Lionel Lincoln (Le Siège de Boston)

img1.webp

James Fenimore Cooper

LIONEL LINCOLN

LE SIÈGE DE BOSTON

1825
Traduction par A.-J.-B. Defauconpret

PRÉFACE DE LA NOUVELLE ÉDITION DE LIONEL LINCOLN

Peut-être il n’y a pas de pays dont l’histoire prête moins à la poésie que celle des États-Unis d’Amérique. L’imprimerie était en usage longtemps avant l’établissement des premiers colons, et la politique des provinces et des États fut toujours d’encourager la propagation des lumières. Il n’y a donc pas dans toute l’histoire d’Amérique un fait obscur, et il n’y en a pas même de douteux ; tout est non seulement connu, mais si bien et si généralement connu, qu’il ne reste rien à embellir pour l’imagination d’un auteur. Il est vrai que le monde est tombé dans ses erreurs ordinaires relativement à des réputations individuelles, prenant pour guide les actions les plus frappantes et les plus facilement comprises, afin d’établir des conséquences sur lesquelles il se fonde pour appuyer un jugement, tandis que celui qui a profondément étudié la nature humaine sait que les défauts et les qualités les plus opposés se disputent souvent le même cœur. Mais le rôle du poète n’est point de détruire ces erreurs, car il n’y a pas de maladresse plus promptement suivie de châtiment que la tentative d’instruire des lecteurs qui ne veulent être qu’amusés. L’auteur connaît cette vérité par expérience, ainsi que par les difficultés qu’il rencontra en écrivant cet ouvrage, le seul ouvrage historique qu’il se soit permis ; et par la manière dont il fut reçu dans le public. Il a prouvé qu’il ne dédaignait pas l’opinion de ce dernier en discontinuant des tentatives dont l’inutilité lui avait été si clairement, quoique si poliment prouvée.

Lorsqu’un auteur de romans peut violer l’ordre des temps, choisir des coutumes et des événements dans différents siècles, et en faire sa propriété légitime, il ne doit accuser de son manque de succès que son défaut d’intelligence et de talent. Mais lorsque les circonstances sont opposées à ses succès, il lui est permis de dire, pour sa propre justification, surtout lorsqu’il admet ses erreurs en se rétractant, que sa principale faute est d’avoir tenté l’impossible.

Bien que l’auteur de cet ouvrage admette franchement que Lionel Lincoln n’est pas ce qu’il espérait qu’il serait lorsqu’il commença sa tâche, il pense cependant qu’il n’est pas sans quelques droits à l’attention du lecteur. Les batailles de Lexington et de Bunker’s Hill et le mouvement sur Prospect-Hill sont aussi exactement décrits que pouvait le faire un homme qui n’avait pas été témoin oculaire de ces importants événements. L’auteur n’épargna aucune peine en examinant les documents, soit anglais, soit américains, et consulta bien des autorités particulières avec un ferme désir de parvenir jusqu’à la vérité. Le terrain fut visité et examiné avec soin, et les différentes relations furent balancées par une comparaison sévère avec les probabilités. L’auteur ne s’en tint pas là ; il se procura même un journal de l’état du temps, et respecta minutieusement, dans son ouvrage, les variations de l’atmosphère. Ainsi, celui qui prend intérêt à tous ces détails peut être assuré que tout ce qu’il lira dans Lionel Lincoln sur ces faits particuliers est de la plus parfaite exactitude. Au moment où parut cet ouvrage, les faiseurs de Revues ont donc eu tort de reprocher à l’auteur son indifférence pour les lois de la nature, en mettant trop souvent en scène le clair de lune. Le critique, dans son zèle, oubliait le fait matériel, que le cours de la lune change de mois en mois ; il se souviendra maintenant que le journal météorologique était sous les yeux de l’auteur, pendant tout le temps où il fut occupé de ce roman.

Les ouvrages d’imagination sont rarement compris, même par ceux qui ont toute l’habileté nécessaire pour les juger. Un article, certainement très-favorable au livre, si l’on considère ses mérites, contenait la remarque que la conception et le dessin des caractères de l’idiot et du fou avaient dû donner beaucoup de peine à l’auteur. Il sera donc juste d’ajouter que Job Pray et Ralph sont des hommes que l’auteur a connus, et qu’il a conservé jusqu’à leur langage, autant que la narration le lui permettait.

Lionel Lincoln, comme la plupart des ouvrages du même auteur, fut imprimé primitivement sur un manuscrit qui n’avait point été recopié, sujet à toutes les imperfections qui font travailler la plume et la presse pari passa. Dans cette édition, beaucoup de fautes inséparables de cette négligence maladroite ont été corrigées, et l’auteur espère qu’il en est ainsi de quelques offenses contre le bon goût.

Paris, septembre 1832.

DÉDICACE À WILLIAM JAY, ESQ., DE BEDFORD, WEST-CHESTER.

MON CHER JAY,

Une intimité non interrompue de vingt-quatre ans expliquera comment votre nom se trouve ici. Un homme d’un esprit plus facile que le mien pourrait, à ce sujet, trouver l’occasion de dire quelque chose d’ingénieux sur les brillants services de votre père ; mais mon faible témoignage ne pourrait rien ajouter à une gloire qui appartient déjà à la postérité, tandis qu’ayant si bien connu le mérite du fils et éprouvé si longtemps son amitié, je puis trouver encore de meilleures raisons pour vous offrir ces Légendes.

