Une religion nouvelle! une religion nouvelle! et n'était-ce pas le vieux catholicisme qui, dans cette terre contemporaine où tout semblait devoir favoriser ce miracle, allait renaître, jeter des rameaux verts, s'épanouir en une toute jeune et immense floraison?

Enfin, dans la troisième partie de son livre, Pierre avait dit, en phrases enflammées d'apôtre, ce qu'allait être l'avenir, ce catholicisme rajeuni, apportant aux nations agonisantes la santé et la paix, l'âge d'or oublié du christianisme primitif. Et, d'abord, il débutait par un portrait attendri et glorieux de Léon XIII, le pape idéal, le prédestiné chargé du salut des peuples. Il l'avait évoqué, il l'avait vu ainsi, dans son désir brûlant de la venue d'un pasteur qui mettait fin à la misère. Ce n'était pas un portrait d'étroite ressemblance, mais le sauveur nécessaire, l'inépuisable charité, le cœur et l'intelligence larges, tels qu'il les rêvait. Pourtant, il avait fouillé les documents, étudié les encycliques, basé la figure sur les faits: l'éducation religieuse à Rome, la courte nonciature à Bruxelles, le long épiscopat à Pérouse. Dès que Léon XIII est pape, dans la difficile situation laissée par Pie IX, se révèle la dualité de sa nature, le gardien inébranlable du dogme, le politique souple, résolu à pousser la conciliation aussi loin qu'il le pourra. Nettement, il rompt avec la philosophie moderne, il remonte, par delà la Renaissance, au moyen âge, il restaure dans les écoles catholiques la philosophie chrétienne, selon l'esprit de saint Thomas d'Aquin, le docteur angélique. Puis, le dogme mis de la sorte à l'abri, il vit d'équilibre, donne des gages à toutes les puissances, s'efforce d'utiliser toutes les occasions. On le voit, d'une activité extraordinaire, réconcilier le Saint-Siège avec l'Allemagne, se rapprocher de la Russie, contenter la Suisse, souhaiter l'amitié de l'Angleterre, écrire à l'empereur de la Chine pour lui demander de protéger les missionnaires et les chrétiens de son empire. Plus tard, il interviendra en France, reconnaîtra la légitimité de la République. Dès le début, une pensée se dégage, la pensée qui fera de lui un des grands papes politiques; et c'est, d'ailleurs, la pensée séculaire de la papauté, la conquête de toutes les âmes, Rome centre et maîtresse du monde. Il n'a qu'une volonté, qu'un but, travailler à l'unité de l'Église, ramener à elle les communions dissidentes, pour la rendre invincible, dans la lutte sociale qui se prépare. En Russie, il tâche de faire reconnaître l'autorité morale du Vatican; en Angleterre, il rêve de désarmer l'Église anglicane, de l'amener à une sorte de trêve fraternelle; mais, en Orient surtout, il convoite un accord avec les Églises schismatiques, qu'il traite en simples sœurs séparées, dont son cœur de père sollicite le retour. De quelle force victorieuse Rome ne disposerait-elle pas, le jour où elle régnerait sans conteste sur les chrétiens de la terre entière?

Et c'est ici qu'apparaît l'idée sociale de Léon XIII. Encore évêque de Pérouse, il avait écrit une lettre pastorale, où se montrait un vague socialisme humanitaire. Puis, dès qu'il a coiffé la tiare, il change d'opinion, foudroie les révolutionnaires, dont l'audace alors terrifiait l'Italie. Tout de suite, d'ailleurs, il se reprend, averti par les faits, comprenant le danger mortel de laisser le socialisme aux mains des ennemis du catholicisme. Il écoute les évêques populaires des pays de propagande, cesse d'intervenir dans la querelle irlandaise, retire l'excommunication dont il avait frappé aux États-Unis les Chevaliers du travail, défend de mettre à l'index les livres hardis des écrivains catholiques socialistes. Cette évolution vers la démocratie se retrouve dans ses plus fameuses encycliques: Immortale Dei, sur la constitution des États; Libertas, sur la liberté humaine; Sapientiæ, sur les devoirs des citoyens chrétiens; Rerum novarum, sur la condition des ouvriers; et c'est particulièrement cette dernière qui semble avoir rajeuni l'Église. Le pape y constate la misère imméritée des travailleurs, les heures de travail trop longues, le salaire trop réduit. Tout homme a le droit de vivre, et le contrat extorqué par la faim est injuste. Ailleurs, il déclare qu'on ne doit pas abandonner l'ouvrier, sans défense, à une exploitation qui transforme en fortune pour quelques-uns la misère du plus grand nombre. Forcé de rester vague sur les questions d'organisation, il se borne à encourager le mouvement corporatif, qu'il place sous le patronage de l'État; et, après avoir ainsi restauré l'idée de l'autorité civile, il remet Dieu en sa place souveraine, il voit surtout le salut par des mesures morales, par l'antique respect dû à la famille et à la propriété. Mais cette main secourable de l'auguste vicaire du Christ, tendue publiquement aux humbles et aux pauvres, n'était-ce pas le signe certain d'une nouvelle alliance, l'annonce d'un nouveau règne de Jésus sur la terre? Désormais, le peuple savait qu'il n'était pas abandonné. Et, dès lors, dans quelle gloire était monté Léon XIII, dont le jubilé sacerdotal et le jubilé épiscopal avaient été fêtés pompeusement, parmi le concours d'une foule immense, des cadeaux sans nombre, des lettres flatteuses envoyées par tous les souverains!

Ensuite, Pierre avait traité la question du pouvoir temporel, ce qu'il croyait devoir faire librement. Sans doute il n'ignorait pas que, dans sa querelle avec l'Italie, le pape maintenait aussi obstinément qu'au premier jour ses droits sur Rome; mais il s'imaginait qu'il y avait là une simple attitude nécessaire, imposée par des raisons politiques, et qui disparaîtrait, quand sonnerait l'heure. Lui, était convaincu que, si jamais le pape n'avait paru plus grand, il devait à la perte du pouvoir temporel cet élargissement de son autorité, cette splendeur pure de toute-puissance morale où il rayonnait. Quelle longue histoire de fautes et de conflits que celle de la possession de ce petit royaume de Rome, depuis quinze siècles! Au quatrième siècle, Constantin quitte Rome, il ne reste au Palatin vide que quelques fonctionnaires oubliés, et le pape, naturellement, s'empare du pouvoir, la vie de la cité passe au Latran. Mais ce n'est que quatre siècles plus tard que Charlemagne reconnaît les faits accomplis, en donnant formellement au pape les États de l'Église. La guerre, dès lors, n'a plus cessé entre la puissance spirituelle et les puissances temporelles, souvent latente, parfois aiguë, dans le sang et dans les flammes.