La mission de représentant du peuple auprès des armées, répétons-le, fils de Joël, est l’une des fonctions les plus importantes, les plus tutélaires, les plus augustes de notre temps ; mais en raison même de son élévation, combien de qualités, d’aptitudes diverses elle exige de celui qui doit l’accomplir ! La moindre de ces qualités est un calme intrépide au feu, non le calme actif (si cela se peut dire) du général en chef qui, d’un regard avide, embrasse toutes les péripéties du combat qu’il engage et qui peut le couvrir de gloire, lui mériter la couronne civique… Non, le représentant du peuple doit montrer le sang-froid passif du juge siégeant à son tribunal suprême, et cela au milieu de la tourmente de la bataille, lorsque les balles sifflent, lorsque le canon tonne. Ce n’est pas tout ; à ce calme dans le danger, à ce dédain de la vie, le représentant du peuple doit joindre une bravoure entraînante. Il faut qu’au besoin, et dans un moment critique, décisif, voyant une colonne repoussée, décimée par un feu foudroyant s’ébranler, hésiter à retourner à l’attaque… il faut que le représentant du peuple paye alors de sa personne, noble exemple si souvent donné par Saint-Just, par Lebas, par Robespierre jeune et par tant d’autres, durant nos guerres révolutionnaires… Il faut qu’il mette pied à terre, et que, s’élançant au premier rang des soldats, il les électrise, les enlève, les devance, et, son chapeau à la pointe de son épée, les ramène à la charge au cri de vive la république !… Mais qu’est-ce encore que le courage allié au sang-froid, auprès du tact merveilleux, de la profonde connaissance des hommes dont il faut être doué pour ne jamais empiéter sur les attributions du commandant d’armée ? pour lui laisser la plus entière liberté d’action en ce qui touche ses combinaisons stratégiques ! pour écouter, soutenir, provoquer au besoin les réclamations des soldats sur l’existence, sur les droits desquels le représentant du peuple doit veiller avec une sollicitude paternelle, afin de leur faire justice si leurs réclamations sont fondées à ses yeux ; et cependant conserver au général en chef l’indispensable prestige du commandement ; ne pas porter la moindre atteinte à son autorité militaire ! ne blesser en rien, ni son amour-propre, ni sa susceptibilité, ni la conscience de son génie, et pourtant lui faire constamment sentir, lui prouver à lui et à ses troupes, qu’en sa mission le représentant du peuple domine le général en chef et son armée de toute la hauteur de la souveraineté du peuple et du salut public dont il est l’incarnation visible ! Enfin, investi d’un pouvoir illimité, ayant le droit de destituer, depuis le chef de l’armée jusqu’au sous-lieutenant, et de les renvoyer devant le tribunal révolutionnaire rendre compte, sur leurs têtes, de leurs actes, le représentant du peuple doit user de cette puissance redoutable avec un discernement, une prudence, une réserve que peuvent seules égaler son infaillible sagacité à découvrir l’impéritie, l’improbité ou la trahison, et son inexorable rigueur à les punir ! Mais, dans d’autres circonstances, l’autorité du représentant du peuple en mission est entière, absolue, complètement en dehors de celle du général. Alors, celui-ci est subordonné à un rôle passif ou tout au plus officieux. Ainsi, s’agit-il du sens et de la portée politique des proclamations à adresser aux nations étrangères avant la bataille ou après la victoire, s’agit-il de la quotité ou de la nature des impôts à frapper sur des villes conquises, s’agit-il enfin de traités de paix provisoires, le représentant du peuple est omnipotent, ses arrêtés doivent être contre-signés sans observation par le général en chef.