Votre véritable et fidèle ami,

J. FENIMORE COOPER.

PRÉFACE DES LÉGENDES DES TREIZE RÉPUBLIQUES{1}

La manière dont les événements particuliers, les caractères et les descriptions qu’on trouvera dans ces légendes sont venus à la connaissance de l’auteur, restera probablement toujours un secret entre lui et son libraire. Il croit inutile d’assurer que les principaux faits qui y sont contenus sont vrais ; car s’ils ne portaient pas en eux-mêmes des preuves certaines de leur vérité, il sent que toutes les assurances qu’il pourrait donner n’y feraient pas ajouter foi.

Mais quoiqu’il n’ait pas dessein de fournir des témoignages positifs à l’appui de son ouvrage, l’auteur n’hésitera pas à donner toutes les preuves négatives qui sont en son pouvoir. Il déclare donc solennellement, d’abord, qu’aucun inconnu de l’un ou de l’autre sexe n’est jamais mort dans son voisinage laissant des papiers dont il se serait emparé légitimement ou non. Aucun étranger à physionomie sombre, à caractère taciturne, et se faisant une vertu du silence, ne lui a jamais remis une seule page d’un manuscrit illisible. Aucun hôte ne lui a fourni des matériaux pour en faire une histoire, afin que le profit en résultant puisse acquitter les loyers arriérés d’un locataire mort chez lui de consomption, et ayant fait sa sortie du monde avec assez peu de cérémonie pour oublier le dernier item de son compte, c’est-à-dire les frais de ses funérailles.

Il ne doit rien à aucun conteur bavard cherchant à charmer l’ennui des longues soirées d’hiver. Il ne croit pas aux esprits. Il n’a pas eu une vision dans toute sa vie, et il dort trop profondément pour avoir des songes.

Il est forcé d’avouer que dans aucun des journaux publiés chaque jour, chaque semaine, chaque mois ou chaque trimestre, il n’a pu trouver un seul article louangeur ou critique, contenant une idée dont ses faibles moyens pussent profiter. Personne ne regrette cette fatalité plus que lui, car les rédacteurs de tous ces journaux mettent en général dans leurs articles tant d’imagination, qu’en en profitant avec soin on pourrait assurer l’immortalité d’un livre, en le rendant inintelligible.

Il affirme hardiment qu’il n’a reçu de renseignements d’aucune société savante, et il ne craint pas d’être contredit là-dessus, car pourquoi un être aussi obscur serait-il l’objet exclusif de leurs faveurs ?

Quoiqu’on le voie de temps en temps dans cette société savante et frugale connue sous le nom de club du pain et du fromage, où il est coudoyé par des docteurs en droit et en médecine, des poètes, des peintres, des éditeurs, des législateurs et des auteurs en tout genre, depuis la métaphysique et les hautes sciences jusqu’aux ouvrages de pure imagination, il assure qu’il regarde l’érudition qu’on y recueille comme trop sacrée pour en faire usage dans tout ouvrage qui n’est pas relevé par la dignité de l’histoire.

Il doit parler des collèges avec respect, quoique les droits de la vérité soient supérieurs à ceux de la reconnaissance. Il se bornera à dire qu’ils sont parfaitement innocents des erreurs qu’il a pu commettre, ayant oublié depuis longtemps le peu qu’ils lui ont enseigné.

Il n’a dérobé ni image à la poésie profonde et naturelle de Bryant, ni sarcasme à l’esprit d’Halleck, ni expressions heureuses à l’imagination riche de Percival, ni satire à la plume caustique de Paulding{2}, ni périodes bien arrondies à Irving{3}, ni vernis séduisant aux tableaux de Verplanck{4}.

Aux soirées et aux coteries des bas-bleus, il croyait avoir trouvé un trésor dans les Dandys littéraires qui les fréquentent ; mais l’expérience et l’analyse lui ont fait reconnaître qu’ils ne sont bons qu’à suivre l’instinct qui les fait agir.

Il n’a pas à se reprocher la tentative impie de s’approprier les bons mots de Joe Miller{5}, le pathos des écrivains sentimentalistes, ni les inspirations des Homères qui écrivent dans les journaux.

Il n’a pas eu la présomption d’emprunter la vivacité des États orientaux de l’Amérique ; il n’a pas analysé le caractère homogène de ceux de l’intérieur ; il a laissé ceux du sud en possession tranquille de tout leur esprit morose.

Enfin il n’a rien pillé ni dans les livres imprimés en caractères gothiques, ni dans les brochures à six pence ; sa grand’mère a été assez dénaturée pour refuser de l’aider dans ses travaux ; et, pour parler une fois positivement, il désire vivre en paix avec les hommes et mourir dans la crainte de Dieu.

PRÉFACE DE LA PREMIÈRE ÉDITION DE LIONEL LINCOLN

On trouvera dans cette histoire quelques légers anachronismes ; et, si l’auteur n’en parlait pas, les lecteurs qui s’attachent à la lettre pourraient en tirer des conclusions aux dépens de sa véracité ; ils ont rapport aux personnes plutôt qu’aux choses. Si l’on veut les traiter d’erreurs, comme elles sont d’accord avec le fond des faits, qu’elles sont liées à des circonstances beaucoup plus probables que les événements réels, et qu’elles possèdent toute l’harmonie du coloris poétique, l’auteur est hors d’état de découvrir pourquoi ce ne sont pas des vérités.

Il abandonne ce point difficultueux à la sagacité d’instinct des critiques.

Cette légende peut se diviser en deux parties à peu près égales l’une comprenant des faits qui sont de notoriété publique, l’autre fondée sur des renseignements particuliers qui ne sont pas moins certains.