Retournez au jardin.

L’indignation de Mrs Vanborough se changea un moment en une crainte mortelle, car elle voyait la colère et la terreur se livrer sur le visage de son mari un terrible combat.

– Comme vous me regardez !… dit-elle. Comme vous me parlez !…

Il se contenta de répéter :

– Retournez au jardin !

Lady Jane commençait à voir clairement ce que l’homme de loi avait deviné quelques minutes auparavant : il y avait quelque chose qui n’allait pas bien dans la villa de Hampstead.

La maîtresse du logis devait être dans une position irrégulière ; et comme la maison, selon toutes les apparences, appartenait à l’ami de Mr Vanborough, cet ami, en dépit de sa récente protestation, devait avoir dans tout cela sa part de responsabilité.

Lady Jane étant arrivée assez naturellement à cette conclusion, ses yeux se fixèrent sur Mrs Vanborough et la toisèrent avec une expression méprisante qui aurait suffi pour éveiller la colère chez la femme la plus douce.

L’insulte qui se lisait dans ce regard ne manqua point de blesser au vif la juste susceptibilité de l’épouse.

Mrs Vanborough se tourna de nouveau vers son mari, mais cette fois sans frayeur.

– Quelle est cette femme ? demanda-t-elle.

Lady Jane se montra à cet instant à la hauteur de la situation. Il fallut voir la manière dont elle se drapa dans sa vertu, sans forfanterie comme sans fausse complaisance.

– Mr Vanborough, dit-elle, vous m’avez offert tout à l’heure de me conduire à ma voiture. Je commence à comprendre que j’aurais mieux fait d’accepter cette offre à l’instant. Donnez-moi votre bras.

– Arrêtez ! dit Mrs Vanborough. Les regards de Votre Seigneurie sont des regards de mépris ; les paroles de Votre Seigneurie ne comportent qu’une seule interprétation. Je suis ici victime de quelque lâche tromperie que je ne comprends pas. Mais ce que je sais… c’est que je ne me laisserai pas insulter dans ma propre maison. Après ce que vous venez de dire, je défends à mon mari de vous offrir son bras.

– Son mari !

Lady Jane regarda Mr Vanborough… Mr Vanborough qu’elle aimait… qu’elle croyait libre… qu’elle avait tout au plus soupçonné, jusqu’alors, de chercher à cacher les torts de son ami.

Elle baissa le ton ; elle perdit tout à coup ses manières hautaines.

Le sentiment de son injustice, si ce qu’elle apprenait était vrai, le tourment de la jalousie, si cette femme avait réellement droit au titre d’épouse, tout cela changea la rougeur dont ses joues s’étaient colorées en une pâleur subite.

– Si vous êtes capable de dire la vérité, monsieur, dit-elle avec hauteur, soyez assez bon pour le faire. Vous êtes-vous faussement présenté au monde et à moi comme un homme libre de sa personne et de sa main ? Cette dame est-elle votre femme ?

– Vous l’entendez !… vous le voyez ! s’écria Mrs Vanborough, s’adressant à son tour à son mari.

Puis elle s’éloigna soudainement de lui en frissonnant de la tête aux pieds.

– Il hésite, dit-elle d’une voix défaillante ; grand Dieu, il hésite !

Lady Jane répéta sévèrement sa question.

– Cette dame est-elle votre femme ?

Il fit appel à son infâme courage et prononça le mot fatal :

– Non !

Mrs Vanborough chancela et s’accrocha, pour ne pas tomber, au rideau de la fenêtre qu’elle déchira.

Le regard attaché sur son mari, serrant dans sa main ce lambeau d’étoffe, elle se disait :

« Suis-je folle ?… Est-ce lui qui a perdu la raison ?… »

Lady Jane poussa un long soupir de soulagement.

– Il n’est pas marié !

Ce n’était donc qu’un mauvais sujet.

Un mauvais sujet, c’est affreux !… mais il peut s’amender. On doit lui adresser des reproches cruels et insister, dans les termes les plus absolus, pour qu’il réforme sa conduite. On peut aussi lui pardonner et l’épouser.

Lady Jane prit, avec un tact parfait, la position commandée par les circonstances.

