Les plaisirs et les jours: nouvelles (Les grands auteurs français) (French Edition)

Marcel Proust

LES PLAISIRS ET LES JOURS

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ISBN : 979-10-232-0505-3

Covers : Extrait de Gustav Caillebotte « les orangers »

avec effet aspiration par logiciel & programmation Adobe

© Ink Book édition, Paris, 2013

 

 

TABLE DES MATIÈRES

 

PRÉFACE

À MON AMI WILLIE HEATH

LA MORT DE BALDASSARE SILVANDE  VICOMTE DE SYLVANIE

I

II

III

IV

V

VIOLANTE  OU  LA MONDANITÉ

CHAPITRE PREMIER  ENFANCE MÉDITATIVE DE VIOLANTE

CHAPITRE II  SENSUALITÉ

CHAPITRE III  PEINES D’AMOUR

CHAPITRE IV  LA MONDANITÉ

FRAGMENTS DE COMÉDIE ITALIENNE

I  LES MAÎTRESSES DE FABRICE

II  LES AMIES DE LA COMTESSE MYRTO

III  HELDÉMONE, ADELGISE, ERCOLE

IV  L’INCONSTANT

V

VI  CIRES PERDUES

I

II

VII  SNOBS

I

II

III  CONTRE UNE SNOB

IV  À UNE SNOB

VIII  ORANTHE

IX  CONTRE LA FRANCHISE

X

XI  SCÉNARIO

XII  ÉVENTAIL

XIII  OLIVIAN

XIV  PERSONNAGES DE LA COMÉDIE MONDAINE

MONDANITÉ ET MÉLOMANIE  DE BOUVARD ET PÉCUCHET

I  MONDANITÉ

II  MÉLOMANIE

MÉLANCOLIQUE VILLÉGIATURE  DE MADAME DE BREYVES

I

II

III

IV

V

PORTRAITS DE PEINTRES  ET DE  MUSICIENS

ALBERT CUYP

PAULUS POTTER

ANTOINE WATTEAU

ANTOINE VAN DYCK

CHOPIN

GLUCK

SCHUMANN

MOZART

LA CONFESSION D’UNE JEUNE FILLE

I

II

III

IV

UN DÎNER EN VILLE

I

II

APRÈS DÎNER

LES REGRETS  RÊVERIES COULEUR DU TEMPS

I  TUILERIES

II  VERSAILLES

III  PROMENADE

IV  FAMILLE ÉCOUTANT LA MUSIQUE

V

VI

VII

VIII  RELIQUES

IX  SONATE CLAIR DE LUNE

I

II

X  SOURCE DES LARMES QUI SONT DANS LES AMOURS PASSÉES

XI  AMITIÉ

XII  ÉPHÉMÈRE EFFICACITÉ DU CHAGRIN

XIII  ÉLOGE DE LA MAUVAISE MUSIQUE

XIV  RENCONTRE AU BORD DU LAC

XV

XVI  L’ÉTRANGER

XVII  RÊVE

XVIII  TABLEAUX DE GENRE DU SOUVENIR

XIX  VENT DE MER À LA CAMPAGNE

XX  LES PERLES

XXI  LES RIVAGES DE L’OUBLI

XXII  PRÉSENCE RÉELLE

XXIII  COUCHER DE SOLEIL INTÉRIEUR

XXIV  COMME À LA LUMIÈRE DE LA LUNE

XXV  CRITIQUE DE L’ESPÉRANCE  À LA LUMIÈRE DE L’AMOUR

XXVI  SOUS-BOIS

XXVII  LES MARRONNIERS

XXVIII  LA MER

XXIX  MARINE

XXX  VOILES AU PORT

LA FIN DE LA JALOUSIE

I

II

III

PRÉFACE

Pourquoi m’a-t-il demandé d’offrir son livre aux esprits curieux ? Et pourquoi lui ai-je promis de prendre ce soin fort agréable, mais bien inutile ? Son livre est comme un jeune visage plein de charme rare et de grâce fine. Il se recommande tout seul, parle de lui-même et s’offre malgré lui.

Sans doute il est jeune. Il est jeune de la jeunesse de l’auteur. Mais il est vieux de la vieillesse du monde. C’est le printemps des feuilles sur les rameaux antiques, dans la forêt séculaire. On dirait que les pousses nouvelles sont attristées du passé profond des bois et portent le deuil de tant de printemps morts.

Le grave Hésiode a dit aux chevriers de l’Hélicon les Travaux et les Jours. Il est plus mélancolique de dire à nos mondains et à nos mondaines les Plaisirs et les Jours, si, comme le prétend cet homme d’État anglais, la vie serait supportable sans les plaisirs. Aussi le livre de notre jeune ami a-t-il des sourires lassés, des attitudes de fatigue qui ne sont ni sans beauté, ni sans noblesse.

