« À pleurer de laideur ». Il goutte même l’eau de la source, censée accomplir des miracles, et la trouve « bonne et claire ». À la basilique, il regrette la présence de « bibelots » : « Cela ressemble beaucoup à ma salle de billard, à Meulan », note-t-il, ironique.

 

Cierges et bimbeloterie

Pourtant, de l’ironie, il n’y en a guère chez lui. Zola n’a pas le rire sarcastique de Voltaire contre la religion chrétienne. Il n’a pas la foi, ne croit pas aux miracles, c’est certain, mais avant de juger, il compatit. À un prêtre qui lui dit, montrant la foule des pèlerins et des malades, « Vous voyez, quelle foi ! », il répond : « Sans doute, mais plutôt quel ardent désir de la terre, de la vie. C’est le besoin du bonheur, de l’égalité dans la santé. »

Il ne se contente pas d’observer, il enquête. Ce pèlerinage est devenu une bonne affaire qui, avance-t-il, doit « se solder par des millions ». La petite ville de Lourdes en a été complètement transformée, et les marchands du temple sont là. Partout, les gens s’affairent, cherchant à loger ou à nourrir le pèlerin, « jusque chez les coiffeurs ». L’industrie du cierge et de la bimbeloterie religieuse prospère. Et il découvre, un peu surpris, que la prostitution va bon train. On couche beaucoup à Lourdes, lui raconte son logeur, Pierre Dalavat, un greffier de justice républicain.

En 1892, l’apparition de la Vierge dans la grotte de Massabielle ne date que d’un peu plus de trois décennies, et Bernadette Soubirous n’est morte que treize ans plus tôt à l’âge de 35 ans. Émile Zola va donc pouvoir rencontrer des témoins de cet épisode. En voiture à cheval, il se rend à Bartrès, le village proche où le père de Bernadette exerçait le métier de meunier, avant sa ruine. Leur maison a brûlé. « C’est Bethléem », s’exclame-t-il, mais il ne trouve pas grand-chose et s’en revient à Lourdes après avoir bu un sirop de cassis avec le curé. L’abbé Pomian est un réaliste : il avait préparé Bernadette à sa première communion et témoigne que c’était « une simple d’esprit, très ordinaire ». Le frère de Bernadette, qui s’est établi comme marchand d’objets de piété, n’est guère bavard « quoique poli ». Pour la petite Soubirous du roman à venir, il faudra inventer. « J’ai idéalisé Bernadette qui n’était qu’une pauvre idiote », confiera plus tard Émile Zola.

L’apparition de la Vierge ? Il n’y croit pas un instant. Bernadette affirme l’avoir vue à dix-huit reprises, jusqu’au 16 juillet 1858, et Mgr Laurence, l’évêque de Tarbes, a confirmé, quatre ans plus tard : « Cette apparition revêt tous les caractères de la vérité. » Foi contre raison. C’est une « hallucination » d’une « irrégulière de l’hystérie », d’une « dégénérée », écrit-il dans ses carnets. Il ne croit pas plus aux miracles, après les heures passées au « bureau des constatations ». Pour convaincre le mécréant, on lui présente bien une jeune miraculée. Clémentine Trouvé, guérie d’une carie des os en 1891. « Une maligne », tranche Zola. S’il reste sceptique devant les miracles, il se passionne en revanche pour « la mystique collective de la croyance aux miracles », raconte son biographe Henri Mitterrand[2]. Ce « soulèvement de tous ces pauvres êtres, un désir de santé, de vie immense », le transporte, même s’il s’amuse de la comédie humaine dont Lourdes est le théâtre. Une scène sur laquelle s’affrontent les « Hospitalités », chargées d’accueillir les malades, où un abbé souffre de la goutte sans jamais essayer de se plonger dans les piscines qui ne sont qu’« un bain de microbes »...

 

« Crétin des Pyrénées »

Le 1er septembre 1892, Émile Zola quitte Lourdes après deux semaines d’enquête.