Elle condamnait sévèrement le présent, sans interdire l’espoir dans l’avenir.

– J’ai fait une très pénible découverte, dit-elle à Mr Vanborough. C’est à vous de me la faire oublier. Bonsoir !

Elle accompagna ces derniers mots d’un regard d’adieu qui exaspéra Mrs Vanborough jusqu’à la frénésie.

La pauvre femme s’élança en avant pour barrer le passage à sa rivale.

– Non ! dit-elle, vous ne sortirez pas encore !

Mr Vanborough fit un pas pour se jeter entre elles ; mais sa femme lui lança un regard terrible.

– Cet homme a menti, dit-elle. Par esprit de justice, pour moi-même, je dois insister pour le prouver.

Elle frappa sur le timbre posé sur une table près d’elle.

Le domestique entra.

– Apportez-moi mon pupitre qui est dans la pièce à côté.

Elle attendit, tournant le dos à son mari, les yeux fixés sur lady Jane.

Seule, sans défense, elle était debout sur les ruines de sa vie, supérieure à la trahison de Vanborough, à l’indifférence de l’homme de loi, et au mépris de sa rivale.

En cet effroyable moment, sa beauté retrouvait une lueur de son ancien éclat.

C’était la grande artiste, qui naguère, au temps de sa gloire, tenait des milliers de spectateurs suspendus à ses regards et à ses lèvres, le cœur oppressé par les malheurs imaginaires que subissait la reine du théâtre.

Le domestique revint avec le pupitre.

Elle y prit un papier et le tendit à Lady Jane.

– J’étais cantatrice, dit-elle, quand Mr Vanborough m’a épousée. Les calomnies auxquelles sont exposées les femmes de théâtre faisaient mettre mon mariage en doute. Je m’armai de ce papier qui est entre vos mains. Madame, les gens même de la plus haute société respectent cela !

Lady Jane examina le papier : c’était un certificat de mariage.

Elle devint affreusement pâle et, s’adressant du regard à Mr Vanborough :

– M’auriez-vous trompée ? demanda-t-elle.

Mr Vanborough se tourna vers l’homme de loi qui s’était assis dans le coin le plus reculé de la pièce, attendant les événements d’un air impassible.

– Ayez l’obligeance de venir un moment, dit-il.

Mr Delamayn se leva.

Mr Vanborough se retourna vers lady Jane.

– Veuillez, dit-il, en référer à mon homme d’affaires, madame. Il n’est pas intéressé à vous tromper.

– Suis-je simplement invité à m’expliquer sur le fait ? demanda Mr Delamayn. Je me refuse à faire davantage.

– On ne vous demande rien de plus.

Après avoir écouté attentivement cet échange singulier de demandes et de réponses, Mrs Vanborough avança d’un pas.

Le fier courage qui l’avait soutenue contre l’outrage faiblissait sous l’influence d’un pressentiment fatal.

Elle comprenait qu’il allait arriver quelque chose qu’elle n’avait pas prévu.

L’épouvante la faisait frissonner de la tête aux pieds.

Lady Jane remit le certificat à l’homme de loi.

– En deux mots, monsieur, dit-elle avec impatience, qu’est-ce que cela ?

– En deux mots, madame, répondit Mr Delamayn, du papier gâché.

– Il n’est pas marié ?

– Il n’est pas marié.

Après un moment d’hésitation, lady Jane se retourna du côté de Mrs Vanborough debout et muette auprès d’elle, celle-ci la regardait.

Lady Jane recula de terreur.

– Emmenez-moi ! s’écria-t-elle, terrifiée par ce visage livide et ces grands yeux brillants qui la regardaient avec la fixité du désespoir. Emmenez-moi d’ici !… cette femme me tuera.

Mr Vanborough lui offrit le bras.

Un silence de mort s’établit dans la pièce.

Les yeux de l’épouse les suivaient tous deux avec la même effroyable fixité, jusqu’à ce que la porte se fut refermée sur eux.

L’homme de loi, demeuré seul avec la femme reniée et délaissée, remit en silence le certificat sur la table.

Les yeux de Mrs Vanborough allaient de ce personnage à ce chiffon inutile ; puis, sans un cri, sans un geste, elle tomba évanouie.

