Il est nu. Sa peau a la couleur des perles noires. Un petit caleçon blanc de l'une à l'autre cuisse ploie sous le fardeau d'un sexe africain. Et il danse. Et en dansant il embrasse sa poitrine, caresse ses épaules de ses grosses joues. La musique s'arrête. Il a envie de pleurer. Le caleçon lui fait honte. Son nom aussi. Une Américaine lui a demandé comment il s'appelait et il a répondu : " Moi belle Lola! "
Voyous blancs, obscène petit nègre, l'audace de vos gestes, leur exhibitionnisme de commande ne signifient ni la franchise ni la vérité.
Vous ne donnez point une expression d'humanité sincère. Mais rassurez-vous, ailleurs ce n'est pas mieux.
Vous êtes des artistes comme d'autres. Or votre art ne vise qu'un coin de la pauvreté des hommes. Et je veux croire à leur richesse diffuse.
Mais, si je m'adresse aux livres plutôt qu'aux établissements de nuit, je ne vois encore que fausses révélations. Tout, ici comme là, se trouve transposé. On truque.
Que Proust par exemple ait fait d'Albert une Albertine, voilà qui m'engage à douter de l’œuvre entière et à nier certaines découvertes qui m'y furent présentées chemin faisant. Bien que l'auteur m'ait paru assez peu soucieux des bienséances et libre d'entraves conventionnelles, il m'est difficile de le croire préoccupé de la seule étude entreprise. Il s'est souvenu des règles de la civilité puérile et honnête et, par la faute de sa mémoire policée, la transposition combinée enlève à son œuvre le plus fort de l'action qu'elle eût dû avoir.
Au reste il faut bien dire à la louange de l'auteur que son subterfuge ne saurait guère nous abuser, mais si nous devinons la vérité ou tout au moins une partie, si nous sommes en mesure d'affirmer qu'Albertine était un garçon, l'identité des autres sexes, de ce fait, ne nous apparaît plus certaine. Cette tricherie tue notre confiance.
Proust, dira-t-on pour sa défense, ne fut pas le seul à user de telles précautions oratoires. Et certes, je puis vous citer l'exemple de ce jeune homme bien élevé qui, désireux de rendre hommage aux compagnons de ses nuits, essaya d'écrire un livre, et parce qu'il ne pouvait s'empêcher d'y chanter tout au long un hymne de reconnaissance au mâle, prêta ses propres aventures à une femme, qu'il fit marquise, fort belle et de cuisse folle.
Un troisième a une absence bien réjouissante.
Il feint de parler à une jolie fille, et tout à coup victime de la précision d'un tendre souvenir et, sans même, à la correction des épreuves, s'apercevoir de l'involontaire aveu, écrit enlève tes chaussettes , au lieu de enlève tes bas .
Le même, quand il mange une pêche, se soucie-t-il de savoir si le fruit est mâle ou femelle? Je crois que, dans un lit, il ne doit guère plus penser au genre du sexe dont il s'enivre. Mais le travail d'amour achevé, lorsqu'il sera question de souvenir, s'il donne de fausses preuves, de faux noms, de faux détails sur une poitrine ou ce qui se trouve à l'ordinaire entre les jambes, il se délectera de sa propre hypocrisie et baptisera perversité le petit mensonge bien empapilloté.
Ainsi voulant revivre ses aventures plutôt que d'en tenter de nouvelles, il essaie un monde auquel il ne sera pas même tangent et dont il n'aura ni chaud ni froid.
Cet homme qui a une bonne mémoire s'étonne de s'ennuyer et aussi d'avoir honte. Qu'on lui pardonne pour tant d'ingénuité.
V. SEULE, UNE LONGUE OBSCÈNE MEMBRANE...
Pour une fois, si je voulais bien oublier des noms, des voix, de très loin peut-être, sur ma solitude viendraient se projeter, ce soir, des ombres mauves, non, pas même mauves, mais gris de lin, des ombres mêlées dans un seul bonheur et marquant le sol d'une confidence légère.
Alors qu'importe si dans la ville antérieure vinrent des hommes, des femmes aux mauvaises intentions. Un temps, ce fut la tourmente, qui, majeure, déracinait tout et que je n'osais nommer, car seul le mot haine eût convenu. Poignets tordus, grands yeux qui m'imploriez et mes dents réjouies de mordre, une canne levée certain soir sur un dos qui avait froid et des flammes d'un même feu qui ne s'éteignait point, vacillant de l'un à l'autre des charbons rougis, sanglante nourriture. Puis il y eut surtout le petit matin dont se givra l'incendie nocturne.
Toute la nuit, femme aux yeux couleur de fleuve, toute la nuit on avait dansé chez vous et vous aviez été plus pâle, plus bleue dans la pourpre d'un rêve. Or voici qu'il était parti, celui qui avait régné sur la fête car il ne savait marcher sans danser, non plus que parler sans chanter. Il s'en était allé loin de vous, loin de moi, parmi les autres, sans rien savoir, ni vouloir d'eux, comme un enfant, comme un fauve. Dehors, c'était une nuit couleur d'iris noir et semblable aux tentations qui faisaient son visage triangulaire, son regard liquide et ses lèvres plus habiles à frémir que des ailes.
L'heure était venue pourtant des pensées libérées. Trop las pour mentir encore, avant de chavirer à nouveau dans la vie qui recommence en bas sur le trottoir et au milieu des rues, les créatures parviennent à ce point du temps où il est possible de se comprendre.
Se comprendre, se prendre et non avec des mots ou des doigts, mais par la grâce de ces antennes invisibles qui font des cœurs, à l'aube, les plus étranges libellules.
Et vous, femme, parce que, disiez-vous, l'heure avait sonné des pensées libérées, vous ne cachiez plus rien de votre angoisse et puis, tout à coup, grâce aux lumières, aux boissons, prétendiez qu'il ne fallait plus avoir peur, que vous n'aviez plus peur. à vous seule vous essayiez de refaire le monde et, au milieu d'une fusion que les autres ne percevaient pas et dont vous apaisiez les éléments, vous alliez, semblable en votre impassibilité à Dieu le septième jour.
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