Ah ! fils de Joël, disons-le à l’honneur impérissable de la révolution, presque tous les représentants du peuple auprès des armées ont été à la hauteur de leurs fonctions ! Ils ont inexorablement frappé les incapables, les dilapidateurs ou les traîtres ; ils ont soutenu, protégé, défendu, glorifié les généraux patriotes, vaillants et intègres ; ils ont, par leur présence, par leur exemple, exalté jusqu’à l’héroïsme du sacrifice le civisme des troupes et leur dévouement à la république ! mais disons-le aussi à leur honneur éternel, malgré le sentiment, la conscience de leurs droits de citoyens, dont la subordination ne pouvait les dépouiller, volontaires et soldats de ligne respectèrent toujours la discipline et l’autorité militaire, en s’inclinant néanmoins avant tout devant les arrêts suprêmes des représentants du peuple. Ceux-ci destituaient-ils un général, les troupes, par leur obédience, confirmaient l’arrêt, quelles que fussent la confiance, l’affection, la popularité dont ce général avait joui jusqu’alors auprès d’elles. Ainsi, entre autres, Dumouriez, Custine, Biron, idolâtrés de l’armée, la virent s’éloigner d’eux le jour où leur trahison fut démasquée.
Telle est en ce temps-ci l’action et l’influence des représentants du peuple à la guerre, et Saint-Just, Lebas, Randon et Lacoste devaient, dans la bataille du lendemain, se montrer une fois de plus à la hauteur de leur mission.
*
* *
Le jésuite Morlet et son fillot, le petit Rodin, avaient été conduits au poste de la prévôté. Le révérend attendait l’heure de son exécution, fixée à l’aube. La corde qui le liait par les deux coudes se rattachait au poteau d’un hangar, servant d’abri à des cavaliers de la maréchaussée, commandés par un capitaine, prévôt de l’armée. Le jésuite, accroupi au-pied du pilier auquel pendait une lanterne éclairant le factionnaire marchant à quelques pas, enveloppé dans son manteau, et d’autres cavaliers couchés çà et là sur la paille ; le jésuite, trop fermement trempé pour ne pas envisager la mort, sinon avec courage, du moins avec un certain calme, disait à son fillot :
– Je n’ai aucune chance d’échapper à mon sort, je serai fusillé au point du jour ; c’est entendu, n’en parlons plus.
– N’en parlons plus… que votre volonté soit faite, – répond le petit Rodin d’un œil sec ; – vous serez bientôt chez les anges.
– Pauvre petit ! tu ne te sens pas du tout contristé de ma mort prochaine ?
– Point du tout, doux parrain…
– Pourquoi cela ?
– Parce que vous êtes élu du Seigneur, et que vous allez être placé à sa droite pour l’éternité ! – nasille benoîtement le petit Rodin, en s’amusant à tresser quelques brins de la paille où il était assis, et il ajoute : – Hosannah in excelsis !
– Fillot, – reprend le jésuite, – regarde-moi donc en face, bien en face !
– En face ?… Je ne saurais, doux parrain… c’est contraire à vos recommandations et à mes habitudes.
– Enfin, regarde-moi comme tu voudras.
L’enfant ayant levé la tête, le rayonnement lumineux de la lanterne éclaire en plein son visage osseux, blafard et déjà vieillot. Il ne trahit pas la moindre émotion et jette un regard oblique sur le jésuite. Celui-ci contemple son fillot avec un mélange de pénible amertume et d’admiration ; mais ce dernier sentiment prévaut dans son cœur paternel, et il se dit tout bas, d’une voix sourde et contenue :
– Si jeune !… et si bronzé déjà sur les affections de la nature !… Il ne m’a presque jamais quitté… je lui ai témoigné la tendresse d’un père… d’un véritable père… – Et l’accent du jésuite chevrote légèrement au ressouvenir de sa commère Rodin, la veuve du donneux d’eau bénite. – Et tout à l’heure cet enfant me verra fusiller sans sourciller… Où n’ira-t-il pas ?… où n’atteindra-t-il pas, si Dieu lui prête vie… et s’il conserve cet inflexible détachement des liens terrestres ? – Puis, le révérend ajoute tout haut : – Et cela ne t’inquiète pas, moi mort, d’être laissé en abandon ?
– Le Seigneur Dieu veillera sur son indigne petit serviteur, comme il veille sur les bons petits oiseaux du ciel… et je travaillerai la vigne sainte… ad majorem Dei gloriam… suivant la devise de saint Ignace de Loyola… votre maître… doux parrain.