Mr Delamayn la releva, la plaça sur un sofa et attendit Mr Vanborough qui allait sans doute revenir.

En contemplant ce beau visage, qui gardait sa beauté même dans l’évanouissement, semblable à la mort, il s’avoua qu’il avait été cruel pour cette pauvre femme… Oui ! tout impassible qu’il était, l’homme de loi pensait qu’il avait été cruel.

Mais la loi le justifiait. Il n’y avait pas de doute à avoir dans l’espèce. La loi le justifiait !

Le piétinement des chevaux et le bruit des roues se firent entendre au dehors.

L’équipage de lady Jane s’éloignait.

Le mari allait-il revenir ?

Curieuse chose que l’habitude ! Mr Delamayn donnait encore à Vanborough la qualité du mari… en présence de la loi ! en présence des faits !

Les minutes passèrent… Vanborough ne revenait pas.

Il n’était pas prudent de provoquer un scandale dans la maison.

Il n’était pas désirable, pour Mr Delamayn, sous sa seule responsabilité, de laisser deviner aux domestiques ce qui était arrivé.

Mrs Vanborough était toujours là, privée de sentiment.

L’air frais du soir pénétrait par la fenêtre ouverte, soulevait les rubans de son bonnet de dentelle et ses cheveux dénoués qui retombaient sur son cou.

Là, gisait, toujours immobile, la femme que Vanborough avait aimée… la mère de son enfant.

Delamayn allait sonner et appeler du secours.

Mais, au même instant, le calme de cette soirée d’été fut de nouveau troublé.

L’homme de loi resta la main tendue au-dessus du timbre.

On entendait de nouveau le pas d’un cheval et le bruit des roues d’une voiture qui s’avançait rapidement et s’arrêta devant la porte.

Était-ce lady Jane qui revenait ?

Était-ce le mari ?

La cloche retentit, la porte s’ouvrit, le frôlement d’une autre robe de soie se fit entendre dans le corridor, et une dame parut.

Ce n’était pas lady Jane, mais une étrangère… de beaucoup plus âgée que la jeune lady, une femme fort ordinaire peut-être, en tout autre temps, mais maintenant presque belle, grâce à la vive expression de bonheur qui rayonnait sur son visage.

Elle vit Mrs Vanborough étendue sur le sofa et se précipita vers elle en poussant un grand cri… un cri d’affection et de terreur tout à la fois.

Elle s’agenouilla, attira sur sa poitrine cette tête insensible et couvrit de baisers ces joues glacées.

– Oh ! ma chérie, dit-elle, est-ce ainsi que nous devions nous retrouver ?

Oui ! après tant d’années depuis leur séparation dans la cabine du navire, c’était ainsi que les deux amies devaient se retrouver.

DEUXIÈME PARTIE

La marche du temps

5

Laissons le temps passé pour le temps présent.

À partir de l’été de 1855, franchissons douze années.

Nous allons savoir qui est vivant et qui est mort, qui a eu la fortune favorable ou contraire, parmi les personnes que nous avons vues figurer dans la tragédie de la villa de Hampstead…

Cela su, nous conduirons le lecteur à travers un nouveau drame, au printemps de 1868.

Ce n’est que le simple enregistrement des faits qui commence par un mariage : le mariage de Mr Vanborough avec lady Jane Parnell.

Trois mois après le jour mémorable où son solicitor lui avait démontré qu’il était libre, Mr Vanborough possédait la femme qu’il désirait pour faire les honneurs de sa table et pour aider à sa fortune ; la législature de la Grande-Bretagne se faisait l’humble servante de sa trahison et l’honorable complice de son crime.

Il entra au Parlement.

Il donna (grâce à sa femme) six des plus grands dîners et deux des plus fameux bals de la saison.

Il fit avec succès son premier discours à la Chambre des communes.

Il dota une église dans un quartier pauvre.

Il écrivit un article qui attira l’attention dans une revue trimestrielle.

Il découvrit, dénonça et fit effacer un abus criant dans l’administration de la charité publique.

Il reçut (toujours grâce à sa femme) un membre de la famille royale parmi les hôtes de sa maison de campagne à la fin de l’automne.