Sa tristesse même, on la trouvera plaisante et bien variée, conduite comme elle est et soutenue par un merveilleux esprit d’observation, par une intelligence souple, pénétrante et vraiment subtile. Ce calendrier des Plaisirs et des Jours marque et les heures de la nature par d’harmonieux tableaux du ciel, de la mer, des bois, et les heures humaines par des portraits fidèles et des peintures de genre, d’un fini merveilleux.

Marcel Proust se plaît également à décrire la splendeur désolée du soleil couchant et les vanités agitées d’une âme snob. Il excelle à conter les douleurs élégantes, les souffrances artificielles, qui égalent pour le moins en cruauté celles que la nature nous accorde avec une prodigalité maternelle. J’avoue que ces souffrances inventées, ces douleurs trouvées par génie humain, ces douleurs d’art me semblent infiniment intéressantes et précieuses, et je sais gré à Marcel Proust d’en avoir étudié et décrit quelques exemplaires choisis.

Il nous attire, il nous retient dans une atmosphère de serre chaude, parmi des orchidées savantes qui ne nourrissent pas en terre leur étrange et maladive beauté. Soudain, dans l’air lourd et délicieux, passe une flèche lumineuse, un éclair qui, comme le rayon du docteur allemand, traverse les corps. D’un trait le poète a pénétré la pensée secrète, le désir inavoué.

C’est sa manière et son art. Il y montre une sûreté qui surprend en un si jeune archer. Il n’est pas du tout innocent. Mais il est si sincère et si vrai qu’il en devient naïf et plaît ainsi. Il y a en lui du Bernardin de Saint-Pierre dépravé et du Pétrone ingénu.

Heureux livre que le sien ! Il ira par la ville tout orné, tout parfumé des fleurs dont Madeleine Lemaire l’a jonché de cette main divine qui répand les roses avec leur rosée.

Anatole France.

 

À MON AMI WILLIE HEATH

Mort à Paris le 3 octobre 1893

 

« Du sein de Dieu où tu reposes…

révèle-moi ces vérités qui dominent

la mort, empêchent de la craindre

et la font presque aimer. »

Les anciens Grecs apportaient à leurs morts des gâteaux, du lait et du vin. Séduits par une illusion plus raffinée, sinon plus sage, nous leur offrons des fleurs et des livres. Si je vous donne celui-ci, c’est d’abord parce que c’est un livre d’images. Malgré les « légendes », il sera, sinon lu, au moins regardé par tous les admirateurs de la grande artiste qui m’a fait avec simplicité ce cadeau magnifique, celle dont on pourrait dire, selon le mot de Dumas, « que c’est elle qui a créé le plus de roses après Dieu ». M. Robert de Montesquiou aussi l’a célébrée, dans des vers inédits encore, avec cette ingénieuse gravité, cette éloquence sentencieuse et subtile, cet ordre rigoureux qui parfois chez lui rappellent le XVIIe siècle. Il lui dit, en parlant des fleurs :

 

« Poser pour vos pinceaux les engage à fleurir.

.     .     .     .     .     .     .     .

Vous êtes leur Vigée et vous êtes la Flore

Qui les immortalise, où l’autre fait mourir ! »

 

Ses admirateurs sont une élite, et ils sont une foule. J’ai voulu qu’ils voient à la première page le nom de celui qu’ils n’ont pas eu le temps de connaître et qu’ils auraient admiré. Moi-même, cher ami, je vous ai connu bien peu de temps. C’est au Bois que je vous retrouvais souvent le matin, m’ayant aperçu et m’attendant sous les arbres, debout, mais reposé, semblable à un de ces seigneurs qu’a peints Van Dyck et dont nous aviez l’élégance pensive.

Leur élégance, en effet, comme la vôtre, réside moins dans les vêtements que dans le corps, et leur corps lui-même semble l’avoir reçue et continuer sans cesse à la recevoir de leur âme : c’est une élégance morale. Tout d’ailleurs contribuait à accentuer cette mélancolique ressemblance, jusqu’à ce fond de feuillages à l’ombre desquels Van Dyck a souvent arrêté la promenade d’un roi ; comme tant d’entre ceux qui furent ses modèles, vous deviez bientôt mourir, et dans vos yeux comme dans les leurs, on voyait alterner les ombres du pressentiment et là douce lumière de la résignation. Mais si la grâce de votre fierté appartenait de droit à l’art d’un Van Dyck, vous releviez plutôt du Vinci par la mystérieuse intensité de votre vie spirituelle. Souvent le doigt levé, les yeux impénétrables et souriants en face de l’énigme que vous taisiez, vous m’êtes apparu comme le saint Jean-Baptiste de Léonard. Nous formions alors le rêve, presque le projet, de vivre de plus en plus l’un avec l’autre, dans un cercle de femmes et d’hommes magnanimes et choisis, assez loin de la bêtise, du vice et de la méchanceté pour nous sentir à l’abri de leurs flèches vulgaires. Votre vie, telle que nous la vouliez, serait une de ces œuvres à qui il faut une haute inspiration. Comme de la foi et du génie, nous voulons la recevoir de l’amour.

Mais c’était la mort qui devait vous la donner.