuis lors, la Lune entendit les chacals piaulant par les déserts de thym, - et les églogues en sabots grognant dans le verger. Puis, dans la futaie violette, bourgeonnante, Eucharis me dit que c'était le printemps.

    Sourds, étang, - Écume, roule sur le pont, et par-dessus les bois ; - draps noirs et orgues, - éclairs et tonnerre, - montez et roulez ; - Eaux et tristesses, montez et relevez les Déluges.

    Car depuis qu'ils se sont dissipés, - oh les pierres précieuses s'enfouissant, et les fleurs ouvertes ! - c'est un ennui ! et la Reine, la Sorcière qui allume sa braise dans le pot de terre, ne voudra jamais nous raconter ce qu'elle sait, et que nous ignorons.

    I

    Cette idole, yeux noirs et crin jaune, sans parents ni cour, plus noble que la fable, mexicaine et flamande ; son domaine, azur et verdure insolents, court sur des plages nommées, par des vagues sans vaisseaux, de noms férocement grecs, slaves, celtiques.

    À la lisière de la forêt - les fleurs de rêve tintent, éclatent, éclairent, - la fille à lèvre d'orange, les genoux croisés dans le clair déluge qui sourd des prés, nudité qu'ombrent, traversent et habillent les arcs-en-ciel, la flore, la mer.

    Dames qui tournoient sur les terrasses voisines de la mer ; enfantes et géantes, superbes noires dans la mousse vert-de-gris, bijoux debout sur le sol gras des bosquets et des jardinets dégelés - jeunes mères et grandes sœurs aux regards pleins de pèlerinages, sultanes, princesses de démarche et de costume [,] tyranniques petites étrangères et personnes doucement malheureuses.

    Quel ennui, l'heure du « cher corps » et « cher cœur ».

    II

    C'est elle, la petite morte, derrière les rosiers. - La jeune maman trépassée descend le perron - La calèche du cousin crie sur le sable - Le petit frère - (il est aux Indes !) là, devant le couchant, sur le pré d'oeillets. - Les vieux qu'on a enterrés tout droits dans le rempart aux giroflées.

    L'essaim des feuilles d'or entoure la maison du général. Ils sont dans le midi. - On suit la route rouge pour arriver à l'auberge vide. Le château est à vendre ; les persiennes sont détachées. - Le curé aura emporté la clef de l'église. - Autour du parc, les loges des gardes sont inhabitées. Les palissades sont si hautes qu'on ne voit que les cimes bruissantes.