Allons ! Partons !

MANFRED.

Je te défie… Je sens mon âme

Qui se dérobe et pourtant, je te défie ;

Tant qu'il me restera un souffle, je n'aurai de cesse

D'exhaler le mépris que tu m'inspires… Tant qu'il me restera

Une once de vitalité, je continuerai à lutter,

Même contre des esprits ; pour que je vous suive,

Il faudra d'abord me mettre en pièces.

L'ESPRIT.

Mortel rebelle !

Est-ce là le Mage qui prétend pénétrer

Le monde invisible, et aspire à devenir

Notre égal ? Ce pourrait-il donc

Que tu aimes la vie ? Cette même vie

Qui a causé ta perte ?

MANFRED.

Toi, traître, démon, tu mens !

Ma vie touche à sa fin, cela, je le sais,

Et loin de moi l'intention d'en sauver un instant ;

Ce n'est pas la Mort que je combats, mais toi,

Et les anges qui t'entourent ; je n'ai tiré mon pouvoir

D'aucun pacte avec vous, mais d'une science supérieure…

La pénitence, l'audace, les longues veilles, la force d'âme,

Et la maîtrise du savoir de nos pères – au temps où la terre

Voyait hommes et esprits marcher côte à côte,

Sans t'octroyer de suprématie : je m'appuie

Sur ma force… Je te défie, te nie,

Te rejette et te méprise !

L'ESPRIT.

Mais tes nombreux crimes t'ont rendu...

MANFRED.

Mais que peuvent-ils bien être à tes yeux ?

Faudrait-il que les crimes soient punis par d'autres crimes

Commis par des criminels pires encore ? Retourne à ton enfer !

Tu n'as aucun pouvoir sur moi, je le sens ;

Tu ne me posséderas jamais, je le sais :

Je ne peux effacer ce que j'ai fait ; tu ne peux ajouter

Au supplice qui me ronge de l'intérieur :

L'esprit immortel s'impute à lui-même

Ses bonnes ou mauvaises pensées,

Il est la source de son propre mal et de sa fin,

Il contient à la fois son espace et son temps :

Son sens inné, une fois dépouillé de sa mortalité,

Ne se nourrit pas des choses éphémères qui l'entourent,

Mais se perd dans la souffrance ou la joie,

Née de la conscience de son propre néant.

Toi, tu ne m'as pas tenté, tu en serais incapable ;

Je n'ai été ni ton jouet, ni ta proie…

Je suis l'auteur de ma propre destruction,

Et je serai mon au-delà. Partez, démons impuissants !

La main de la Mort pèse sur moi, pas la vôtre !

Les démons disparaissent.

L'ABBÉ.

Hélas ! Comme tu es pâle ! Tes lèvres sont livides...

Ta poitrine se soulève, tu suffoques,

Tu râles : Offre au Ciel tes prières…

Prie… ne serait-ce qu'en pensée… mais ne meurs pas ainsi.

MANFRED.

C'est fini. Mes yeux éteints ne te distinguent plus,

Mais tout tourne autour de moi, je sens la terre

Qui sous moi se soulève. Adieu…

Donne-moi la main.

L'ABBÉ.

Glacé, tu es glacé jusqu'au cœur.

Une prière, une seule. Hélas ! Comment te sens-tu ?

MANFRED.

Vieil homme ! Mourir n'est pas si difficile.

Manfred expire.

L'ABBÉ.

Il est parti… son âme a quitté la Terre et a pris

Son envol ;

Vers où ? Je n'ose l'imaginer… Mais il n'est plus.

FIN.

Achevé de numériser

Manfred de Lord Byron

a paru aux éditions Allia en janvier 2013.

ISBN :

978-284485-604-3

ISBN de la présente version électronique :

978-2-84485-639-5

Éditions Allia

16, rue Charlemagne

75 004 Paris

www.editions-allia.com

Notes

1. Terme grec ancien pour ce qui est bon, noble et beau. L'idéal esthétique et moral. (N.d.T.)

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