– Ah ! tu seras un jour l’un des plus intrépides soldats de la vaillante compagnie de Jésus, brave enfant !… Et à ce propos, lorsque Dieu m’aura rappelé à lui, promets-moi de faire tous tes efforts pour te rendre à Rome auprès du général de l’ordre… Je lui ai plusieurs fois écrit au sujet de ta précoce intelligence et de l’espoir que je fondais sur toi… Ton nom et les détails que tu lui donneras sur moi, sur ma fin, suffiront à constater ton identité… Quant aux moyens de parvenir à la capitale du monde chrétien…
– Tout chemin mène à Rome, doux parrain… J’y arriverai, quand bien même je devrais mendier mon pain sur la route.
Au moment où le petit Rodin prononçait ces derniers mots, un planton s’approchant dit au cavalier de maréchaussée de faction auprès du jésuite et de son fillot : – Camarade, peux-tu m’indiquer où est le quartier du citoyen général Donadieu ?
– À dix pas d’ici… Traverse le hangar, tourne à main droite, tu verras un piquet de cavalerie à la porte d’une maison… c’est là que loge le général Donadieu, – répond le factionnaire au planton, qui s’éloigne dans la direction indiquée.
– Doux parrain, – dit soudain et vivement à voix basse le petit Rodin, – avez-vous entendu ?
– Quoi ?
– Le général Donadieu sert dans cette armée.
– D’où sais-tu cela ? – répond le jésuite, qui, absorbé dans ses lugubres pensées, n’avait pas remarqué le nom du général prononcé par les soldats. – Et puis, d’ailleurs, que nous importe la présence de ce général ?
– Doux parrain, – reprit d’une voix de plus en plus basse le jeune Rodin après un moment de réflexion et semblant frappé d’une idée subite, – si vous m’en croyez, vous n’irez pas encore aujourd’hui chez les saints anges du Seigneur.
– Que veux-tu dire ?
L’enfant se penche, et pendant quelques instants il parle à l’oreille du jésuite. Celui-ci tressaille, il semble prêter une attention croissante aux paroles de son fillot, et ne pouvant cacher sa surprise, son espoir et surtout son admiration pour l’incroyable esprit de ressources dont témoigne le jeune Rodin, il laisse échapper tout bas et d’une voix haletante ces mots entrecoupés : – C’est juste ! quelle mémoire ! ! Rien de plus précis ! ! Les faits sont écrasants ! ! Oui… Oui… En effet, sinon il est perdu… Prodigieux enfant ! prodigieux !…
– Et maintenant, doux parrain, vite à l’œuvre, – murmura le fillot. – Vous le voyez, le Seigneur Dieu daigne éclairer l’esprit de son indigne petit serviteur.
– Non, – reprend le révérend ne pouvant calmer son enthousiasme, – non ! l’on ne croira jamais qu’à un âge encore si tendre, l’on puisse faire preuve de tant de…
– À l’œuvre, doux parrain, point de louanges inutiles… le jour ne peut tarder à paraître… Ne compromettez donc point votre seule chance de salut par des vanités… Donc, vite à l’œuvre.
Le jésuite reconnaît la sagesse des avis de son fillot, et, avisant le cavalier de maréchaussée qui se rapprochait alors de lui : – Hé, factionnaire !…
– Qu’est-ce ?
– Il est bien décidé que l’on me fusille au point du jour ?…
– En deux temps, quatre mouvements, mon vieux…
– Tu es sûr de cela ?
– Le capitaine a commandé à un peloton de huit de nos hommes de se tenir prêts ce matin dès qu’on battra la diane, et d’avoir leurs armes chargées.
– En ce cas, ma foi, tant pis… je n’hésite plus.
– À quoi ?
– À faire des révélations…
– Ça te regarde… vaut mieux tard que jamais.
– Je voudrais les faire tout de suite.
– Je vas appeler le brigadier, il te conduira au prévôt.
– Non ! c’est à un général que je veux révéler ce que je sais… En est-il un dont le quartier soit près d’ici ?
– Il y a le citoyen général Donadieu, commandant la cavalerie légère… Il demeure à dix pas.
– C’est à lui, à lui seul que je veux faire mes révélations.
– Tu entends, brigadier, – dit le factionnaire à un sous-officier qui assistait à cet entretien, – ce vieux demande à faire des révélations au général Donadieu.
