Quel pays ! Pas moyen de dormir ! Ils ont fait cette fois un grabuge épouvantable, dix fois plus qu'avant-hier. Toute la population va fuir si ça continue. Il y a des victimes en masse et des immeubles effondrés en quantité. Beaucoup de dégâts dont près de Saint-Louis au Luxembourg. (Nous avons été encadrés par les bombes.)

N.B. : Je suis vivant.

Sept bombes boulevard Saint-Germain dont trois sur le ministère de la Guerre près de la rue Saint-Dominique, en face de chez tante.

17

[Bourg-la-Reine, Lycée Lakanal, 191826]

 

Ma chère maman,

 

Je vais bien, j'ai reçu hier une lettre de vous.

Nous ne sommes pas mal ici quoique le lycée Saint-Louis ait affecté à notre usage, pour nous accompagner ici, ses plus intolérables surveillants.

Il y a bien aussi un parc, mais il est interdit d'y aller. Heureusement, les cours sont immenses, plantées d'arbres, etc.

Monsieur Corot27 est inimaginablement épatant. J'ai de l'espoir. Croyez-vous que je serai reçu ?

Madame Jordan va m'avoir le samedi soir et me loger. Ce sera très agréable pour moi. (Mon écriture est affreuse : je suis pressé.)

Je n'ai pas trop le cafard, quoique plus ici qu'à Paris, étant donné l'isolement où nous sommes perdus dans cet immense lycée.

Il y a moyen je crois d'avoir une chambre. Mettez en tout cas dans votre lettre suivante : « Demande à avoir une chambre, je t'y autorise. » Je me servirai de votre lettre, le cas échéant, car il vaut mieux avoir votre lettre en réserve pour que le jour où ils nous en offriront, le nombre étant limité, je sois sûr d'avoir la mienne en arrivant un des premiers. Ce jour-là est d'ailleurs proche.

Il fait un temps maussade et pas chaud du tout. J'ai d'ailleurs à mon avis tout ce qu'il me faut en fait de linge et de vêtements. J'aurais simplement besoin d'une cravate que je m'achèterai dimanche.

Comment allez-vous ? J'espère que vous ne vous fatiguez pas trop dans votre ambulance. Avez-vous les images ? Envoyez-m'en et envoyez-moi, si vous l'avez, l'agrandissement. J'ai été voir Schæfer28 qui m'a montré une épreuve trop noire mais pas mal (ils tireront plus clair), j'y retourne samedi.

Tante Rose est toujours délicieuse, et ce qu'il y a de plus délicieux chez elle, qualités morales à part, ce sont les goûters, je goûte chez elle le dimanche et je vous jure que j'ai dans l'estomac du beurre pour toute la semaine... exquis, frais et fondant !

Ceci pour le physique de votre fils qui mange bien, dort bien et travaille bien.

 

ANTOINE.

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[Lakanal, juin 1918]

 

Ma chère maman,

 

J'espère que vous allez bien, je voudrais tant recevoir une lettre de vous. Si vous saviez comme vous me manquez : viendrez-vous me voir ?

Demain, dimanche, je sors, je ne suis pas consigné. (Nous ne sommes que quatre sur vingt à sortir). Il a été distribué cette semaine 208 heures de consigne !

Il fait beau ce soir, aussi peut-on infailliblement prévoir : Gothas, Réveil, Caves.