– La loi sur les jurys porte que l’accusé pourra choisir pour sa défense un ou deux amis ou conseils ; je demande que cette loi soit commune à Louis Capet.
MARAT. – Il ne s’agit pas ici d’un procès ordinaire ; il ne nous faut pas de chicanes de palais.
(Plusieurs membres demandent la question préalable sur la proposition de Garat. Vive agitation ; le président réclame et obtient le silence.)
PÉTION. – Je demande la parole pour une motion d’ordre. De quoi s’agit-il ? De donner au roi un conseil ; personne ne peut le lui refuser, à moins d’attaquer à la fois tous les principes de l’humanité ; les lois autorisant Louis Capet à prendre deux défenseurs, il a demandé un conseil. Ce conseil peut être composé d’une ou deux personnes : c’est son affaire. Eh bien ! que cette question très-simple : « Louis XVI pourra-t-il prendre un conseil ? » soit mise aux voix, elle ne peut rencontrer aucune opposition.
La proposition de Pétion est mise aux voix ; il est décrété à l’unanimité que Louis Capet pourra se choisir un conseil, et la séance est levée à cinq heures.
Il ne pouvait rester le moindre doute sur les crimes de haute trahison et d’attentat contre la sûreté intérieure et extérieure de l’État dont Louis XVI s’était rendu coupable depuis quatre ans, crimes que la loi frappe de la peine de mort ; beaucoup de conventionnels d’abord hésitant, non sur la question de savoir si le roi était coupable, sa culpabilité était flagrante, mais sur l’application de la peine, n’hésitèrent plus après cette séance, où l’accusé venait de se couvrir d’opprobre par l’impudeur de ses dénégations et par la lâcheté de ses impostures.
Louis XVI fut reconduit au Temple avec les mêmes précautions et le même développement de forces militaires que durant son trajet à la Convention, et Jean Lebrenn, son devoir de surveillance accompli, regagna sa demeure.
*
* *
Il faisait nuit ; Jean Lebrenn, de retour du Temple depuis une demi-heure, attendait en silence le résultat des réflexions de sa sœur Victoria, qui, assise auprès de sa table de travail, éclairée par une lampe, tenait, pensive, entre ses mains la lettre écrite la veille au jeune artisan par l’avocat Desmarais, et une lettre ainsi conçue, adressée durant la journée par Charlotte à son fiancé :
« Mon père consent à notre mariage, à notre bonheur, au prix d’une seule condition qu’il vous a fait connaître, mon cher Jean. Cette condition, bizarre sans doute, et dont j’ai peut-être deviné le motif (je vous le ferai connaître plus tard, si mes soupçons ne m’ont pas trompée), cette condition me semble de tout point acceptable. Vous savez combien je suis jalouse de votre honneur, vous savez combien je vous ai toujours encouragé à marcher dans l’inflexible voie du devoir, et en cette circonstance qui peut combler nos vœux, une bien chère espérance n’a pas influencé mon jugement ; je ne me pardonnerais jamais, même lorsqu’il s’agit, ou plutôt par cela même qu’il s’agit de notre félicité à venir, de vous avoir donné un conseil dont vous ou moi nous aurions à rougir. Vous pouvez donc, mon ami, et cela, je le crois en mon âme et conscience, accepter la condition mise par mon père à notre union.
» Quelle que soit d’ailleurs votre décision, fût-elle contraire à mon avis, à mon espoir, elle sera toujours religieusement acceptée par moi, mon ami ; notre affection, ainsi que l’a déjà prouvé le passé, est de celles qui bravent les événements, les obstacles et le temps ; car les obstacles, les jours, les années, loin de l’affaiblir, l’enracinent plus profondément encore dans notre cœur ; ainsi, quoi que vous décidiez, je suis et serai toujours
» Votre Charlotte.
» Mon père compte vous voir ce soir sans retard à votre retour du Temple ; venez le plus tôt possible, si vous acceptez la condition. »
Victoria Lebrenn, après l’attentive lecture de ces deux lettres que son frère venait de lui remettre, restait pensive et silencieuse depuis quelques instants.
– Sœur, dit Jean Lebrenn, – es-tu plus pénétrante que moi ? – Devines-tu la cause de la condition mise par M. Desmarais à mon mariage avec sa fille ?
