Elles ne hantent, du moins à ma connaissance, que des gens comme il faut, titrés, riches, chevaliers et, parmi le clergé, jamais moins que des chanoines. Près d'elles un bourgeois perdrait ses écus et un moine son latin. Écoute, regarde et profite donc. Prends un costume avantageux; ces dames sont reines de la mode. Si, elles te découvrent joli, les autres te trouveront charmant.
«Le rendez-vous est à huit heures. Je vais, de ce pas, chez un théologien de l'ordre, avec lequel j'ai à traiter d'affaires. Je reviendrai te prendre au coucher du soleil. Sois prêt.»
Ébloui, enivré, consterné de ces paroles, Juan passa le reste de la journée dans une agitation violente. Une vraie fête! Une orgie, peut-être! Tout cela lui semblait merveilleux et terrible.
Il revêtit un pourpoint bleu de ciel, brodé de soie blanche, manches de dessous et chausses de soie blanche aussi.
Jorge loua la simplicité de ce costume qui faisait ressortir l'éclatante beauté du jeune homme.
«Tu as eu tort, lui dit-il seulement, de prendre l'épée que t'a donnée ton parrain: c'est une arme de parade ou guerre et non de promenade. J'ai ce qu'il te faut, une rapière à riche garde, dont le fourreau, en velours bleu de ciel, s'harmonisera parfaitement à ton habit.
«Essaie-la toi-même. Tu verras qu'elle est bonne, bien montée et bien trempée. Tout le poids est dans la garde; la lame est légère et simple. Elle vient, la marque du petit chien en fait foi, de Romero, le meilleur armurier de Tolède.
«J'ai eu plus d'une fois l'occasion de m'en servir et n'ai jamais eu qu'à m'en louer. Je l'ai, en maintes rencontres, prêtée à des amis qui ont toujours tué ou blessé leur homme. C'est ce que je puis appeler une épée heureuse. Elle te portera bonheur. Je te la donne.»
Juan ceignit la rapière, remercia son oncle et partit avec lui.
Le cœur lui battait fort en entrant chez Don Rinalte. Celui-ci vint à la rencontre de ses hôtes dès qu'ils furent annoncés.
C'était un homme d'une quarantaine d'années, gros et grand, l'allure d'un seigneur et d'un bon vivant.
Dans le salon se trouvaient déjà les autres convives.
La vue des femmes mit un éblouissement dans l'âme de Juan. Il les admirait toutes trois sans les distinguer encore.
Dès l'abord, elles ne se firent point faute de le regarder. Jamais elles n'avaient vu de jeune homme aussi accompli. Les femmes galantes savent juger du premier coup d'œil la beauté masculine.
Juan se trouvait quelque peu embarrassé de cet examen. Il craignait plutôt d'être un objet de ridicule que d'admiration.
Mais les autres hommes ne s'y trompèrent pas. Les deux anciens échangèrent un sourire, tandis que le plus jeune pinçait les lèvres.
Don Niceto Iglesias, dans sa vingt-cinquième année, avait l'œil vif, les dents blanches, les cheveux noirs, les traits réguliers et fins, la taille svelte, toute la grâce andalouse enfin.
Une main habile avait, de plus, parfait l'élégance de son magnifique costume, satin et velours, or et broderies. Un soin méticuleux avait présidé à sa toilette capillaire.
Il passait pour le plus joli garçon de Séville. Il le savait et tenait à cette réputation.
À l'instant, il se sentit dépossédé. La supériorité de son nouveau concurrent était trop manifeste et ne permettait pas le doute. Le jugement des trois courtisanes n'était-il point du reste sans appel?
Don Niceto devint sur-le-champ jaloux de Don Juan et, pour un fat comme pour une coquette, la jalousie c'est la haine. Mais c'était un homme bien élevé, qui connaissait son monde. Et puis n'était-il pas plus habile de prendre son parti d'une défaite inévitable?
Il se résolut donc à traiter en ami ce rival inconnu et dans le fond du cœur détesté.
Juan s'efforça de répondre dignement aux prévenances du jeune cavalier, mais il eut beau faire pour être cordial, il ne fut que poli. L'instinct lui faisait pressentir un ennemi sous ces dehors bienveillants, comme un serpent sous des fleurs.
Les deux portes du salon s'ouvrirent toutes grandes, et le maître d'hôtel, suivi des laquais porte-flambeaux, annonça que le souper était servi.
Les femmes se débarrassèrent de leurs mantilles.
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