La plupart des guerriers envoyés
par le Comte de Paris pour la défense de l’abbaye avaient, plutôt
par curiosité que par pitié, suivi dans l’église la procession
mortuaire. Ces gens de guerre, farouches, grossiers, aussi
mécréants que les North-mans et les Arabes, s’étaient brutalement
frayé passage jusqu’aux abords du chœur, où gisait le corps de
l’abbesse, entouré de ses nonnes. Peu touchés du caractère
religieux de la cérémonie et de la majesté du saint lieu, ces
soldats attachaient leurs regards licencieux sur les filles du
Seigneur, dont ils tâchaient de distinguer les traits à travers la
transparence de leurs voiles baissés ; agenouillé auprès de
l’une d’elles qui, aussi à genoux et le front penché, semblait
dévotement prier, Sigefred, chef de ces gens de guerre, osa serrer
le coude de la sainte fille ; elle tressaillit, mais resta
muette. Enhardi par ce silence, et soulevant doucement le voile qui
du sommet de la tête de la nonne tombait jusqu’à sa ceinture,
Sigefred eut l’audace de glisser une main profane sous l’échancrure
du col de la robe, afin de palper à nu les épaules de la
religieuse ; mais à peine eut-il commis cette indignité, qu’il
retira vivement sa main comme s’il eût touché un charbon ardent, et
s’écria stupéfait : – Par le diable ! cette nonne a une
peau de fer ! – Sigefred n’ajouta pas une parole ; il
tomba la gorge traversée d’un coup de poignard que lui porta la
nonne à la peau de fer ; les autres guerriers restèrent un
moment pétrifiés en voyant que sous les longues et larges manches
de sa robe noire, cette religieuse avait en effet des bras et des
mains dont l’épiderme semblait de fer, recouvertes qu’elles étaient
d’un souple et fin tissu de mailles d’acier.
– Miracle ! – crièrent quelques-uns
des témoins de l’impudique tentative de Sigefred. – Miracle !
le Seigneur défend la pudeur de ses vierges en les couvrant d’une
peau de fer !
– Trahison ! – s’écrièrent les
guerriers moins crédules en tirant leurs épées. – Ces nonnes sont
des soldats habillés en femmes ! Trahison ! Aux
armes ! aux armes ! vengeons Sigefred !
– Skoldmoë ! – s’écria tout à coup
d’une voix retentissante l’abbesse dont on chantait les
funérailles… en se dressant de toute la hauteur de sa grande
taille ; se débarrassant de son voile, laissant tomber à ses
pieds sa robe noire, SHIGNE, la vierge-au-bouclier,
apparut dans son armure guerrière, son fier visage encadré d’une
résille de mailles de fer qui remplaçait son casque. –
Skoldmoë ! – s’écria-t-elle en répétant son cri de guerre, –
debout mes vierges ! pitié pour les femmes ! exterminez
les hommes ! – Et brandissant une hache à deux tranchants,
elle bondit comme une panthère, et abattit à ses pieds l’un des
guerriers franks qui s’élançait sur elle.
– Skoldmoë ! – répétèrent les autres
vierges-aux-boucliers en se débarrassant de leurs voiles, de leurs
robes, et comme la belle Shigne, elles chargèrent les guerriers à
coups de hache et d’épée. Les fidèles, naguère en prières, éperdus,
fuyaient vers les portes de la basilique, les moines se cachaient
derrière les mausolées des tombes royales ou embrassaient les
autels, leur dernier refuge ; les voûtes de l’église
retentissaient de cris de terreur, de gémissements, d’invocations
suprêmes. Sœur Agnès, qui avait introduit les femmes pirates dans
l’abbaye, s’écriait, les yeux étincelants, la joue enflammée :
– Vengeance ! exterminez l’abbé ! Il y a un mois
j’ai surpris son commerce criminel avec la nièce de notre
abbesse ; elle et lui m’ont fait torturer et jeter dans un
cachot ! Cette nuit, les femmes des North-mans ont envahi
notre couvent, guidées par un de nos serfs révoltés ; j’ai
consenti avec joie à servir la ruse de ces diablesses pour me
venger de l’abbé… Cherchez-le ! exterminez-le !