– Cette cause, je ne saurais la préciser, mais ce doit être quelque lâcheté de la part de cet hypocrite.
– Tu persistes à croire…
– … Que M. Desmarais est un faux patriote ; j’en suis aussi convaincue que jamais, mon frère.
– J’ai, tu le sais, ma sœur, d’abord partagé ton opinion ; cependant, je l’avoue, maintenant je suis indécis, car depuis quatre ans ses actes, ses votes, ses discours ont été toujours d’accord avec les principes des révolutionnaires les plus avancés.
– La peur le pousse en avant, parce qu’il craint de se perdre en reculant.
– J’ai peine à croire à une si noire et si abjecte hypocrisie ; aujourd’hui encore, lors de l’interrogatoire de ce misérable roi dont l’ignominieuse défense a éteint en moi la pitié que l’homme privé m’inspirait encore, je ne saurais te peindre l’expression de la physionomie du citoyen Desmarais : il s’indignait, se révoltait, montrait le poing à Louis XVI ; plusieurs fois j’ai vu Robespierre, Billaud-Varenne, Marat et d’autres représentants auprès desquels il siège le rappeler à sa dignité de juge et…
– Frère, – dit soudain Victoria, interrompant Jean Lebrenn, – c’est Billaud-Varenne qui t’a, hier soir, apporté au Temple la lettre de Desmarais ?
– Oui.
– Cela me semble singulier ; tu vois souvent Billaud-Varenne, il ne t’a pas dit, que je sache, qu’il fût étroitement lié avec le père de Charlotte ?
– Jamais. Et à la manière dont il me parlait de lui, j’ai toujours cru qu’ils n’avaient ensemble d’autres relations que celles de collègues à la Convention.
– Et pourtant je lis dans la lettre de ce Desmarais, – reprend Victoria, jetant de nouveau les yeux sur la missive, « – qu’il te recommande notamment de garder auprès de Billaud-Varenne le secret de ton amour pour Charlotte. » – Et c’est lui, Billaud, qui s’est chargé de t’apporter au Temple, à près de minuit, la lettre de ce Desmarais. Tout ceci ne fait-il pas supposer qu’il existe entre eux, à ton insu, quelque intimité ?
– Il est vrai, et en ce cas j’inclinerais de nouveau à croire à la sincérité des opinions du citoyen Desmarais, car tu connais comme moi le caractère, la pénétration et la défiance de Billaud-Varenne : il serait incapable de se lier d’intimité avec un homme dont il suspecterait le patriotisme.
– Sans doute, mais il te sera très-facile d’éclaircir ce mystère en allant voir Billaud-Varenne et l’interrogeant à ce sujet.
– Ne serait ce pas manquer à la discrétion que m’impose le père de Charlotte, comme condition à mon mariage ?
– Nullement : je lis dans sa lettre qu’il te recommande de garder auprès de son collègue le secret de ton amour pour Charlotte ; rien de plus : or, tu peux et tu dois être, à ce sujet, aussi réservé que par le passé dans ton entretien avec Billaud-Varenne.
– C’est juste, et je vais le voir ce soir même… certain que je suis de le trouver chez lui. Enfin, quoi qu’il en soit, cette condition mise par le père de Charlotte à notre mariage te semble, comme à elle, comme à moi, acceptable, au point de vue de l’honorabilité la plus ombrageuse ?
– Certes, mon frère, ce secret que te demande Desmarais, ne l’as-tu pas toujours gardé par délicatesse ? Quel inconvénient vois-tu à t’engager sur l’honneur à continuer d’être discret ? Aucun. Quant à la cause mystérieuse de cette condition, que t’importe ? Rends-toi donc à cette heure chez M. Desmarais ; ta Charlotte, en t’attendant, compte les heures, les minutes, la pauvre enfant !
– Ah ! Victoria ! – s’écrie Jean Lebrenn avec expansion et les yeux remplis de douces larmes, – j’ai peine à croire à ce bonheur inattendu. Épouser Charlotte ! mon Dieu ! je l’aime tant ; si tu savais, si tu savais !
– Je sais, cher et bon frère, je n’ignore rien.
