Les poètes maudits

Œuvres complètes de Paul Verlaine. Les poètes maudits - Louise Leclerq - Les mémoires d’un veuf - Mes hôpitaux - Mes prisons. Tome quatrième. Troisième édition. Paris. Librairie Léon Vanier, éditeur. A. Messein, successeur. 19, quai Saint-Michel, 19. 1904.

 

 

 

 

 

LES POÈTES MAUDITS

I

TRISTAN CORBIÈRE

Tristan Corbière fut un Breton, un marin, et le dédaigneux par excellence, œs triplex. Breton sans guère de pratique catholique, mais croyant en diable ; marin ni militaire, ni surtout marchand, mais amoureux furieux de la mer, qu’il ne montait que dans la tempête, excessivement fougueux sur ce plus fougueux des chevaux (on raconte de lui des prodiges d’imprudence folle), dédaigneux du Succès et de la Gloire au point qu’il avait l’air de défier ces deux imbéciles d’émouvoir un instant sa pitié pour eux !

Passons sur l’homme qui fut si haut, et parlons du poète.

Comme rimeur et comme prosodiste il n’a rien d’impeccable, c’est-à-dire d’assommant. Nul d’entre les Grands comme lui n’est impeccable, à commencer par Homère qui somnole quelquefois, pour aboutir à Gœthe le très humain, quoi qu’on dise, en passant par le plus qu’irrégulier Shakspeare. Les impeccables, ce sont... tels et tels. Du bois, du bois et encore du bois. Corbière était en chair et en os tout bêtement.

Son vers vit, rit, pleure très peu, se moque bien, et blague encore mieux. Amer d’ailleurs et salé comme son cher Océan, nullement berceur ainsi qu’il arrive parfois à ce turbulent ami, mais roulant comme lui des rayons de soleil, de lune et d’étoiles dans la phosphorescence d’une houle et de vagues enragées !

Il devint Parisien un instant, mais sans le sale esprit mesquin : des hoquets, un vomissement, l’ironie féroce et pimpante, de la bile et de la fièvre s’exaspérant en génie et jusqu’à quelle gaîté !

Exemple :

RESCOUSSE

Si ma guitare

Que je répare,

Trois fois barbare,

Kriss indien,

Cric de supplice,

Bois de justice,

Boite à malice,

Ne fait pas bien...

Si ma voix pire

Ne peut te dire

Mon doux martyre...

— Métier de chien ! —

Si mon cigare,

Viatique et phare,

Point ne t’égare ;

— Feu de brûler...

Si ma menace,

Trombe qui passe,

Manque de grâce ;

— Muet de hurler !...

Si de mon âme

La mer en flamme

N’a pas de lame ;

— Cuit de geler...

Vais m’en aller !

Avant de passer au Corbière que nous préférons, tout en raffolant des autres, il faut insister sur le Corbière parisien, sur le Dédaigneux et le Railleur de tout et de tous, y compris lui-même.

Lisez encore cette

ÉPITAPHE

Il se tue d’ardeur et mourut de paresse.

S’il vit, c’est par oubli ; voici qu’il se laisse :

Son seul regret fut de n’être pas sa maîtresse,

Il ne naquit par aucun bout,

Fut toujours poussé vent debout

Et fut un arlequin-ragoût,

Mélange adultère de tout.

Du je-ne-sais-quoi. — Mais sachant tout

De l’or, — mais avec pas le sou ;

Des nerfs, — sans nerf. Vigueur sans force ;

De l’élan, — avec une entorse ;

De l’âme, — et pas de violon ;

De l’amour, — mais pire étalon ;

Trop de noms pour avoir un nom.

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