Je crois que j’ai un tout petit mot d’elle quelque part ; oui, le voilà.

– Oh, merci », s’exclama Margaret. Comme elle préférait le lire seule et sans témoin, elle prétexta qu’elle devait prévenir à nouveau sa mère (Sarah avait sûrement mal transmis le message) de la visite de Mr Lennox.

Lorsqu’elle eut quitté la pièce, il se mit à regarder autour de lui avec sa minutie coutumière. Inondé par la lumière du matin, le petit salon se montrait sous son aspect le plus riant. La vitre du milieu de la fenêtre en rotonde était ouverte, laissant voir dans l’encadrement des grappes de roses et du chèvrefeuille écarlate. La petite pelouse était ravissante, avec ses verveines et ses géraniums aux nuances multiples et éclatantes. Mais la vivacité même des couleurs du jardin, par contraste, faisait paraître fanées celles de l’intérieur. Le tapis avait connu des jours meilleurs ; la toile indienne avait été souvent lavée ; comme cadre et environnement pour Margaret, si royale elle-même, la pièce entière semblait plus petite et plus pauvre qu’il ne l’aurait cru. Il prit l’un des livres posés sur la table ; c’était le Paradis de Dante, avec la reliure italienne originale de vélin blanc et or ; à côté se trouvait un dictionnaire, et quelques mots recopiés de la main de Margaret. C’était une liste austère mais, curieusement, il éprouva du plaisir à la regarder. Il la reposa avec un soupir.

« Manifestement, pensa-t-il, le bénéfice de son père est aussi modeste qu’elle le prétend. Cela paraît étrange, car les Beresford sont de bonne famille. »

Entre-temps, Margaret avait trouvé sa mère. C’était l’un des jours où Mrs Hale était d’humeur capricieuse, où tout lui semblait une épreuve pénible ; l’arrivée de Mr Lennox entrait dans cette catégorie, bien qu’en secret, elle fût flattée qu’il eût jugé bon de leur rendre visite.

« Comme c’est fâcheux ! Aujourd’hui, nous déjeunons de bonne heure, avec seulement des viandes froides, pour que les domestiques puissent se consacrer au repassage. Malgré tout, nous ne pouvons faire autrement que l’inviter à déjeuner, car il est le beau-frère d’Edith, entre autres. Et ton père est si abattu ce matin, pour une raison que j’ignore au demeurant. Je reviens de son bureau où je l’ai trouvé affalé sur la table et les mains sur le visage. Mais quand je lui ai dit que j’étais certaine que l’air d’ici ne lui convenait pas plus à lui qu’à moi, il s’est brusquement redressé et m’a priée de ne pas prononcer un mot de plus contre Helstone, car il ne pouvait souffrir ces critiques ; s’il devait nommer le lieu qu’il préférait au monde, c’était Helstone. Malgré tout, je suis persuadée que c’est cet air humide et débilitant qui l’affecte. »

Margaret eut la sensation qu’un épais nuage glacé passait entre elle et le soleil. Elle écouta patiemment, dans l’espoir que sa mère éprouverait quelque soulagement à se libérer de ses soucis ; mais il était temps de ramener son attention sur Mr Lennox.

« Papa aime beaucoup Mr Lennox ; ils se sont fameusement bien entendus au repas de noces. Je suis sûre que sa visite fera grand bien à papa. Et ne vous inquiétez pas pour le déjeuner, chère maman. La viande froide conviendra parfaitement pour une collation, car c’est ainsi que Mr Lennox considérera un repas servi à deux heures de l’après-midi.

– Mais comment allons-nous l’occuper d’ici là ? Il n’est que dix heures et demie.

– Je vais lui proposer de m’accompagner pour faire des croquis. Je sais qu’il dessine et ainsi, vous aurez le champ libre, maman. Mais venez le saluer maintenant, sinon il va s’étonner. »

Mrs Hale ôta son tablier de soie noire et se lissa le visage. Elle paraissait aussi jolie que distinguée lorsqu’elle souhaita la bienvenue à Mr Lennox avec la cordialité due à un homme qui était presque de la famille. Il s’attendait évidemment à être prié de passer la journée chez eux, et accepta l’invitation avec tant de plaisir et de spontanéité que Mrs Hale souhaita pouvoir ajouter quelque chose au rôti de bœuf froid. Mr Lennox se montra parfaitement accommodant, ravi à l’idée d’aller dessiner avec Margaret et assura qu’il ne voulait pour rien au monde déranger Mr Hale puisqu’il le verrait d’ici peu pour le déjeuner. Margaret sortit son matériel à dessin pour qu’il choisisse ce dont il avait besoin ; et après avoir soigneusement sélectionné papier et pinceaux, les deux jeunes gens se mirent en route allègrement.

« Ah, arrêtez-vous ici juste une ou deux minutes, dit Margaret. Voici les cottages qui ont hanté mes pensées pendant les deux semaines où il a plu ; ils me reprochaient de ne pas les avoir dessinés.

– Avant qu’ils ne s’écroulent et disparaissent. En vérité, s’ils doivent être dessinés, et c’est vrai qu’ils sont fort pittoresques, nous ferions mieux de ne pas remettre cette entreprise à l’année prochaine. Mais où allons-nous nous asseoir ?

– Oh, on dirait vraiment que vous sortez de votre cabinet du Temple10, et non que vous revenez des montagnes d’Écosse où vous avez passé deux mois ! Regardez-moi ce beau tronc d’arbre que les bûcherons ont laissé juste à l’endroit idéal pour la lumière.