En vous écoutant, il me semble que la folie trouble mon cerveau et que mon pauvre cœur à moi brûle. Oh! dites-moi seulement que vous ne m'avez pas donné à boire un philtre infernal...

—Je t'ai donné la sincérité de mon âme.

—Assez, assez, Don Juan... Je ne pourrais plus résister. Oh! je sens que je vais à vous comme ce fleuve va à la mer. Pitié! pitié! Don Juan! Arrache-moi le cœur ou aime-moi parce que je t'adore!

—Mon cœur, cette parole change mon être au point de me laisser espérer que l'Éden s'ouvrira pour moi. Non, Doña Inès, ce n'est pas Satan qui m'inspire cet amour, c'est Dieu qui veut sans doute par toi me gagner à lui... Bannis toute inquiétude, à tes pieds je me sens capable de vertu. Oui, mon orgueil, je te le promets, s'inclinera devant le bon commandeur. Il m'accordera ta main ou n'aura qu'à me tuer.

—Don Juan de mon cœur!

—Silence! Avez-vous entendu... Une barque vient d'aborder. Je vois des hommes qui se dirigent vers la maison. Veuillez m'attendre quelques instants.»

ENLEVEMENT DE DONA INES
PLANCHE IV
Eug. Devéria.—ENLÈVEMENT DE DONA INÈS

Mais le valet de Don Juan, Ciutti, accourait. Il rencontra son maître qui descendait au grand salon d'entrée, mal éclairé aux chandelles.

«Seigneur, sauvez votre vie, lui dit-il.

—Qu'y a-t-il?

—Le commandeur arrive avec des gens armés.

—Laisse-le entrer, lui seulement...

—Mais, seigneur...

—Obéis-moi...»

Mais déjà Don Gonzalo, bousculant violemment la porte, venait de pénétrer dans la salle.

«Où est-il ce traître?» criait-il, agitant son épée.

Don Juan s'avança:

«Me voici, dit-il, mais faites attendre, je vous prie, ces gens à la porte!»

Le commandeur, étonné de ce calme, fit signe à sa troupe de demeurer au dehors. Alors Don Juan s'avança et poliment mit un genou à terre devant Don Gonzalo.

«Me voici à tes pieds.

—Tu es donc vil jusque dans tes crimes, Don Juan?

—Retiens ta langue, vieillard, et écoute-moi un instant.

—Comment les paroles pourraient-elles effacer ce que la main a écrit sur ce papier? Aller surprendre, infâme, l'extrême candeur de celle qui ne pouvait soupçonner le poison contenu dans ces lignes! Verser traîtreusement dans son âme chaste le fiel qui déborde de ton âme sans foi ni vertu. Vouloir ainsi ternir l'éclatante pureté de mon blason comme s'il était une guenille dédaignée d'un marchand. Est-ce là, Tenorio, le courage dont tu te vantes? Est-ce là cette audace proverbiale que t'attribue le vulgaire craintif? Avec les vieillards et les jeunes filles tu en fais étalage, et pourquoi? vive Dieu! pour venir ensuite lécher leurs pieds et prouver ainsi que tu manques à la fois de courage et d'honneur.

—Commandeur!

—Misérable! Tu as volé ma fille Inès dans son couvent, et je viens, moi, prendre ta vie ou mon bien.

—Jamais mon front ne s'est incliné devant aucun homme; jamais je n'ai supplié ni père ni roi, et je reste à tes pieds dans la position où tu me vois. Juge, Gonzalo, de la puissance du motif qui m'y retient.

—Ce qui t'y retient, c'est la peur de ma justice.

—Par Dieu! Écoute-moi, commandeur, ou je ne saurai me contenir. Je redeviendrai ce que j'ai toujours été et ce qu'à cette heure je ne voudrais plus être.

—Vive Dieu!

—Commandeur, j'idolâtre Doña Inès. Je suis convaincu que le ciel me l'a réservée pour ramener mes pas dans le droit chemin. Ce n'est pas sa beauté que j'aime ni sa grâce que j'adore, mais, Don Gonzalo, j'adore la vertu personnifiée en Doña Inès. Ce que ni juges ni évêques n'ont obtenu de moi par les cachots et les sermons, sa candeur l'a obtenu. Son amour fait de moi un autre homme; il régénère mon être. Elle peut transformer en un ange celui qui était un démon. Comprends-tu enfin, Don Gonzalo, ce que t'offre l'audacieux Don Juan Tenorio, agenouillé devant toi? Je serai l'esclave de ta fille; je vivrai dans ta maison; tu gouverneras mes biens et me diras: Voilà ce qui doit être. Indique-moi le temps de ma réclusion. Je me soumets à toutes les épreuves que tu exigeras de mon audace et de ma fierté. Je les subirai dans la forme que tu me prescriras; et quand ta conscience jugera que j'ai su la mériter, je lui donnerai un bon mari, et elle me donnera le paradis.

—Assez, Don Juan. Je ne sais comment j'ai pu me contenir en entendant les honteuses preuves de ton infâme effronterie. Don Juan, tu es un lâche.