Tels furent ses triomphes, et telle est l’histoire de ses progrès vers la pairie, pendant la première année de son mariage avec lady Jane Parnell.

Ce fils gâté de la fortune n’attendait plus d’elle qu’une faveur ; elle la lui accorda.

Il restait une tache sur la vie passée de Mr Vanborough, tant que vivait la femme qu’il avait reniée et abandonnée.

À la fin de la première année, la pauvre créature mourut et la tache fut effacée.

Elle avait supporté, avec une rare patience et un admirable courage, l’impitoyable injure qui lui avait été infligée.

Il faut rendre justice à Mr Vanborough et reconnaître qu’il lui brisa le cœur avec le plus strict respect des convenances.

Il offrit, par l’entremise de son homme de loi, de lui assurer une belle provision, ainsi qu’à sa fille.

Cette offre fut rejetée, sans un instant d’hésitation.

Anne répudia son argent, comme elle avait répudié son nom ; elle n’en porta plus d’autre que celui qu’elle avait quand elle était jeune fille, et qu’elle avait illustré pendant sa carrière artistique.

La mère et la fille ne furent plus appelées que de ce nom par ceux qui daignèrent s’enquérir d’elles après leur désastre.

Il n’y avait point de faux orgueil dans l’attitude que Mrs Sylvestre adopta et garda après que son mari l’eut délaissée.

Elle accepta avec reconnaissance, pour elle et pour son enfant, l’assistance de la chère et vieille amie, qu’elle avait retrouvée au temps de l’affliction et qui lui resta fidèle jusqu’à la fin.

Mrs Sylvestre vécut avec lady Lundie jusqu’au moment où elle se sentit assez forte pour mettre à exécution le plan qu’elle s’était tracé et pour gagner sa vie en donnant des leçons de chant.

À en juger par toutes les apparences, elle était désormais rétablie ; elle était redevenue elle-même.

Elle faisait son chemin, se conciliant partout la sympathie, la confiance et le respect, quand elle retomba tout à coup malade.

Nul n’aurait pu expliquer son mal ; les médecins eux-mêmes étaient divisés d’opinion à ce sujet, et, scientifiquement parlant, il n’y avait pas de raison pour qu’elle mourût.

Ce n’était pas une pure figure de langage que de dire, comme disait lady Lundie, qu’elle avait reçu le coup de la mort le jour où son mari l’avait abandonnée.

Ce qu’il y a de certain, c’est qu’elle était menacée, l’explique qui pourra.

En dépit de la science qui était peu de chose, en dépit de son courage qui était grand, la malheureuse femme tomba à son poste et mourut.

Dans la dernière période de sa maladie, son esprit s’égara.

L’amie des anciens jours du pensionnat, assise, auprès de son lit, l’entendit parler et vit bien que la moribonde se croyait revenue au jour où elles s’étaient dit adieu naguère dans la cabine du navire.

La pauvre âme retrouvait les mots et jusqu’à l’accent qu’elle avait alors, tant d’années auparavant, l’accent du temps passé quand les deux jeunes filles s’étaient séparées pour suivre chacune son chemin en ce monde.

Elle dit :

– Nous nous retrouverons, ma chérie, avec toute notre ancienne affection.

Et elle dit cela justement comme elle avait dit autrefois, puis la raison lui revint.

Elle surprit le médecin et la garde-malade en les priant doucement de quitter sa chambre.

Quand ils furent sortis, elle regarda lady Lundie et parut revenir à elle et s’arracher à un rêve.

– Blanche ! dit-elle, vous prendrez soin de mon enfant ?

– Elle sera ma fille, Anne, quand vous ne serez plus.

La mourante s’arrêta et réfléchit un moment.

Un tremblement soudain la saisit.

– Gardez comme un secret ce que je vais vous dire, reprit-elle. J’ai peur pour mon enfant.

– Peur ?… Après ce que je vous ai promis ?

Elle répéta d’un ton solennel les mêmes paroles.

– J’ai peur pour mon enfant !

– Pourquoi ?