– Non, tu ne sais pas tout ! Chaque jour nous parlions de Charlotte, de mes espérances lointaines, bien lointaines, hélas ! mais je te cachais ma faiblesse, ma lâcheté, mes nuits d’insomnie souvent passées dans les larmes, dans le désespoir, en songeant à ces quatre années de bonheur perdues, que rien ne me rendra jamais ; en songeant à ce que Charlotte devait elle-même souffrir, malgré la courageuse résignation dont ses lettres étaient empreintes. Ah ! pauvre sœur, non, tu ne sais pas ce que j’ai souffert !
– Je le sais, frère, et je sais aussi pourquoi tu me cachais l’amertume de tes chagrins.
– Que veux-tu dire ?
– Noble et excellent cœur, tu craignais, en me rendant témoin de ton désespoir, de réveiller le mien.
– Victoria !
– Tu craignais de raviver cette plaie qui saigne et saignera toujours dans mon âme, car, moi aussi, je pleurais, je pleurais sans cesse un amour à jamais perdu. Ah ! frère, si je n’étais retenue dans cette vie-ci par la curiosité vengeresse d’assister jusqu’à la fin à l’extermination de nos ennemis… et l’expiation de leur passé commence seulement… si je n’étais aussi retenue sur cette terre par ma tendre affection pour toi, je serais depuis longtemps allée rejoindre Maurice en ces lieux où il m’attend, et où tous nous irons, selon l’antique foi de nos pères ; mais qu’est-ce que quelques années de plus ou de moins passées sur cette terre ?… à peine des secondes, au regard de l’éternité. Crois-moi donc, frère, j’avais deviné la profondeur de ton chagrin secret et par quelle touchante délicatesse tu me le dissimulais ; aussi ma tendresse pour toi se fût augmentée, si elle avait pu l’être !
– Eh bien, oui, tu m’as deviné, sœur bien-aimée ; oui, je craignais d’empirer ta douleur par le spectacle de la mienne ; et, sais-tu la seule amertume qui se mêle à mon bonheur d’aujourd’hui ? C’est de penser qu’en vivant près de nous, en nous voyant si heureux, Charlotte et moi, tu te diras peut-être, hélas ! cette félicité, moi aussi j’aurais pu en jouir, et…
– Moi ! vivre auprès de toi et de ta femme ?
– Tu as pu un instant douter de ma résolution à ce sujet ?
– Mon frère, c’est impossible, songe donc que…
– Victoria, il y a quatre ans, j’ai pu hésiter à révéler à Charlotte le cruel mystère de ta vie ; j’ai pu, comme toi, craindre que, malgré ses adorables qualités de cœur, malgré la noblesse de son caractère, Charlotte n’eût pas alors le jugement assez mûr pour voir en toi, non la complice, mais la victime de l’opprobre de ta première jeunesse. Ah ! merci Dieu ! il n’en est plus ainsi maintenant, sœur bien-aimée, non, non ; la conduite de ma fiancée, depuis quatre ans, m’a prouvé la force de sa volonté, la droiture, la fermeté de son esprit : je suis maintenant sûr d’elle, comme moi de moi-même ; aussi, elle saura tout ce qui te concerne.
– Jean… de grâce…
– Elle saura tout ce qui te concerne, et son vœu le plus cher sera, comme le mien, l’espoir de te voir passer tes jours près de nous.
– Mais, encore une fois…
– À moins, cependant, sœur bien-aimée, que par goût pour l’isolement ou pour l’indépendance, tu préfères vivre loin de nous ; cette raison seule…
– … T’empêcherait de confier à Charlotte mon passé ? – demanda vivement Victoria ; – oh ! en ce cas, je…
– Tu te méprends, ma sœur ; telle est mon estime pour le caractère de Charlotte, que je regarde comme un devoir de lui dire ma tendresse pour toi, et combien tu es digne de cette tendresse, que je veux lui faire partager. Oui, et elle la partagera en connaissant ta vie entière.
– Je t’en conjure, ne lui fais pas cette confidence.
