Soit. Ne gardons qu’une fête, la nôtre. À merveille. Mais avec une fête, une seule, comment satisfaire deux partis, le parti soldat et le parti prêtre ? Le parti soldat est voltairien. Où Canrobert sourira, Riancey fera la grimace. Comment faire ? vous allez voir. Les grands escamoteurs ne sont pas embarrassés pour si peu. Le Moniteur déclare un beau matin qu’il n’y aura plus désormais qu’une fête nationale, le 15 août. Sur ce, commentaire semi-officiel ; les deux masques du dictateur se mettent à parler. – Le 15 août, dit la bouche Ratapoil, jour de la Saint-Napoléon ! – Le 15 août, dit la bouche-Tartuffe, fête de la sainte vierge ! D’un côté le Deux-Décembre enfle ses joues, grossit sa voix, tire son grand sabre et s’écrie : sacrebleu, grognards ! fêtons Napoléon le Grand ! de l’autre il baisse les yeux, fait le signe de la croix et marmotte : mes très-chers frères, adorons le sacré cœur de Marie !
Le gouvernement actuel, main baignée de sang qui trempe le doigt dans l’eau bénite.
XI – RÉCAPITULATION
Mais on nous dit : N’allez-vous pas un peu loin ? n’êtes-vous pas injuste ? concédez-lui quelque chose. N’a-t-il pas, dans une certaine mesure, « fait du socialisme » ? Et l’on remet sur le tapis le crédit foncier, les chemins de fer, l’abaissement de la rente, etc.
Nous avons déjà apprécié ces mesures à leur juste valeur ; mais en admettant que ce soit là du « socialisme », vous seriez simples d’en attribuer le mérite à M. Bonaparte. Ce n’est pas lui qui fait du socialisme, c’est le temps.
Un homme nage contre un courant rapide ; il lutte avec des efforts inouïs, il frappe le flot du poing, du front, de l’épaule et du genou. Vous dites : il remontera. Un moment après, vous le regardez, il a descendu. Il est beaucoup plus bas dans le fleuve qu’il n’était au point de départ. Sans le savoir et sans s’en douter, à chaque effort qu’il fait, il perd du terrain. Il s’imagine qu’il remonte, et il descend toujours. Il croit avancer et il recule. Crédit foncier, comme vous dites, abaissement de la rente, comme vous dites, M. Bonaparte a déjà fait plusieurs de ces décrets que vous voulez bien qualifier de socialistes, et il en fera encore. M. Changarnier eût triomphé au lieu de M. Bonaparte, qu’il en eût fait. Henri V reviendrait demain, qu’il en ferait. L’empereur d’Autriche en fait en Galicie, et l’empereur Nicolas en Lithuanie. En somme et après tout, qu’est-ce que cela prouve ? que ce courant qui s’appelle Révolution est plus fort que ce nageur qui s’appelle Despotisme.
Mais ce socialisme même de M. Bonaparte, qu’est-il ? Cela du socialisme ? je le nie. Haine de la bourgeoisie, soit ; socialisme, non. Voyez le ministère socialiste par excellence, le ministère de l’agriculture et du commerce, il l’abolit. Que vous donne-t-il en compensation ? le ministère de la police. L’autre ministère socialiste, c’est le ministère de l’instruction publique. Il est en danger. Un de ces matins on le supprimera. Le point de départ du socialisme, c’est l’éducation, c’est l’enseignement gratuit et obligatoire, c’est la lumière.
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