Les paroles de sœur Agnès se perdirent au
milieu du tumulte des armes ; les guerriers, plus nombreux que
les femmes pirates, tâchaient de les rejoindre à travers la foule
épouvantée ; mais la nouveauté de ce combat avec des
guerrières dont quelques-unes étaient belles, étonnait les plus
jeunes de ces soldats ; involontairement ils hésitaient
parfois à frapper ces vierges ; celles-ci, animées par
l’exemple de Shigne, qui faisait rage à coups de hache, se
battaient héroïquement. Les vieux soldats, insensibles à l’émotion
que causait à quelques-uns de leurs compagnons cette lutte à mort
contre des guerrières, les attaquaient avec acharnement, furieux de
trouver tant de force, tant de courage dans des adversaires
féminins. Plusieurs compagnes de Shigne furent tuées, d’autres
blessées ; elles ne semblaient pas sentir leurs blessures, et
combattaient avec une ardeur croissante. Les fuyards se
précipitaient hors de la basilique par toutes les issues ;
plusieurs d’entre eux faillirent renverser Fultrade, qui, de retour
de la mission dont l’avait chargé le Comte de Paris, accourait à
l’église, attiré par le bruit de la bataille. Shigne n’avait pas
encore été blessée ; la joue empourprée, le regard flamboyant,
adossée au mausolée du tombeau de Clovis, elle luttait
intrépidement contre deux vieux guerriers franks, dont l’âge
n’avait pas affaibli la vigueur ; l’héroïne faisait tournoyer
son arme d’une main si forte, si agile, que sa hache, en écartant
les épées de ses deux adversaires, faisait parfois jaillir des
étincelles de ces chocs du fer contre le fer. Dans cette attaque,
l’épée de l’un des guerriers fut brisée ; Shigne allait le
tuer, lorsque Fultrade, qui durant ce combat acharné s’était
glissé, tapi et caché derrière le mausolée de Clovis, auquel
s’adossait la vierge-au-bouclier, s’avança en rampant, et la saisit
brusquement aux jambes ; surprise par cette attaque
inattendue, elle chancelle et tombe renversée en poussant un cri de
rage. Dans sa chute, Shigne laisse échapper sa hache de ses mains,
les deux soldats franks se jettent sur la guerrière, et la tiennent
immobile malgré ses efforts désespérés.
– Skoldmoë ! – s’écria-t-elle, – à
moi, mes sœurs ! – Mais sa voix fut couverte par le
retentissement des armes et des armures, par les cris furieux que
poussaient les autres guerriers et les vierges-aux-boucliers, en
continuant de se battre ou se poursuivant sous les sombres arceaux
de la basilique. En vain l’héroïne appelait ses compagnes ;
Fultrade, agenouillé près d’elle pour aider les deux guerriers à
vaincre sa résistance, lui mit la main sur la bouche et étouffa ses
cris. Ainsi rapproché d’elle, et frappé de sa rare beauté, le
chantre, l’œil étincelant d’une luxure féroce, dit aux
soldats : – Compagnons, cette sorcière est jeune et belle,
entraînons-la dans la crypte de ce mausolée. – Puis il ajouta,
tressaillant de douleur en sentant sa main déchirée par les
blanches dents de Shigne : – Oh ! malgré tes morsures, tu
es à nous !
Les Franks poussèrent un éclat de rire sauvage
à l’infâme proposition de Fultrade ; protégés par l’ombre de
la nuit qui s’approchait, ils entraînèrent la guerrière dans un
caveau creusé selon l’usage sous le mausolée, réduit souterrain
incessamment éclairé par une lampe sépulcrale ; le chantre et
les deux soldats, malgré les efforts surhumains de la
vierge-au-bouclier, venaient de l’étendre sur les dalles de la
crypte, lorsqu’un bruit croissant, formidable que dominait ce cri
de guerre des pirates : – Koempe ! Koempe ! –
retentissant sous les voûtes de la basilique, arriva jusqu’au fond
du caveau. Fultrade et ses deux complices allaient se livrer aux
derniers outrages sur la belle Shigne ; mais entendant de
nouveaux cliquetis d’armes, ils cessèrent durant un instant
d’étouffer la voix de leur victime, alors elle s’écria de toutes
ses forces : – À moi, mes vierges ! à moi, mes
sœurs ! Skoldmoë ! Skoldmoë !
