Cette éternelle misère est une plaie suppurante sur le corps de l’Ecosse par laquelle s’échappe sa puissance politique. En raison de la nécessité et de la cupidité de ses rois, de ses lords, de ses barons, cet Etat sera toujours un jouet sanglant entre les mains des puissances étrangères. Celui qui combat contre le roi et pour le protestantisme est à la solde de Londres ; celui qui se bat pour le catholicisme et les Stuart est à celle de Paris, de Madrid et de Rome : toutes ces puissances payent le sang écossais rubis sur l’ongle. La balance oscille toujours entre deux grandes nations, la France et l’Angleterre ; aussi cette voisine immédiate d’Albion est-elle une partenaire irremplaçable pour la France. Toutes les fois que les armées anglaises envahissent la Normandie, la France aiguise en toute hâte ce couteau pour l’enfoncer dans le dos de son adversaire ; au premier appel, les Ecossais, de tout temps belliqueux, courent à la frontière et se précipitent sur leurs « auld enemies » ; même en temps de paix ils sont pour ceux-ci une menace perpétuelle. Le renforcement militaire de l’Ecosse est le constant souci de la politique française ; rien de plus naturel donc que de son côté l’Angleterre cherche à briser cette puissance en excitant les lords et en provoquant sans cesse des rébellions. C’est ainsi que ce malheureux pays est le théâtre d’une guerre longue et douloureuse dont l’issue est liée au destin de l’innocente enfant qui vient de naître.
N’est-ce pas un symbole au plus haut point dramatique que cette lutte commence en fait à la naissance de Marie Stuart. L’enfant est encore au maillot, elle ne parle pas, ne pense pas, ne sent pas, à peine, même, peut-elle mouvoir ses menottes dans son berceau que déjà la politique cherche à s’emparer de son corps informe, de son âme inconsciente. C’est le destin de Marie Stuart d’être toujours écartée des calculs dont elle est l’objet. Il ne lui sera jamais accordé de disposer librement de son moi, sans cesse elle restera prisonnière de la politique, le jouet de la diplomatie, l’objet des convoitises étrangères, elle ne sera que reine, gardienne de la couronne, l’alliée ou l’ennemie. A peine le messager a-t-il apporté à Londres la nouvelle de la mort de Jacques V et celle de la naissance de sa fille, l’héritière du trône d’Ecosse, que Henri VIII décide de demander au plus tôt la main de cette précieuse fiancée pour son fils et héritier Edouard, encore mineur. La politique ne s’occupe jamais des sentiments, mais de couronnes, de pays, de droits d’héritage. L’individu, son bonheur, sa volonté n’existent pas pour elle, ils ne comptent pas à côté des valeurs réelles et positives du monde. Cette fois, cependant, l’idée d’Henri VIII de fiancer l’héritière du trône d’Ecosse avec l’héritier du trône d’Angleterre est pleine de bon sens et d’humanité même. Il y a longtemps que cette division permanente entre les deux nations sœurs n’a plus de raison d’être. Formant une même île au milieu de la mer, protégées et assaillies par les mêmes eaux, de races alliées et se trouvant dans les mêmes conditions d’existence, il n’est pas douteux qu’un même devoir s’impose aux nations anglaise et écossaise : s’unir ; ici la nature a clairement exprimé sa volonté. Seule la jalousie de deux dynasties s’oppose encore à la réalisation de ce dessein ; mais si grâce à un mariage la discorde qui règne entre elles se transforme en union, alors les héritiers communs des Stuart et des Tudor pourront être à la fois rois d’Angleterre, d’Ecosse et d’Irlande, une Grande-Bretagne puissante et unie pourra prendre part à un combat d’un caractère plus élevé : la lutte pour la suprématie mondiale.
Hélas ! en politique chaque fois, sans exception, qu’une idée claire et logique apparaît, elle est compromise par de folles combinaisons. D’abord tout semble marcher à souhait. Les lords auxquels on s’est hâté de remplir les poches adhèrent avec joie à la proposition de mariage. Mais un simple parchemin ne suffit pas au prudent Henri VIII. Trop souvent il a été dupe de l’hypocrisie et de la rapacité de ces hommes d’honneur pour ne pas savoir qu’un traité n’engage jamais des gens de peu de foi et que devant une offre plus avantageuse ils seraient aussitôt prêts à vendre l’enfant royal à l’héritier du trône de France. Aussi, comme première condition, exige-t-il des négociateurs écossais la remise immédiate de la mineure à l’Angleterre. Mais si les Tudor se méfient des Stuart, ceux-ci ne se méfient pas moins des Tudor et la mère de Marie, en particulier, s’élève contre cette prétention. Fervente catholique comme tous les Guise, elle ne veut pas confier l’éducation de son enfant à des hérétiques ; outre cela elle a découvert sans peine dans le traité un piège dangereux. En effet, dans une clause secrète, les négociateurs écossais, subornés par Henri VIII, se sont engagés, au cas où Marie mourrait prématurément, à intervenir pour que, malgré cela, « le gouvernement et la possession du royaume d’Ecosse reviennent à Henri VIII ». Ce point est grave ; on peut toujours craindre de la part d’un homme qui a déjà fait trancher la tête à deux de ses femmes que pour disposer d’un héritage si important il ne hâte la mort de l’enfant. Aussi, en mère soucieuse de la vie de sa fille, Marie de Lorraine refuse de l’expédier à Londres. Il s’en faut de peu qu’une guerre ne sorte de cette demande en mariage.
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