Une soudaine timidité saisit de nouveau le pauvre garçon. Il resta court de la façon la plus maladroite.

Blanche entendit de la pelouse le bruit du maillet sur le bois et les rires des spectateurs à quelque maladresse de sir Patrick.

Les précieuses secondes s’écoulaient.

Blanche aurait bien souffleté Arnold sur les deux joues pour la peur sans raison qu’elle lui inspirait.

– Eh bien, dit-elle avec impatience, si je vous regardais au visage, qu’est-ce que je verrais ?

Arnold baissa de nouveau la tête et répondit :

– Vous verriez que j’ai besoin d’un peu d’encouragement.

– D’encouragement venant de moi ?

– Oui, venant de vous.

Blanche jeta un regard en arrière par-dessus son épaule.

La serre était sur une éminence ; on y arrivait en montant quelques marches.

De l’endroit où la jeune fille était placée, on pouvait entendre les joueurs réunis sur la pelouse, mais non les apercevoir. L’un d’entre eux pouvait donc apparaître, à tout moment, sans qu’on le vît arriver.

Blanche écouta. Elle n’entendit aucun bruit, mais seulement celui d’un nouveau coup de maillet sur la boule, suivi de battements de mains.

Sir Patrick était un personnage privilégié. Il lui avait été probablement permis de faire un nouvel essai, et il avait réussi cette fois.

Blanche se retourna du côté d’Arnold.

– Considérez-vous comme encouragé, murmura-t-elle.

Et aussitôt, avec cet admirable instinct des femmes pour se mettre sur la défensive, elle ajouta :

– Dans de certaines limites !

Arnold fit un dernier effort, mais décisif cette fois.

– Considérez-vous comme aimée, s’écria-t-il, et cela sans bornes !

C’en était fait, le grand mot était dit ; il lui avait pris la main.

La perversité de l’amour se trahit ici de nouveau.

L’aveu que Blanche brûlait d’entendre s’était à peine échappé des lèvres d’Arnold, qu’elle protesta. Elle se battit pour retirer sa main ; elle ordonna à Arnold de la laisser partir.

Il ne fit que la retenir d’une main plus ferme.

– Essayez de m’aimer un peu, disait-il d’un air suppliant. Je vous aime tant !

Qui aurait résisté à de telles supplications ? Le lecteur se le rappellera s’il a aimé. Dans un instant ils pouvaient être interrompus.

Blanche cessa de se défendre et leva les yeux, en souriant, sur le jeune marin.

– Est-ce au service de la marine marchande que vous avez appris cette méthode de faire votre cour ? lui demanda-t-elle.

Arnold persistait à prendre les choses au sérieux.

– Je retournerais immédiatement reprendre du service dans la marine marchande, dit-il, si j’avais le malheur de vous avoir mise en colère.

Blanche crut devoir lui administrer une nouvelle dose d’encouragement.

– La colère, Mr Brinkworth, est une mauvaise passion, répondit-elle, une jeune personne bien élevée n’a pas de mauvaises passions.

Les joueurs de la pelouse appelèrent Mr Brinkworth.

Blanche essaya de le pousser dehors.

Arnold était immobile.

– Dites-moi un mot avant que je ne parte, répéta-t-il, un seul mot suffira. Dites : oui.

Blanche secoua la tête. Maintenant qu’elle le tenait dans ses petites mains blanches, elle éprouvait une irrésistible tentation de le tourmenter.

– Tout à fait impossible, répondit-elle, si vous avez besoin de plus d’encouragement, il faut vous adresser à mon oncle.

– Je lui parlerai avant de quitter cette maison.

Un nouveau cri appela Mr Brinkworth. Blanche fit un nouvel effort pour le pousser hors de la serre.

– Partez, dit-elle, songez qu’il faut que votre boule franchisse les portes de fer.

Elle avait posé ses deux mains sur les épaules du jeune homme ; son visage était tout près du sien. Arnold la prit par la taille et lui donna un baiser.

Inutile de lui recommander désormais de franchir les portes de fer, sûrement il les avait franchies !

Blanche resta muette. Ce dernier effort d’Arnold pour faire sa cour lui avait coupé la respiration.