– Malédiction sur nous ! – dit le
chantre en prêtant l’oreille, – c’est le cri de guerre des
North-mans !
– Par où sont-ils entrés dans
l’abbaye ? – reprit un des soldats, – ces démons sortent-ils
de l’enfer ?
– À moi, mes vierges ! – s’écria de
nouveau la guerrière, que le chantre et ses complices tenaient
toujours sous leurs genoux, – à moi, mes sœurs !
Skoldmoë ! Skoldmoë !
À ces derniers mots répondit la voix sonore de
Gaëlo criant : – Shigne, me voilà ! me voilà ! – Et
presque aussitôt, le jeune pirate, son épée sanglante à la main,
parut à l’entrée du caveau, suivi de Simon-Grande-Oreille, de
Robin-Mâchoire et du serf qui avait amené à l’abbaye les deux
chariots remplis de fourrage ; tous hurlaient : –
Koempe ! À mort ! à sac ! pillage !
pillage ! – À la vue de ce renfort inattendu, Fultrade et ses
complices entre les bras de qui l’héroïne se débattait,
l’abandonnèrent ; elle se releva, saisit l’épée que l’un des
soldat avait jetée en entrant dans le caveau, la plongea dans la
poitrine du chantre ; et encore toute frémissante de rage et
de honte, plus furieuse encore de voir Gaëlo presque témoin de la
violence qu’elle avait failli subir, elle se précipita l’épée haute
sur le jeune pirate, en lui criant, courroucé : – Je te tuerai
ou tu me tueras, Gaëlo ! un homme, moi vivante, ne dira pas
qu’il m’a vue exposée aux derniers outrages. – Ce disant, la
guerrière chargea le pirate avec furie. Stupéfait de cette brusque
attaque de la part d’une femme au secours de laquelle il accourait,
Gaëlo se contenta d’abord de parer les coups, en disant : –
Shigne, pourquoi cette colère ? Je venais à ton
aide !
– Oui… C’est là ma honte, et tu le
payeras de ta vie ! – reprit la vierge-au-bouclier en
redoublant l’impétuosité de ses attaques ; – défends-toi,
sinon je te balafre au visage !
Gaëlo, quoique exaspéré par la fierté farouche
de la guerrière, se bornait à parer ses attaques, hésitant à la
combattre résolument, mais elle l’atteignit au visage ; alors
il se précipita sur elle en s’écriant : – Tu l’as voulu, femme
indomptable ! tu me tueras ou je te tuerai ; ta présence
ne causera plus mon supplice !
Et Gaëlo combattit la belle Shigne avec
acharnement. Simon-Grande-Oreille et Robin-Mâchoire, après avoir
tué sur le corps de Fultrade les deux guerriers réfugiés dans la
crypte du tombeau de Clovis, se disaient : – Ainsi, ces
nonnains qui venaient gémir à la porte de l’abbaye pendant que nous
nous tenions cachés dans les chariots de fourrage, usaient comme
nous de stratagème pour s’introduire ici ?
– Ah ! Simon, – répondit Robin en
montrant l’héroïne et Gaëlo qui se battaient avec un redoublement
de fureur, – quel dommage ! un si beau garçon et une si belle
fille chercher à s’entre-tuer !
– Et s’ils survivent ils se chériront
clopin-clopant, car dans leur rage, ils perdront quelque
membre ; vois quels coups ils se portent !