– Je vas consulter le prévôt, – répond le brigadier. – Il s’éloigne tandis que le jésuite confère à voix basse avec son fillot.
Le brigadier, de retour depuis quelques instants, s’approche du pilier où était liée l’extrémité de la corde qui garrottait le révérend, et lui dit :
– En route chez le général Donadieu ; mais gare à toi si tes révélations sont des frimes. – Et, voyant le jeune Rodin se disposer à suivre le prisonnier, le soldat ajoute : – Est-ce que ce mioche-là a aussi à révéler quelque chose ?
– Non ! mais cet enfant doit, avec la candeur et l’innocence de son âge, attester la sincérité de mes paroles, – répond le jésuite se mettant en marche avec son fillot, sous la conduite du brigadier de maréchaussée.
*
* *
Le général Donadieu, commandant une division de cavalerie légère de l’armée de Rhin et Moselle, achevait de lire un ordre qu’il venait de recevoir, lorsque l’un de ses aides de camp l’informa qu’un espion, condamné à être fusillé au point du jour, demandait à faire des révélations de la plus haute importance ; mais qu’il désirait que son entretien avec le général n’eût d’autre témoin qu’un enfant dont ce prisonnier était accompagné.
– Je n’accepte pas l’impertinente proposition de ce coquin, – répond le général à son aide de camp. – Faites entrer cet homme et restez près de moi.
Le jésuite paraît, accompagné de son fillot. Le général toise l’espion et lui dit brusquement : – Tu prétends avoir d’importantes révélations à me communiquer ?
– Très-importantes, général.
– Eh bien, je t’écoute… parle.
– Lorsque nous serons seuls, – répond le jésuite en désignant du regard l’aide de camp. – Notre entretien doit être secret.
– Mon aide de camp est un second moi-même… il doit tout entendre… parle.
– Je ne le crois pas, général… et lorsque vous saurez ce dont il s’agit…
– Assez… assez… parle à l’instant, ou va-t’en… Le jour va paraître… et tu dois être fusillé ce matin.
– Je parlerai donc, général, puisque vous l’exigez… Voici les faits : – C’était le lendemain de la bataille de Watignies… un colonel de cavalerie de l’armée républicaine, fait prisonnier par…
– Attends un moment, – dit vivement le général Donadieu visiblement troublé dès les premières paroles du jésuite, et paraissant réfléchir en s’adressant au prisonnier : – Tu espères sans doute obtenir un sursis pour prix de tes révélations ?
– Oui, général… j’espère même mieux qu’un sursis.
– Ce sursis, je ne pourrais te l’accorder sans l’autorisation des représentants du peuple en présence de qui tu as été interrogé. – Puis, se tournant vers son aide de camp : – Capitaine, allez sur-le-champ trouver le citoyen Saint-Just et lui demander si je puis faire surseoir à l’exécution de cet homme, dans le cas où ses révélations me sembleraient dignes de créance.
– Je vais exécuter vos ordres, mon général, – répond l’aide de camp sortant de la chambre, tandis que le jésuite Morlet se disait à part soi :
– Le Donadieu me sert au delà de mes souhaits : il vient de se fourrer lui-même dans un affreux guêpier, grâce au prétexte dont il s’est servi pour éloigner cet officier dont il redoutait la présence…
Le général, parvenant à dominer l’inquiétude dont il a été saisi aux premières paroles du jésuite, et ne supposant pas que celui-ci eût deviné la cause secrète de l’ordre donné à l’aide de camp, – reprend d’une voix hautaine, espérant imposer au prisonnier : – Tu disais donc que, le lendemain de la bataille de Watignies, un colonel de cavalerie…
– Général Donadieu, – répond le jésuite d’un ton impérieux, – les moments sont comptés, si, avant le retour de votre aide de camp, vous ne trouvez pas le moyen de me mettre en liberté, vous êtes perdu.
– Perdu… moi ?