– Pauvre sœur, tu crains que cette confidence me nuise dans l’esprit de Charlotte, ou ne soit un obstacle à notre mariage ; et, dans l’espoir de m’engager au silence, tu serais capable de m’affirmer que tu préfères l’isolement à la vie de famille que je t’offre. S’il en devait être ainsi, ce que j’aurais grand’peine à croire, parce que je connais ton attachement pour moi, ta résolution ne changerait rien à mon projet ; et que tu vives ou non près de nous, Charlotte n’en saura pas moins combien tes malheurs, ta courageuse réhabilitation, méritent l’intérêt et le respect de tous.
– J’admets que ta fiancée ait l’esprit assez élevé, le cœur assez haut pour m’estimer encore ; mais son père ? mais sa mère ?…
À cette question, Jean Lebrenn se rappela le prétexte dont l’avocat Desmarais avait coloré son refus, en objectant que « la sœur du jeune artisan avait été maîtresse de Louis XV ! » Ce prétexte absurde et odieux, Victoria l’avait toujours ignoré, son frère voulant alors lui épargner le chagrin de se croire la cause de la rupture de ce mariage ; mais les circonstances n’étaient plus les mêmes, et il répondit à la jeune femme :
– Lors même que je voudrais, ma sœur, cacher ton existence au père de Charlotte, est-ce que maintenant cela est possible ? N’as-tu pas toujours vécu près de nos parents ou près de moi depuis le jour de la prise de la Bastille, où tu nous as été rendue ? Ne me suis-je pas cent fois entretenu de toi avec Billaud-Varenne ; et s’il a des relations d’intimité avec le citoyen Desmarais, n’est-il pas probable qu’il lui aura parlé de toi ? Enfin, dernière raison, la plus grave de toutes, ne sait-on pas dans le quartier que nous demeurons ensemble ? Le père de Charlotte, notre voisin, doit être instruit de cette circonstance, comment la nier ? Me résignerai-je à un honteux mensonge, en affirmant que tu n’es pas ma sœur ? Que penseront alors Charlotte et son père ? Que sera donc à leurs yeux cette femme jeune et belle qui partage ma demeure ? Oui, que sera-t-elle à leurs yeux, sinon ma maîtresse ?
Victoria garda le silence : elle ne trouvait, et il n’y avait rien, en effet, rien à répondre à l’observation de Jean Lebrenn. Celui-ci, triomphant dans son affection fraternelle, se leva, embrassa tendrement sa sœur et lui dit :
– Te voici convaincue toi-même de la nécessité de ma confidence à Charlotte. Eh bien, réponds, sœur chérie, que préféreras-tu : vivre seule ou auprès de nous ?
La jeune femme ne répondit rien ; mais son pâle visage fut bientôt baigné de larmes, toujours si rares chez elle, et serrant son frère contre sa poitrine, elle murmura d’une voix entrecoupée de sanglots :
– Ah ! ne crains pas que le spectacle de votre bonheur rende mes chagrins plus amers ; je les oublierai peut-être, au contraire, en vous voyant heureux. – Puis, essuyant ses pleurs : – Va, frère, va vite chez le père de Charlotte, j’attendrai ton retour avec autant d’impatience que la pauvre enfant attend ta venue.
Jean Lebrenn embrassa Victoria avec un redoublement d’affection et se rendit chez Billaud-Varenne, qu’il voulait voir avant son entretien avec l’avocat Desmarais.
*
* *
Victoria, demeurée seule, réfléchissait depuis quelque temps à sa récente conversation avec son frère ; puis, prêtant machinalement l’oreille aux rafales du vent d’hiver qui soufflait violemment au dehors, elle reprit le travail de couture dont elle s’occupait à la clarté de sa lampe, placée sur le poêle qui chauffait son modeste logis. Soudain la jeune femme pousse un cri de surprise et se lève brusquement : l’un des carreaux de la fenêtre mansardée qui s’ouvrait sur le toit de la maison venait de voler en éclats, et au moment où les débris de la vitre tombent sur le plancher, une main passant à travers l’ouverture laissée vide par le bris du carreau, soulève avec force et fait remonter dans sa rainure le châssis supérieur de la croisée. Aussitôt la bise de décembre s’engouffre dans la chambre, éteint la lampe qui l’éclairait, et au milieu des ténèbres une voix essoufflée, suppliante, dit à Victoria :
– Ayez pitié de moi ! je suis émigré, on me poursuit ; j’ai cent louis sur moi ; ils sont à vous si vous me sauvez : vous ne gagnerez donc rien à me livrer !
