Encore une colère comme celle-ci et je serai très pick me up ! Cette façade me donne dix ans de plus.
Deauville ! Je descends, derrière mes lunettes, raide comme un gentleman qui n’a pas lâché les tabourets de bar depuis huit jours et j’injurie copieusement, dans un anglais de cockney, un gamin qui, à la sortie, veut me prendre de force ma valise.
Je monte dans l’autobus du Royal. Pas de chambre, naturellement ; nous sommes à la veille des courses. Je demande si Lady Skarlett est chez elle et je prie qu’on lui fasse parvenir mon bristol, d’urgence. Cinq minutes plus tard, on vient me chercher et je suis un faquin solennel sans avoir lâché mon sac. Ahurissement du maître d’hôtel. On veut me débarrasser de mon fardeau, je grogne. Je dois avoir une figure redoutable : on n’insiste pas.
Un luxueux appartement, au rez-de-chaussée ; grandes portes-fenêtres ouvertes sur les parterres fleuris. Du reste, des fleurs, il y en a partout. Ce salon en est plein et des plus rares, des orchidées à faire rougir un singe ! Une femme de chambre des plus coquettes me fait entrer dans un boudoir. Nom d’un rat ! Lady Helena doit laisser quelque chose derrière elle comme « sillage embaumé » !...
Les parfums, surtout les moins timides, ceux qui avouent audacieusement leur dessein de viol, m’ont toujours bouleversé. Je ne sais déjà plus ce que je fais là ni surtout ce que je vais faire... Un rôle pareil, c’est au-dessus de mes moyens... Je vais me trahir tout de suite... Elle est jolie, Lady Helena ! très jolie !... J’ai vu son portrait dans la collection Durin... Si j’avais été moins bassement inquiet, je me serais certainement attardé à la contemplation de certains détails... Je me rappelle, par exemple, que ses seins, ses seins nus... car il y avait des photos d’une intimité... Je sens que, lorsqu’elle va être là, je vais bégayer, que mes gestes vont être ridicules ou odieux... Est-ce que je sais, moi, comment on parle à une lady !... à une lady qui couche avec son domestique !... On peut se croire tout permis et alors !... alors ce que l’on peut se faire remettre à sa place !... Ça doit se donner comme une reine, une femme comme ça !... ou vous chasser comme une impératrice !...
On n’a plus qu’à s’en aller à quatre pattes !... Si je fuyais. tout simplement ?
Après tout, moi, je suis un honnête homme ! Ce n’est pas parce qu’une suite fatale de circonstances m’a imposé une trogne fleurie de délirant good fellow et jeté dans les jambes un nécessaire de cambrioleur pour que je continue à jouer un rôle auquel ni mes antécédents ni une solide éducation familiale ni ma profession, j’ose le dire, ne m’ont préparé. Jusqu’alors, quand je me suis assis sur les bancs de la correctionnelle et même de la cour d’assises (oh ! si peu !) ça n’a jamais été sur celui des coquins. Mon devoir est de les défendre, tout juste, mais de là à me déguiser pour faire leurs commissions !...
Au surplus, elle est faite, la commission de Durin ! Et elle vaut bien cent louis, ma parole ! je ne la referais plus pour dix mille ! Hum !... Dix mille louis !...
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