– Ma chère Anne est une seconde moi-même… n’est-ce pas ? Elle est idolâtre de votre fille, comme je l’étais de vous. Elle ne porte pas le nom de son père… elle porte le mien. Elle est Anne Sylvestre, comme je l’étais moi-même. Finira-t-elle comme moi ?

Cette question fut prononcée avec cette respiration courte et cette voix pâteuse et embarrassée qui annoncent la mort prochaine.

Celle qui l’écoutait se sentit glacée jusque dans la moelle des os.

– Ne pensez point cela ! s’écria-t-elle avec horreur. Pour l’amour du ciel, ne pensez point cela !

L’égarement reparut dans les yeux d’Anne Sylvestre.

Elle fit de faibles gestes d’impatience avec ses mains amaigries. Lady Lundie se pencha sur elle et l’entendit murmurer :

– Soulevez-moi.

Soutenue dans les bras de son amie, elle la regardait jusque dans l’âme ; ses terreurs à propos de son enfant l’agitèrent de nouveau.

– Ne l’élevez pas comme moi ! Il faut qu’elle soit institutrice… Il faut qu’elle gagne son pain… Ne la laissez pas jouer l’opéra… ne la laissez pas chanter… ne la laissez pas monter sur une scène.

Elle s’arrêta… sa voix redevint très douce, elle sourit faiblement et dit sur le ton enfantin des anciens jours :

– Jurez-le, Blanche !

Lady Lundie l’embrassa et répondit comme elle avait répondu lors de leur séparation sur le navire :

– Je le jure !

La tête de la malade s’affaissa pour ne plus se relever.

La dernière lueur de la vie brilla dans ses yeux voilés.

Pendant un moment encore ses lèvres s’agitèrent.

Lady Lundie approcha son oreille du visage de la mourante et entendit encore ces mêmes paroles :

– Elle est Anne Sylvestre… comme je l’étais moi-même. Finira-t-elle comme moi ?

6

Cinq années se sont écoulées… et l’existence des trois hommes qui étaient assis naguère à la même table, dans la salle à manger de la villa de Hampstead, a suivi une marche bien différente.

Mr Kendrew !… Mr Delamayn !… Mr Vanborough.

Que l’ordre dans lequel nous les nommons soit le même dans lequel nous allons passer en revue les événements de leur vie à tous trois, après un laps de temps de cinq années.

Comment l’ami du mari manifesta-t-il son sentiment à l’égard de sa trahison envers sa femme, nous le savons déjà.

Quelle impression reçut-il de la mort de la pauvre abandonnée, voilà ce qu’il nous reste à dire.

La rumeur publique, qui voit dans le fond du cœur des hommes et prend plaisir à publier ses découvertes malignes, avait toujours prétendu qu’il y avait un secret dans la vie de Mr Kendrew, et que ce secret était une passion sans espoir pour la femme de son ami.

Jamais il n’en avait dit un mot à âme qui vive ni à Mrs Sylvestre elle-même.

Quand elle mourut, la rumeur publique se réveilla pourtant plus forte que jamais et rechercha, dans la conduite de Mr Kendrew, la preuve de ses sentiments cachés.

Il suivit le convoi funéraire… quoiqu’il ne fût pas le parent de la morte.

Il arracha une petite poignée du gazon qui recouvrait la fosse, quand il pensa que personne ne le voyait.

Il disparut de son club ; il voyagea.

Il revint à Londres et avoua qu’il était las de l’Angleterre.

Il fit des démarches et obtint un poste dans une de nos colonies.

Quelles conclusions fallait-il tirer de tout cela ?

N’était-il pas évident que son genre de vie habituel avait perdu tout charme pour lui, depuis que l’objet de sa passion avait cessé d’exister ?

Cela pouvait être.

Des suppositions moins probables ont souvent touché juste.

Un fait sûr, dans tous les cas, c’est qu’il quitta l’Angleterre pour n’y plus revenir.

Encore un homme à la mer ! dit la rumeur publique.

Mais Mr Delamayn ?

Le solicitor en train de s’élever fut rayé du tableau, à sa requête, et entra, comme étudiant, dans une école de droit.

Pendant trois ans, on n’entendit rien dire de lui, si ce n’est qu’il travaillait avec ardeur et prenait ses inscriptions.

Il fut admis à faire partie du barreau.