Toutefois les gens raisonnables firent remarquer que ce qui caractérise les sorciers en Tungousie peut ne point les caractériser au même degré à Guernesey.
Aux environs d’une Saint-Michel, on le vit s’arrêter dans un pré des courtils des Huriaux, bordant la grande route des Videclins. Il siffla dans le pré, et un moment après il y vint un corbeau, et un moment après il y vint une pie. Le fait fut attesté par un homme notable, qui depuis a été douzenier dans la Douzaine autorisée à faire un nouveau livre de Perchage du fief le Roi.
Au Hamel, dans la vingtaine de l’Épine, il y avait des vieilles femmes qui disaient être sûres d’avoir entendu un matin, à la piperette du jour, des hirondelles appeler Gilliatt.
Ajoutez qu’il n’était pas bon.
Un jour, un pauvre homme battait un âne. L’âne n’avançait pas. Le pauvre homme lui donna quelques coups de sabot dans le ventre, et l’âne tomba. Gilliatt accourut pour relever l’âne, l’âne était mort. Gilliatt souffleta le pauvre homme.
Un autre jour, voyant un garçon descendre d’un arbre avec une couvée de petits épluque-pommiers nouveau-nés, presque sans plumes et tout nus, Gilliatt prit cette couvée à ce garçon, et poussa la méchanceté jusqu’à la reporter dans l’arbre.
Des passants lui en firent des reproches, il se borna à montrer le père et la mère épluque-pommiers qui criaient au-dessus de l’arbre et qui revenaient à leur couvée. Il avait un faible pour les oiseaux. C’est un signe auquel on reconnaît généralement les magiciens.
Les enfants ont pour joie de dénicher les nids de goélands et de mauves dans les falaises. Ils en rapportent des quantités d’œufs bleus, jaunes et verts avec lesquels on fait des rosaces sur les devantures des cheminées. Comme les falaises sont à pic, quelquefois le pied leur glisse, ils tombent, et se tuent. Rien n’est joli comme les paravents décorés d’œufs d’oiseaux de mer. Gilliatt ne savait qu’inventer pour faire le mal. Il grimpait, au péril de sa propre vie, dans les escarpements des roches marines, et y accrochait des bottes de foin avec de vieux chapeaux et toutes sortes d’épouvantails, afin d’empêcher les oiseaux d’y nicher, et, par conséquent, les enfants d’y aller.
C’est pourquoi Gilliatt était à peu près haï dans le pays. On le serait à moins.
Autres côtés louches de Gilliatt
L’opinion n’était pas bien fixée sur le compte de Gilliatt.
Généralement on le croyait marcou, quelques-uns allaient jusqu’à le croire cambion. Le cambion est le fils qu’une femme a du diable.
Quand une femme a d’un homme sept enfants mâles consécutifs, le septième est marcou. Mais il ne faut pas qu’une fille gâte la série des garçons.
Le marcou a une fleur de lys naturelle empreinte sur une partie quelconque du corps, ce qui fait qu’il guérit les écrouelles aussi bien que les rois de France. Il y a des marcous en France un peu partout, particulièrement dans l’Orléanais. Chaque village du Gâtinais a son marcou. Il suffit, pour guérir les malades, que le marcou souffle sur leurs plaies ou leur fasse toucher sa fleur de lys. La chose réussit surtout dans la nuit du vendredi saint. Il y a une dizaine d’années, le marcou d’Ormes en Gâtinais, surnommé le Beau Marcou et consulté de toute la Beauce, était un tonnelier appelé Foulon, qui avait cheval et voiture. On dut, pour empêcher ses miracles, faire jouer la gendarmerie. Il avait la fleur de lys sous le sein gauche. D’autres marcous l’ont ailleurs.
Il y a des marcous à Jersey, à Aurigny et à Guernesey. Cela tient sans doute aux droits que la France a sur le duché de Normandie. Autrement, à quoi bon la fleur de lys ?
Il y a aussi dans les îles de la Manche des scrofuleux ; ce qui rend les marcous nécessaires.
Quelques personnes s’étant trouvées présentes un jour que Gilliatt se baignait dans la mer avaient cru lui voir la fleur de lys. Questionné là-dessus, il s’était, pour toute réponse, mis à rire. Car il riait comme les autres hommes, quelquefois. Depuis ce temps-là, on ne le voyait plus se baigner ; il ne se baignait que dans des lieux périlleux et solitaires.
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