Après quoi les gens critiquent.

Elle ôte son manteau.

PÈRE

Aujourd’hui il ne faut pas te rappeler ces choses.

MÈRE

Quand on se met à parler, il faut que ça sorte et aujourd’hui plus encore. Parce que aujourd’hui je me retrouve toute seule dans ma maison.

PÈRE

En attendant d’avoir de la compagnie.

MÈRE

C’est mon espoir : mes petits-enfants.

Ils s’asseyent.

PÈRE

Je veux qu’ils en aient beaucoup. Cette terre a besoin de bras, pas ceux d’ouvriers qu’on doit payer. Il faut livrer bataille aux mauvaises herbes, aux chardons, aux cailloux qui sortent d’on ne sait où. Et ces bras doivent être les maîtres qui punissent et commandent, qui font surgir les pousses. On a besoin de beaucoup de garçons.

MÈRE

Et de filles aussi ! Les garçons sont vifs comme le vent ! Ils sont toujours à manier des armes. Les filles ne sont jamais dans la rue.

PÈRE, joyeux.

Je crois qu’ils auront de tout.

MÈRE

Mon fils la couvrira bien. Il est de bonne souche. Son père aurait pu avoir avec moi beaucoup d’enfants.

PÈRE

Moi, j’aimerais que ça se fasse en un seul jour. Qu’ils aient tout de suite deux ou trois hommes.

MÈRE

Mais ce n’est pas comme ça. Il faut du temps. C’est pourquoi c’est si terrible de voir notre sang répandu par terre. Une source qui coule une minute mais qui nous a coûté des années. Quand je me suis approchée pour voir mon fils, il gisait au milieu de la rue. J’ai trempé mes mains dans son sang et j’ai léché avec ma langue. Parce que c’était mon sang. Tu ne sais pas ce que c’est, toi. Dans une châsse de verre et de topaze je mettrais, moi, la terre imbibée de ce sang.

PÈRE

Maintenant il te faut espérer. Ma fille est large et ton fils est fort.

MÈRE

J’espère bien.

Ils se lèvent.

PÈRE

Prépare les plateaux de blé36.

SERVANTE

Ils sont prêts.

FEMME DE LEONARDO, entrant.

Que ça leur porte bonheur !

MÈRE

Merci.

LEONARDO

Va-t-il y avoir fête ?

PÈRE

Très peu. Les gens ne peuvent pas s’attarder.

SERVANTE

Les voilà !

Les invités entrent, en groupes joyeux. Les Fiancés entrent en se tenant le bras. Leonardo sort.

FIANCÉ

On n’a jamais vu autant de gens à des noces.

FIANCÉE, l’air sombre.

Jamais.

PÈRE

Quelles belles noces on a !

MÈRE

Des familles entières sont venues.

FIANCÉ

Des gens qui ne sortaient jamais.

MÈRE

Ton père a beaucoup semé et maintenant c’est toi qui récoltes.

FIANCÉ

Des cousins que je ne connaissais pas.

MÈRE

Tous ceux qui vivent sur la côte.

FIANCÉ, joyeux.

Ils avaient peur des chevaux.

Ils parlent tous ensemble.

MÈRE, à la Fiancée.

À quoi penses-tu ?

FIANCÉE

Je ne pense à rien.

MÈRE

Les bénédictions pèsent d’un grand poids.

On entend les guitares.

FIANCÉE

Comme du plomb.

MÈRE, d’une voix forte.

Mais elles ne doivent pas peser. Tu dois te sentir légère comme une colombe.

FIANCÉE

Vous restez ici cette nuit ?

MÈRE

Non. Je ne laisse pas ma maison toute seule.

FIANCÉE

Vous devriez rester !

PÈRE, à la Mère.

Regarde-les danser. Ce sont des danses de là-bas, du bord de mer.

Leonardo entre et s’assied. Sa femme derrière lui, rigide.

MÈRE

Ce sont les cousins de mon mari. Pour danser ils sont solides comme le roc.

PÈRE

Je me réjouis de les voir. Quel changement dans cette maison !

Il sort.

FIANCÉ, à la Fiancée.

Ça t’a plu la fleur d’oranger ?

FIANCÉE, le regardant fixement.

Oui.

FIANCÉ

Elle est toute en cire. Cela dure toujours. J’aurais aimé que tu en portes sur toute ta robe.

FIANCÉE

Ce n’est pas nécessaire.

Leonardo quitte la scène sur la droite.

JEUNE FILLE 1

On va t’enlever les épingles.

FIANCÉE, au Fiancé.

Je reviens tout de suite.

FEMME

Sois heureux avec ma cousine !

FIANCÉ

J’en suis sûr.

FEMME

Ici tous les deux ; sans jamais sortir et vous monterez votre maison.