Les deux pirates retenus par l’aspect de cette
lutte étrange engagée derrière le mausolée de Clovis, ne se
joignirent pas pendant quelques moments à la mêlée qui plus loin
continuait sous les voûtes de la basilique. Une réserve de
guerriers franks postés sur les remparts et n’ayant pas pris part
au premier combat contre les vierges-aux-boucliers, venaient
d’accourir dans l’église sur les pas des North-mans, qui, au lieu
d’attendre la nuit cachés dans les chariots de fourrage, en étaient
sortis au bruit du tumulte causé par l’attaque des femmes
pirates.
Gaëlo n’avait jamais rencontré d’adversaire
plus redoutable que la belle Shigne ; à une force peu commune
elle joignait l’adresse, le sang-froid, l’intrépidité. Emporté par
l’ardeur du combat, le pirate oubliait son amour passionné, ou s’il
se rappelait qu’il combattait une femme, il s’irritait d’autant
plus de trouver en elle cette indomptable résistance ; enfin
il parvint à lui porter un si violent coup d’épée sur la tête, que
la résille de mailles de fer, et les épais cheveux blonds de Shigne
coupés par le tranchant du glaive, ne purent la préserver d’une
blessure profonde ; le sang inonda son visage, son arme
s’échappa de ses mains et elle tomba d’abord sur les deux genoux,
puis sur le côté.
– Malheur à moi ! – s’écria Gaëlo
désespéré, – je l’ai tuée ! je l’ai tuée ! –
S’agenouillant alors auprès de la jeune fille pour la secourir, il
souleva sa belle tête pâle, sanglante, au regard déjà
demi-clos.
– Gaëlo, – murmura la vierge-au-bouclier
d’une voix défaillante, – tu as pu me vaincre, ta valeur est
grande… je t’aime ! – et ses yeux se fermèrent. Robin et Simon
apitoyés s’étaient rapprochés de Gaëlo, lorsque dominant le tumulte
de la bataille qui continuait plus loin sous les arceaux de
l’église, ces cris retentirent poussés par les pirates : –
Berserke ! Berserke !
– Lodbrog-le-géant, est en furie ! –
s’écria Simon-Grande-Oreille, – le berserke est aussi terrible à
ses amis qu’à ses ennemis. Gaëlo, la mêlée peut refluer par ici,
ton amoureuse n’est peut-être pas tout à fait morte, vite,
transportons-la dans le caveau, elle y sera en sûreté !
Gaëlo s’empressa de suivre le conseil de
Simon : enlevant dans ses bras robustes la guerrière inanimée,
il la déposa au fond de la crypte funèbre, pendant qu’il se passait
vers le parvis de la basilique un spectacle incroyable pour qui ne
l’a pas vu : les guerriers franks postés sur les remparts
venaient d’accourir en aide à leurs compagnons tour à tour attaqués
par les vierges de Shigne et par les pirates ;
Lodbrog-le-Géant avait jusqu’alors vaillamment combattu sans que
son intelligence s’obscurcît ; mais l’enivrement de la
bataille, l’odeur du carnage, la vue du renfort de guerriers qui,
pressés sous la porte de la basilique, s’y précipitaient en
criant : – À mort ! à mort ! les North-mans ! –
jetèrent le géant dans un nouvel accès de frénésie ;
brandissant une massue de fer hérissée de pointes, il rugit et
s’élance sur le groupe compact des Franks, la taille gigantesque du
berserke le dépasse de la tête et de la moitié de la
poitrine ; dix marteaux de forge martelant dix enclumes
seraient un bruit sourd auprès du formidable retentissement de la
massue de Lodbrog tombant, retombant, se relevant pour tomber et
retomber encore sur les casques, sur les armures des
guerriers ; les uns s’affaissent sous ces chocs foudroyants
sans jeter un cri, un gémissement ; leur crâne est broyé dans
leur casque comme la noix dans sa coque ; d’autres, les
membres fracassés, roulent avec des imprécations de douleur et de
rage ; les cadavres s’amoncellent aux pieds de Lodbrog, sur
ces cadavres, il monte… il monte comme sur un piédestal, et sa
taille paraît plus gigantesque encore. Les cimiers des casques des