– Oui, perdu… et voici comme. Écoutez et avisez : prisonnier à la bataille de Watignies, vous avez été conduit par le comte de Plouernel au quartier général de monseigneur le prince de Condé ; il vous a accueilli de la manière la plus flatteuse, et, pénétré de ce bon accueil, vous lui avez avoué que vous ne serviez qu’avec regret dans une armée assez dépourvue d’orgueil militaire pour subir le joug humiliant de ces scélérats de représentants du peuple…
– Misérable ! – s’écrie le général devenant livide, – tu oses…
– Vous avez de plus ajouté (toujours parlant à monseigneur le prince de Condé), ce sont vos paroles textuelles : « Monseigneur, ma dignité d’officier est tellement révoltée de la dégradante sujétion où nous réduit l’ignoble tyrannie de ces féroces proconsuls bourgeois, que, sans un dernier scrupule de conscience, je vous offrirais mon épée. »
– Ah ! vraiment, j’ai dit cela au prince de Condé ? – reprend le général Donadieu avec un sourire sinistre. – Tu prétends avoir les preuves de ce que tu avances ?…
– Les preuves sont écrites très au long sur certain registre particulier tenu à l’état-major du prince… registre où sont portés les noms de tous les officiers de l’armée républicaine sur lesquels, le cas échéant, le parti royaliste compte… ou croit pouvoir compter. Le fait qui vous concerne m’a été raconté par le comte de Plouernel, autrefois colonel aux gardes françaises, et présent à votre entretien avec monseigneur le prince de Condé, entretien ainsi résumé par ces paroles de Son Altesse Sérénissime à vous adressées : « Mon cher colonel, restez dans les rangs de l’armée républicaine… vous pourrez y servir plus efficacement la cause de notre roi légitime, en poussant à un moment donné votre régiment à se soulever, au nom de l’honneur militaire, contre l’ignoble joug de ces misérables si justement qualifiés par vous de féroces proconsuls bourgeois… Soyez certain, mon cher colonel, que le jour prochain peut-être du triomphe de la bonne cause, vous serez récompensé selon vos mérites… Jusque-là, gardez votre masque républicain. » Or, – ajoute le jésuite, – ce masque républicain, vous l’avez si bien gardé, qu’après votre échange contre d’autres prisonniers, vous êtes devenu général de brigade… puis général de division…
– Enfin, conclus, – répond d’un ton sardonique le général revenu maître de lui-même et complètement rassuré. – Quel est ton projet à cette heure ?
– Le voici…
– Il suffit… je vais t’épargner la peine de me le dire… Tu vas me menacer de faire ces révélations à d’autres qu’à moi… si je ne te donne pas sur-le-champ le moyen de fuir ?
– Oui, général.
– Il n’existe à ceci qu’un léger inconvénient.
– Lequel, général ?
– Eh mon Dieu, – répond Donadieu en se dirigeant vers la porte, – je vais appeler le brigadier de maréchaussée qui t’a amené, lui donner l’ordre de te fusiller sur l’heure, et ton secret va mourir avec toi.
– Et Saint-Just ?… à qui vous venez d’envoyer demander par votre aide de camp l’autorisation de surseoir à mon exécution ?
À ces mots, le général s’arrête, tressaille et pâlit de nouveau. Puis, réfléchissant : – Je répondrai à Saint-Just que, tes révélations n’étant que des balivernes, j’ai laissé exécuter ta condamnation… Saint-Just n’est pas homme à jamais me reprocher d’avoir hâté la mort d’un contre-révolutionnaire… Donc, – ajoute le général Donadieu faisant un nouveau pas vers la porte, – tu vas être fusillé sur l’heure.
– Bon !… mais moi ? – dit soudain la voix grêle du jeune Rodin, jusqu’alors impassible et silencieux dans un coin obscur de la chambre. – Oui… et moi ? – répète le hideux enfant, – on ne me fusillera point, bien sûr !… j’ai à peine onze ans. Or, si vous envoyez mon doux parrain chez les anges, je raconterai à tout le monde ce que je viens de voir et d’entendre… Dame… oui, général ; tout ce que mon doux parrain vous a déclaré, je le sais par cœur. – Et le fillot du jésuite commença ainsi d’une voix aiguë et tout d’un trait avec l’accent monotone et traînard de l’écolier récitant sa leçon :
– « Le général Donadieu, prisonnier à la bataille de Watignies, a été conduit par le comte de Plouernel au quartier général du prince de Condé.
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