— Madame Firmiani ! N’est-elle pas d’Anvers ? J’ai vu cette femme-là bien belle il y a dix ans. Elle était alors à Rome. Les sujets appartenant à la classe des Attachés ont la manie de dire des mots à la Talleyrand, leur esprit est souvent si fin, que leurs aperçus sont imperceptibles ; ils ressemblent à ces joueurs de billard qui évitent les billes avec une adresse infinie. Ces individus sont généralement peu parleurs ; mais quand ils parlent, ils ne s’occupent que de l’Espagne, de Vienne, de l’Italie ou de Pétersbourg. Les noms de pays sont chez eux comme des ressorts, pressez-les, la sonnerie vous dira tous ses airs.

— Cette madame Firmiani ne voit-elle pas beaucoup le faubourg Saint-Germain ? Ceci est dit par une personne qui veut appartenir au genre distingué. Elle donne le de à tout le monde, à monsieur Dupin l’aîné, à monsieur Lafayette ; elle le jette à tort et à travers, elle en déshonore les gens. Elle passe sa vie à s’inquiéter de ce qui est bien ; mais, pour son supplice, elle demeure au Marais, et son mari a été avoué ; mais avoué à la Cour royale.

— Madame Firmiani, monsieur ? je ne la connais pas. Cet homme appartient au genre des Ducs. Il n’avoue que les femmes présentées. Excusez-le, il a été fait duc par Napoléon.

— Madame Firmiani ? N’est-ce pas une ancienne actrice des Italiens ? Homme du genre Niais. Les individus de cette classe veulent avoir réponse à tout. Ils calomnient plutôt que de se taire.

DEUX VIEILLES DAMES (femmes d’anciens magistrats). LA PREMIÈRE. (Elle a un bonnet à coques, sa figure est ridée, son nez est pointu, elle tient un Paroissien, voix dure.) — Qu’est-elle en son nom, cette madame Firmiani ? LA SECONDE. (Petite figure rouge ressemblant à une vieille pomme d’api, voix douce.)

Une Cadignan, ma chère, nièce du vieux prince de Cadignan et cousine par conséquent du duc de Maufrigneuse.

Madame Firmiani est une Cadignan. Elle n’aurait ni vertus, ni fortune, ni jeunesse, ce serait toujours une Cadignan. Une Cadignan, c’est comme un préjugé, toujours riche et vivant.

UN ORIGINAL. — Mon cher, je n’ai jamais vu de socques dans son antichambre, tu peux aller chez elle sans te compromettre et y jouer sans crainte, parce que, s’il y a des fripons, ils sont gens de qualité ; partant, on ne s’y querelle pas.

VIEILLARD APPARTENANT AU GENRE DES OBSERVATEURS. — Vous irez chez madame Firmiani, vous trouverez, mon cher, une belle femme nonchalamment assise au coin de sa cheminée. A peine se lèvera-t-elle de son fauteuil, elle ne le quitte que pour les femmes ou les ambassadeurs, les ducs, les gens considérables. Elle est fort gracieuse, elle charme, elle cause bien et veut causer de tout. Il y a chez elle tous les indices de la passion, mais on lui donne trop d’adorateurs pour qu’elle ait un favori. Si les soupçons ne planaient que sur deux ou trois de ses intimes, nous saurions quel est son cavalier servant ; mais c’est une femme tout mystère : elle est mariée, et jamais nous n’avons vu son mari ; monsieur Firmiani est un personnage tout à fait fantastique, il ressemble à ce troisième cheval que l’on paie toujours en courant la poste et qu’on n’aperçoit jamais ; madame, à entendre les artistes, est le premier Contr’alto d’Europe et n’a pas chanté trois fois depuis qu’elle est à Paris ; elle reçoit beaucoup de monde et ne va chez personne.

L’Observateur parle en prophète. Il faut accepter ses paroles, ses anecdotes, ses citations comme des vérités, sous peine de passer pour un homme sans instruction, sans moyens. Il vous calomniera gaiement dans vingt salons où il est essentiel comme une première pièce sur l’affiche, ces pièces si souvent jouées pour les banquettes et qui ont eu du succès autrefois. L’Observateur a quarante ans, ne dîne jamais chez lui, se dit peu dangereux près des femmes ; il est poudré, porte un habit marron, a toujours une place dans plusieurs loges aux Bouffons ; il est quelquefois confondu parmi les Parasites, mais il a rempli de trop hautes fonctions pour être soupçonné d’être un pique-assiette et possède d’ailleurs une terre dans un département dont le nom ne lui est jamais échappé.

— Madame Firmiani ? Mais, mon cher, c’est une ancienne maîtresse de Murat ! Celui-ci est dans la classe des Contradicteurs. Ces sortes de gens font les errata de tous les mémoires, rectifient tous les faits, parient toujours cent contre un, sont sûrs de tout. Vous les surprenez dans la même soirée en flagrant délit d’ubiquité : ils disent avoir été arrêtés à Paris lors de la conspiration Mallet, en oubliant qu’ils venaient, une demi-heure auparavant, de passer la Bérésina. Presque tous les Contradicteurs sont chevaliers de la Légion-d’Honneur, parlent très-haut, ont un front fuyant et jouent gros jeu.

— Madame Firmiani, cent mille livres de rente ?... êtes-vous fou ? Vraiment, il y a des gens qui vous donnent des cent mille livres de rente avec la libéralité des auteurs auxquels cela ne coûte rien quand ils dotent leurs héroïnes.