En même temps que ces paroles sont prononcées, Victoria entend sur le plancher le bruit des pas du fugitif qui vient de s’introduire par la fenêtre, après avoir sans doute rampé le long de la toiture, au niveau de laquelle s’ouvrait la mansarde.
Victoria, aux premiers mots qui lui furent adressés, crut reconnaître la voix qui lui parlait dans les ténèbres ; ses soupçons se changèrent en certitude, lorsque le fugitif ajouta : Je suis émigré.
– Ô Providence ! ô justice vengeresse ! c’est lui ! ! – se dit la jeune femme, d’abord immobile de stupeur ; puis transportée d’une joie farouche, elle court dans l’ombre à la porte, la ferme à double tour, met la clef dans sa poche, et s’assure en même temps qu’elle a sur elle le petit pistolet à deux coups dont elle s’arme toujours depuis qu’elle sait avoir tout à redouter du jésuite Morlet ou de Lehiron ; ces précautions prises, Victoria cherche à tâtons sur la commode une allumette, l’approche du brasier du poêle, alors que le fugitif, surpris du silence que gardait l’habitante de la mansarde, reprenait, croyant l’argument irrésistible pour la maîtresse d’un si misérable logis :
– Je vous l’ai dit : je suis émigré ; il y a cent louis à gagner si vous me sauvez ; vous n’avez donc aucun intérêt à me livrer.
Victoria, qui approchait d’une chandelle placée sur la commode l’allumette enflammée, répondit à voix basse :
– Fermez vite la fenêtre, de peur que le vent n’éteigne la lumière.
L’émigré s’empresse d’exécuter cet ordre. Victoria allume la chandelle, la lumière se fait dans la mansarde ; et lorsque le comte de Plouernel (c’était lui) se retourne, il reste pétrifié à la vue de la jeune femme : il reconnaît en elle, malgré la pauvreté de ses vêtements, la prétendue marquise Aldini. Son regard noir étincelle ; la haine, la menace, donnent à son pâle visage une expression si effrayante, que M. de Plouernel frissonne d’épouvante et se dit :
– Je suis perdu… L’abbé Morlet m’avait bien dit que la demeure de ces Lebrenn était voisine de mon refuge… Fuyons…
Et il s’élance vers la porte, afin de l’ouvrir et de gagner l’escalier ; mais la porte est fermée, en vain il l’ébranle violemment.
– Oh ! comte, prenez garde, – dit froidement Victoria avec un accent de raillerie sinistre, – cette maison est habitée par de bons patriotes, le bruit que vous faites à cette porte pourrait les attirer ici.
– Infâme créature ! – s’écrie M. de Plouernel, blême de rage et de terreur, cessant d’ébranler la porte ; puis, se rapprochant vivement de Victoria, il tire de sa gaine un poignard qu’il porte caché sous ses vêtements ; – tu veux me livrer à l’échafaud, mais avant de mourir, je me vengerai !
– Peut-être, – répond la jeune femme en braquant d’une main virile son pistolet à double coup sur la poitrine du comte ; il recule, atterré, ne s’attendant pas à trouver Victoria si bien armée. Celle-ci, tenant toujours M. de Plouernel ajusté, se rapproche de l’une des cloisons, y frappe du poing, et élevant très-haut la voix :
– Voisin Jérôme, êtes-vous chez vous ?
– Oui, citoyenne, – répond Jérôme à travers la cloison, – nous sommes là, mon fils et moi, à votre service ; nous venons de rentrer. Est-ce que vous avez besoin de quelque chose ?
– Ma montre est arrêtée, savez-vous quelle heure il est, voisin ?
– Dix heures viennent de sonner à l’ex-paroisse de l’Assomption.
– Merci, voisin Jérôme, bonsoir.
– Bonsoir, citoyenne.
Pendant ce dialogue, M. de Plouernel demeure consterné ; il ne peut songer à fuir par la fenêtre : un mouvement de Victoria le précipiterait de la toiture dans la rue.
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