Avant qu’elle ne fût revenue à elle, des pas se firent entendre.

Arnold lui donna un second baiser et sortit en courant.

Elle se laissa tomber sur le siège le plus proche et ferma les yeux, en proie à une confusion délicieuse.

Des pas qui montaient les marches de la serre se rapprochant, Blanche ouvrit les yeux et vit Anne Sylvestre seule debout devant elle, et la regardant.

Elle se leva vivement et ses bras se nouèrent autour du cou de son amie.

– Vous savez ce qui est arrivé, murmura-t-elle. Souhaitez-moi du bonheur, ma chère. Il m’a dit ces mots : À vous pour toujours !

Tout l’amour, toute la confiance fraternelle qu’elles ressentaient l’une pour l’autre depuis tant d’années s’exprima dans cet embrassement.

Les cœurs des deux mères, au temps passé, n’avaient jamais été plus près l’un de l’autre.

Et pourtant, si Blanche avait bien regardé Anne droit dans les yeux en cet instant, elle aurait vu que l’esprit de miss Sylvestre était bien loin de son petit roman d’amour.

– Vous savez qui c’est ? se prit-elle à dire après avoir attendu vainement une réponse.

– Mr Brinkworth ?

– Oui. Et quel autre pourrait-ce donc être ?

– Vous êtes réellement heureuse, mon amour ?

– Heureuse !… Ce que je vais vous dire est absolument entre nous. Je crois que mon cœur va éclater. Je l’aime !… je l’aime !… je l’aime !… s’écria-t-elle en prenant un plaisir d’enfant à répéter ces trois mots.

Ils eurent pour écho un profond soupir. Blanche, à l’instant, leva les yeux sur le visage d’Anne.

– Qu’avez-vous ? demanda-t-elle avec un changement soudain dans sa voix et ses manières.

– Rien.

Blanche n’était pas fille à se laisser tromper.

– Vous avez quelque chose. Est-ce une question d’argent ?… reprit-elle après un moment de réflexion. Des factures à payer ?… J’ai de l’argent à profusion… Je vous prêterai tout ce que vous voudrez.

– Non… non… ma chère !

Blanche se recula, un peu blessée.

Anne la tenait à distance, et cela pour la première fois depuis qu’elles se connaissaient.

– Je vous dis tous mes secrets, fit-elle. Et vous en avez pour moi ! Savez-vous que vous paraissez tourmentée et que vous avez l’esprit tout troublé depuis quelque temps ! Peut-être Mr Brinkworth ne vous plaît-il pas ?… Non… il vous plaît, j’en suis sûre ? C’est mon mariage alors ?… Oui… je crois que c’est cela ! Vous vous imaginez que nous allons être séparées, folle que vous êtes ! Comme si je pouvais vivre sans vous ! Naturellement, quand je serai mariée avec Arnold, vous viendrez dans notre maison. C’est bien entendu, n’est-ce pas ?

Anne s’éloigna brusquement de Blanche en montrant l’entrée de la serre :

– Quelqu’un vient, dit-elle, regardez.

C’était encore Arnold. Le tour de Blanche au croquet étant venu, il s’était offert pour aller la chercher.

L’attention de miss Lundie, si facilement distraite d’ordinaire, restait fixée sur Anne.

– Vous n’êtes pas dans votre état naturel, dit-elle, et il faut que j’en sache la raison. J’attendrai jusqu’à la nuit… et vous me le direz quand vous viendrez dans ma chambre. Ne me regardez pas ainsi. Il faudra me le dire et voici un baiser pour vous, en attendant.

Elle rejoignit Arnold et recouvra toute sa gaieté dès qu’elle le regarda.

– Eh bien, avez-vous franchi les portes de fer ?

– Ne songez pas aux portes de fer. J’ai rompu la glace avec sir Patrick.

– Comment !… devant tout le monde ?

– Naturellement, non. J’ai pris rendez-vous avec lui pour lui parler ici.

Ils descendirent les marches en riant et allèrent prendre part au jeu.

Restée seule, Anne Sylvestre marcha lentement vers le fond de la serre. Un miroir, dans un cadre de bois sculpté, était fixé contre la muraille.