Mais, le lendemain matin seulement, elle put avoir ce verre d’eau, elle cria : « Oh ! ma fille, c’est la vie que je bois, lave-moi le visage, le bras, la jambe, tout le corps ! » Et, à mesure que l’enfant lui obéissait, elle voyait l’enflure énorme s’affaisser, les membres paralysés reprendre leur souplesse et leur aspect naturel... Ce n’est pas tout, Mme Rizan criait qu’elle était guérie, qu’elle avait faim, qu’elle voulait du pain et de la viande, elle qui n’en avait pas mangé depuis vingt-quatre ans. Et elle se leva, et elle s’habilla, pendant que sa fille répondait aux voisines qui la croyaient orpheline, en la voyant bouleversée : « Non, non ! maman n’est pas morte, elle est ressuscitée ! »

Des larmes étaient montées aux yeux de Mme Vincent. Mon Dieu ! si elle avait pu voir Rose se relever ainsi, et manger de bon appétit, et courir ! Un autre cas, celui d’une jeune fille, qu’on lui avait conté à Paris et qui était pour beaucoup dans sa décision de mener à Lourdes sa petite malade, lui revint à la mémoire.

« Moi aussi, je connais l’histoire d’une paralytique, Lucie Druon, la pensionnaire d’un orphelinat, toute jeune encore, qui ne pouvait plus même s’agenouiller. Ses membres s’étaient tordus en cerceaux ; sa jambe droite, plus courte, avait fini par s’enrouler autour de la gauche, et, quand une de ses camarades la portait, on voyait ses pieds, comme morts, se balancer dans le vide... Remarquez qu’elle n’est pas allée à Lourdes. Elle a fait simplement une neuvaine ; mais elle a jeûné pendant les neuf jours, et son désir de guérir était si grand, qu’elle passait les nuits en prière... Enfin, les neuvième jour, comme elle buvait un peu d’eau de Lourdes, elle eut dans les jambes une violente commotion. Elle se leva, retomba se releva et marcha. Toutes ses compagnes, étonnées, presque effrayées, criaient : « Lucie marche ! Lucie marche ! » Et c’était vrai, ses jambes étaient redevenues en quelques secondes droites saines et fortes. Elle traversa la cour, put monter à la chapelle où toute la communauté, transportée de reconnaissance, chanta le Magnificat... Ah ! la chère enfant, elle devait être heureuse bien heureuse ! »

Deux larmes achevèrent de couler de ses joues sur le visage pâle de sa fille, qu’elle baisa éperdument.

Mais l’intérêt grandissait toujours, la joie ravie de ces beaux contes, où le Ciel à tous coups triomphait des réalités humaines exaltait ces âmes d’enfant, au point que les plus malades se redressaient, à leur tour, et retrouvaient la parole. Et, derrière le récit de chacun, il y avait la préoccupation de son mal, la confiance qu’il guérirait, puisqu’une maladie identique s’était effacée comme un vilain songe, au souffle divin.

« Ah ! bégaya Mme Vêtu, la bouche empâtée de souffrance, il y en avait une, Antoinette Thardivail, dont l’estomac était dévoré comme le mien. On aurait dit que des chiens le lui mangeaient, et il devenait parfois plus gros que la tête d’un enfant. Des tumeurs y poussaient, pareilles à des œufs de poule, si bien que, pendant huit mois, elle avait vomi du sang... Elle aussi allait expirer, la peau collée sur les os, mourant de faim, lorsqu’elle but de l’eau de Lourdes et s’en fit laver le creux de l’estomac. Trois minutes après, son médecin qui l’avait quittée, la veille, agonisante, sans souffle, la trouva levée, assise au coin de son feu, se régalant avec appétit d’une aile de poulet bien tendre. Elle n’avait plus de tumeurs, elle riait comme à vingt ans, son visage venait de reprendre l’éclat de la jeunesse... Ah ! manger ce qui vous plaît redevenir jeune, ne plus souffrir !

– Et la guérison de sœur Julienne ! dit la Grivotte, qui se releva sur un coude, les yeux brillants de fièvre. Ça l’avait prise par un mauvais rhume, comme moi ; puis, elle s’était mise à cracher le sang. Tous les six mois, elle retombait, il lui fallait reprendre le lit. La dernière fois, on avait bien vu qu’elle y resterait. Vainement, on avait essayé de tous les remèdes, l’iode, les vésicatoires, les pointes de feu. Enfin, une vraie phtisique, celle-là que six médecins avaient reconnue comme telle... Bon ! la voilà qui vient à Lourdes, et Dieu sait au milieu de quelles souffrances ! à tel point qu’à Toulouse, on crut un instant qu’elle passait. Les sœurs la portaient dans leurs bras. À la piscine, les dames hospitalières ne voulaient pas la baigner. C’était une morte... Eh bien ! on l’a déshabillée, on l’a plongée sans connaissance et toute couverte de sueur, on l’a retirée si pâle, qu’on l’a déposée par terre, en pensant que c’était bien fini cette fois. Brusquement ses joues se sont colorées, ses yeux se sont ; ouverts, elle a respiré fortement.