La jambe s’étendait, les muscles s’allongeaient, le genou se remettait en place, au milieu d’une douleur si forte, que Joachime avait fini par s’évanouir. Mais, quand elle revint à elle, elle s’élança droite et agile, pour porter ses béquilles à la Grotte. »
M. de Guersaint, lui aussi, riait d’émerveillement, confirmait du geste ce récit, qu’il tenait d’un père de l’Assomption. Il aurait pu, disait-il, raconter vingt cas semblables, plus touchants, plus extraordinaires les uns que les autres. Il en appelait au témoignage de Pierre ; et celui-ci, qui ne croyait pas, se contentait de hocher la tête. D’abord, ne voulant point affliger Marie, il s’était efforcé de se distraire, de regarder, au-dehors, les champs, les arbres, les maisons qui défilaient. On venait de dépasser Angoulême, des prairies s’élargissaient, des lignes de peupliers fuyaient, dans le mouvement d’éventail continu de la vitesse. Sans doute, on était en retard, car le train, lancé à toute vapeur, grondait sous l’orage, au travers de l’air en feu, dévorant les kilomètres. Et Pierre, malgré lui, entendait quand même des bouts de récit, s’intéressait à ces histoires extravagantes, que berçaient les durs cahots des roues, comme si la locomotive, éperdue et lâchée, les eut tous conduits au divin pays des rêves. On roulait, on roulait toujours, et il finit par cesser de regarder au-dehors, par s’abandonner à l’air lourd et endormeur du wagon, où grandissait une extase, loin de ce monde réel, qu’on traversait d’une course si rapide. Le visage ranimé de Marie le pénétrait de joie. Il lui abandonna sa main, qu’elle avait prise, pour lui dire, dans une étreinte, toute la confiance qui renaissait en elle. Pourquoi donc l’aurait-il découragée par son doute, puisqu’il souhaitait sa guérison ? Aussi gardait-il avec une tendresse infinie, cette petite main moite de malade, bouleversé de fraternité souffrante, voulant croire à la pitié des choses, à une bonté supérieure qui ménageait la douleur aux désespérés.
« Oh ! Pierre, répéta-t-elle, que c’est beau, que c’est beau ! Et quelle gloire, si la Sainte Vierge veut bien se déranger pour moi !... Vraiment, croyez-vous que j’en sois digne ?
– Certes, s’écria-t-il, vous êtes la meilleure et la plus pure, une âme toute blanche, comme disait votre père, et il n’y a pas assez de bons anges dans le paradis pour vous faire escorte. »
Mais ce n’était pas fini. Sœur Hyacinthe et Mme de Jonquière, maintenant, disaient tous les miracles qu’elles savaient, la longue suite des miracles qui, depuis plus de trente ans, fleurissaient à Lourdes, comme la floraison ininterrompue des roses sur le rosier mystique. On les comptait par milliers, ils repoussaient chaque année, avec une verdeur de sève prodigieuse, plus éclatants à chaque saison. Et les malades, écoutant ces merveilles dans une fièvre croissante, étaient pareils aux petits enfants, qui, après un beau conte de fées, en veulent un autre, et un autre, et un autre encore. Oh ! encore, encore des histoires, où la réalité mauvaise est bafouée, où l’injuste nature est souffletée, où le bon Dieu intervient comme le guérisseur suprême, celui qui se moque de la science et qui fait du bonheur à sa guise !
Ce furent d’abord les sourds et les muets qui entendaient et qui parlaient : Aurélie Bruneau, incurable, le tympan brisé, qui tout d’un coup est ravie par les sons célestes d’un harmonium ; Louise Pourchet, muette depuis quarante-cinq ans, qui, en prière devant la Grotte, s’écrie soudain : « Je vous salue Marie ! » ; et d’autres, des centaines d’autres qui sont radicalement guéries, pour avoir versé quelques gouttes d’eau dans leurs oreilles ou sur leur langue. Puis, les aveugles défilèrent : le père Hermann, qui sentit la main douce de la Sainte Vierge lui enlever le voile qu’il avait sur les yeux ; Mlle de Pontbriant, menacée de perdre les deux yeux et recouvrant une vue meilleure que jamais, à la suite d’une simple prière, un autre, un enfant de douze ans, dont les cornées ressemblaient à des billes de marbre, et qui retrouva, en trois secondes des yeux clairs et profonds, où les anges semblaient sourire. Mais surtout, ce sont les paralytiques qui abondent, les misérables perclus des deux jambes, les infirmes gisant sur leur lit de misère auxquels le Seigneur dit : « Lève-toi et marche ! » Delaunoy ataxique, cautérisé, brûlé, pendu, rentré quinze fois dans les hôpitaux de Paris, d’où il rapporte les diagnostics concordants de douze médecins, sent une force qui le soulève sur le passage du saint sacrement, et se met à le suivre, les jambes saines. Marie-Louise Delpon, âgée de quatorze ans, dont la paralysie avait raidi les jambes, rétracté les mains, tiré la bouche de côté, voit ses membres se dénouer, la contorsion de sa bouche disparaître, comme si une main invisible coupait les affreux liens qui la déformaient. Marie Vachier, clouée depuis dix-sept ans dans son fauteuil par la paraplégies, non seulement court et vole au sortir de la piscine, mais ne retrouve même plus la trace des plaies dont sa longue immobilité avait couvert son corps. Et Georges Hanquet atteint de ramollissement à la moelle épinière, d’une insensibilité absolue, passe sans transition de l’agonie à une santé parfaite. Et Léonie Charton, une autre ramollie de la moelle, dont les vertèbres font une saillie considérable, sent fondre sa bosse comme par enchantement, pendant que ses jambes se redressent, des jambes neuves et vigoureuses.
Ensuite, ce furent toutes sortes de maux. D’abord, les accidents de la scrofule, encore des jambes perdues et refaites : Marguerite Gehier, malade d’une coxalgie depuis vingt-sept ans, la hanche dévorée par le mal, le genou droit ankylosé, tombant brusquement à genoux, pour remercier la Sainte Vierge de sa guérison ; Philomène Simonneau, la jeune Vendéenne, la jambe gauche trouée par trois plaies horribles, au fond desquelles les os cariés, à découvert laissaient tomber des esquilles, et dont les os, la chair et la peau se reforment. Puis vinrent les hydropiques : Mme Ancelin, dont les pieds, les mains, le corps entier se dégonfla, sans qu’on pût savoir où toute l’eau était passée ; Mlle Montagnon, dont on avait retiré à plusieurs reprises vingt-deux litres d’eau, et qui, enflée de nouveau, se vida sous la simple application d’une compresse trempée à la source miraculeuse, sans qu’on retrouvât non plus rien, ni dans le lit, ni sur le plancher. Et, de même, pas une maladie de l’estomac ne résiste, toutes disparaissent au premier verre. C’est Marie Souchet qui vomit du sang noir, d’une maigreur de squelette, et qui dévore, qui retrouve son embonpoint en deux jours. C’est Marie Jarland qui s’est brûlé l’estomac, en buvant par erreur un verre d’eau de cuivre, et qui sent la tumeur, venue à la suite, se fondre. Du reste, les plus grosses tumeurs s’en vont de la sorte, dans la piscine, sans laisser la moindre trace.
1 comment