En ce cas, il faudrait bien admettre qu’un volcan, ayant le Great-Eyry pour cratère, existait en ce point des Montagnes Bleues.

Le ballon s’éleva tout d’abord à une altitude de quinze cents pieds et resta immobile pendant un quart d’heure. La brise ne se faisait plus sentir à cette hauteur, alors qu’elle courait à la surface du sol. Mais, grosse déception ! l’aérostat ne tarda pas à subir l’action d’un nouveau courant atmosphérique, et prit direction vers l’est. Il s’éloignait ainsi de la chaîne et nul espoir qu’il dû y être ramené. Les habitants de la bourgade le virent bientôt disparaître et apprirent plus tard qu’il avait atterri aux environs de Raleigh, dans la Caroline du Nord.

La tentative ayant échoué, il fut décidé qu’elle serait reprise en de meilleures conditions. En effet, d’autres rumeurs se produisirent encore, accompagnées de vapeurs fuligineuses, de lueurs vacillantes que réverbéraient les nuages. On comprendra donc que les inquiétudes ne pussent se calmer. Aussi, le pays demeurait-il sous la menace de phénomènes sismiques ou volcaniques.

Or, dans les premiers jours d’avril de cette année-là, voici que les appréhensions, plus ou moins vagues jusqu’alors, eurent des motifs sérieux de tourner à l’épouvante. Les journaux de la région firent promptement écho à la terreur publique. Tout le district compris entre la chaîne et la bourgade de Morganton dû redouter un bouleversement prochain.

La nuit du 4 au 5 avril, les habitants de Pleasant-Garden furent réveillés par une commotion qui fut suivie d’un bruit formidable. De là, irrésistible panique, à la pensée que cette partie de la chaîne venait de s’effondrer. Sortis des maisons, tous étaient prêts à s’enfuir, craignant de voir s’ouvrir quelque immense abîme où s’engloutiraient fermes et villages sur une étendue de dix à quinze milles.

La nuit était très obscure. Un plafond d’épais nuages s’appesantissait sur la plaine. Même en plein jour, l’arête des Montagnes Bleues n’eût pas été visible.

Au milieu de cette obscurité, impossible de rien distinguer, ni de répondre aux cris qui s’élevaient de toutes parts. Des groupes effarés, hommes, femmes, enfants, cherchaient à reconnaître les chemins praticables et se poussaient en grand tumulte. Deçà, delà, s’entendaient des voix effrayées :

« C’est un tremblement de terre !…

– C’est une éruption !…

– D’où vient-elle ?

– Du Great-Eyry… » Et jusqu’à Morganton courut la nouvelle que des pierres, des laves, des scories, pleuvaient sur la campagne. On aurait pu faire observer, tout au moins, que dans le cas d’une éruption, les fracas se fussent accentués. Des flammes auraient apparu sur la crête de la chaîne. Les coulées incandescentes n’auraient pu échapper aux regards à travers les ténèbres. Or, à personne ne venait cette réflexion, et ces épouvantés assuraient que leurs maisons avaient ressenti les secousses du sol. Il était possible, d’ailleurs, que ces secousses fussent causées par la chute d’un bloc rocheux qui se serait détaché des flancs de la chaîne. Tous attendaient, en proie à une mortelle inquiétude, prêts à s’enfuir vers Pleasant-Garden ou Morganton. Une heure s’écoula sans autre incident. À peine si une brise de l’ouest, en partie arrêtée contre le long écran des Appalaches, se faisait sentir à travers le rude feuillage des conifères, agglomérés dans les bas-fonds des marécages. Il n’y eut donc pas de nouvelle panique et chacun se disposa à réintégrer sa maison. Il semblait bien qu’il n’y eût plus rien à craindre, et, pourtant, il tardait à tous que le jour reparût. Qu’un éboulement se fût produit, tout d’abord, qu’un énorme bloc eût été précipité des hauteurs du Great-Eyry, cela ne paraissait pas douteux. Aux primes lueurs de l’aube, il serait facile de s’en assurer, en longeant la base de la chaîne sur une étendue de quelques milles. Mais voici que – vers trois heures du matin –, autre alerte, des flammes se dressèrent au-dessus de la bordure rocheuse. Reflétées par les nuages, elles illuminaient l’atmosphère sur un large espace.