Elle est charmante, vous êtes beau garçon. Vous êtes pauvre, j'ai de l'aisance pour deux. Vous êtes ouvrier, mon père l'était. De quoi diable vous étonnez-vous si fort? Ne dirait-on pas d'un conte de fées?

Ces bienveillantes paroles ne mirent pas terme à la stupeur de Georges, qui se croyait réellement en plein conte de fées, ainsi que l'avait dit le marchand; aussi, les yeux humides, le cœur palpitant, le jeune homme ne put que balbutier:

—Ah! monsieur... pardonnez à mon trouble... mais j'éprouve un tel étourdissement de bonheur en vous entendant dire... que vous consentez à mon mariage...

—Un instant!—reprit vivement M. Lebrenn,—un instant! Remarquez que, malgré ma bonne opinion de vous, j'ai dit nous serions décidés à vous prendre pour gendre... Ceci est conditionnel... et les conditions, les voici: la première, que vous n'auriez pas à vous reprocher la séduction indigne... dont on vous accusait...

—Monsieur, ne vous ai-je pas juré?...

—Parfaitement; je vous crois. Je ne rappelle cette première condition que pour mémoire... quant à la seconde... car il y en a deux.

—Et cette condition, qu'elle est-elle,—monsieur? demanda Georges avec une anxiété inexprimable et commençant à craindre de s'être abandonné à une folle espérance.

—Écoutez-moi, monsieur Georges. Nous avons peu parlé politique ensemble; du temps que vous travailliez chez moi, nos entretiens roulaient sur tout, sur l'histoire de nos pères. Cependant je vous sais des opinions très-avancées..... Tranchons, le mot, vous êtes républicain socialiste...

—Je vous ai entendu dire, monsieur, que toute opinion sincère était honorable...

—Je ne me dédis pas. Je ne vous blâme pas; mais entre le désir de faire prévaloir pacifiquement son opinion et le projet de la faire triompher par la force, par les armes... il y a un abîme, n'est-ce pas, monsieur Georges?

—Oui, monsieur,—répondit le jeune homme en regardant le marchand avec un mélange de surprise et d'inquiétude.

—Or, ce n'est jamais individuellement que l'on tente une démonstration armée, n'est-ce pas, monsieur Georges?

—Monsieur,—répondit le jeune homme avec embarras,—je ne sais...

—Si, vous devez savoir qu'ordinairement l'on s'associe à des frères de son opinion; en un mot, on s'affilie à une société secrète... et le jour de la lutte... on descend courageusement dans la rue, n'est-ce pas, monsieur Georges?

—Je sais, monsieur, que la révolution de 1830 s'est faite ainsi,—répondit Georges, dont le cœur se serrait de plus en plus.

—Certainement,—reprit M. Lebrenn,—certainement, elle s'est faite ainsi, et d'autres encore se feront probablement ainsi. Cependant, comme les révolutions, les insurrections, ne réussissent pas toujours, comme ceux qui jouent ce jeu-là y jouent leur tête, vous concevrez, monsieur Georges, que ma femme et moi nous serions peu disposés à donner notre fille à un homme qui ne s'appartient plus, qui, d'un moment à l'autre, peut prendre les armes pour marcher avec la société secrète dont il fait partie, et risquer ainsi sa vie en homme d'honneur et de conviction. C'est très-beau, très-héroïque, je le confesse. L'inconvénient est que la chambre des pairs, appréciant mal ce genre d'héroïsme, envoie au mont Saint-Michel les conspirateurs, à moins qu'elle ne leur fasse couper la tête. Or, je vous le demande en bonne conscience, monsieur Georges, ne serait-ce pas triste, pour une jeune femme, d'être exposée un jour ou l'autre à avoir un mari sans tête ou prisonnier à perpétuité?

Georges, abattu, consterné, était devenu pâle. Il dit à M. Lebrenn d'une voix oppressée:

—Monsieur... deux mots...

—Permettez, dans l'instant j'ai fini,—reprit le marchand, et il ajouta d'une voix grave, presque solennelle:

—Monsieur Georges, j'ai une foi aveugle dans votre parole, je vous l'ai prouvé; jurez-moi que vous n'appartenez à aucune société secrète, je vous crois, et vous devenez mon gendre... ou plutôt mon fils,—ajouta M.