soldats qui le combattent atteignent à peine à la hauteur de son
ceinturon ; Gaëlo qui accourait prendre part à la mêlée, vit
pendant un moment les guerriers survivants entourer le berserke
alors au paroxysme de sa frénésie ; on eût dit des assaillants
montant à l’assaut d’une tour ; vingt bras, vingt épées se
levaient à la fois pour frapper le géant ; mais au dessus de
ces bras, de ces épées, de ces casques, apparaissait le buste
cuirassé du colosse, et sa massue de fer se levant et s’abaissant,
brisant épées, têtes, membres, armures ! Gaëlo, les pirates et
les vierges-aux-boucliers se précipitent sur les Franks qui
assiègent Lodbrog et les combattent ; soudain le berserke
pousse un nouveau rugissement, jette en l’air sa massue, se baisse
et se redresse tenant par les cheveux et par son ceinturon un
guerrier qui se débat en vain, et de toute sa hauteur il le lance
avec rage sur les derniers soldats qui l’assaillent ;
plusieurs roulent à terre, Lodbrog les écrase sous ses pieds
monstrueux avec la fureur de l’éléphant qui piétine et broie ses
victimes, puis ne voyant plus d’ennemis à combattre, car tous les
soldats avaient été tués ou blessés par les pirates et par lui, en
proie à son vertige de destruction, criblé de blessures qu’il ne
sent pas encore, mais dont le sang rougit son armure brisée en
vingt endroits, Lodbrog avise un grand mausolée de marbre
noir : c’est le tombeau de Frédégonde… Le géant saisit de ses
mains puissantes l’une des colonnes qui supportent l’entablement,
il la secoue, l’ébranle avec une force surhumaine ; la colonne
cède, entraîne dans sa chute une partie du couronnement du mausolée
qui s’écroule. Le fracas retentissant de ces ruines redouble la
rage du berserke ; apercevant alors la lueur sépulcrale qui
s’échappe de la crypte où la belle Shigne est gisante, il se
précipite dans le caveau avec des cris féroces…
*
* *
Une nuit et près d’un jour s’étaient passés
depuis qu’Anne-la-Douce, conduite dans l’une des cellules
souterraines de l’abbaye de Saint-Denis, par le chantre Fultrade,
avait par miracle échappé aux violences de ce prêtre, qui, obligé
d’abandonner sa victime pour se rendre auprès de Roth-bert, comte
de Paris, était, sa mission accomplie, revenu à l’abbaye pour y
recevoir son châtiment de la main virile de la belle Shigne.
L’obscurité la plus profonde régnait dans le
réduit où Anne-la-Douce était renfermée ; à ses premières
terreurs, à son désespoir d’être séparée de sa mère, avait succédé
une sorte d’anéantissement ; ses larmes à force de couler
avaient tari ; assise sur les dalles de sa cellule et adossée
à la muraille, la jeune fille, ses bras croisés sur ses genoux, son
front appuyé sur ses bras, sommeillait d’un sommeil fiévreux, agité
de rêves sinistres ; tantôt le chantre Fultrade lui
apparaissait, alors elle se réveillait frissonnant d’horreur, et
les silencieuses ténèbres dont elle était entourée lui causaient de
nouvelles épouvantes ; tantôt rêvant qu’on l’avait oubliée
dans cette demeure souterraine, elle se voyait en proie aux
tortures de la faim, et entendait les cris déchirants de sa mère
vouée au même supplice. Soudain Anne fut arrachée à ces songes
cruels par un bruit croissant de voix et de pas précipités. Elle
redressa la tête, prêta l’oreille et d’un bond fut à la porte où
elle frappa de toutes ses forces, en criant : – Mon
père ! mon frère ! délivrez-moi ! – Anne-la-Douce
venait de reconnaître les voix d’Eidiol et de Guyrion-le-Plongeur,
qui criaient : – Ma fille ! ma sœur !… où es
tu ?
– Ici, mon père ! – reprit la jeune
fille en frappant à la porte de toutes ses forces, – je suis
là !
– Éloigne-toi du seuil, mon enfant, – lui
cria le nautonnier ; – nous allons enfoncer la porte, elle
pourrait en tombant te blesser.
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