D’après ses informations, il y a là-bas des débouchés intéressants pour un précepteur.

– Un précepteur ! s’écria Margaret, l’air dédaigneux. Quel usage des industriels pourraient-ils bien avoir des classiques, de la littérature ou des talents et de la culture d’un gentleman ?

– Oh, dit son père, certains semblent être des hommes avisés, conscients de leurs manques, ce qui est plus qu’on n’en pourrait dire de beaucoup de ceux qui fréquentent Oxford. Certains sont déterminés à apprendre, même parvenus à l’âge d’homme. D’autres veulent que leurs enfants aient une meilleure éducation que celle qu’ils ont reçue. Quoi qu’il en soit, comme je l’ai dit, il y a des débouchés pour un précepteur. Mr Bell m’a recommandé à Mr Thornton, l’un de ses locataires, un homme très intelligent, si j’en juge par ses lettres. Et Milton, Margaret, m’offrira une vie bien remplie, sinon heureuse, et des gens et des paysages trop différents de ceux de Helstone pour me le rappeler. »

C’était là son motif secret, comme Margaret le devinait d’après ses propres sentiments. Tout serait différent. En dépit de ses aspects déplaisants – Margaret détestait tout ce qu’elle avait entendu dire du Nord de l’Angleterre, des industriels, des gens, de la campagne sauvage et désolée –, la ville avait un avantage : elle serait différente de Helstone et ne pourrait jamais leur rappeler ce lieu bien-aimé.

« Quand partons-nous ? demanda Margaret après un court silence.

– Je ne sais pas au juste. Je voulais d’abord en discuter avec toi. Tu vois, ta mère ne sait encore rien, mais je crois que nous pourrions partir dans quinze jours. Une fois ma lettre de démission envoyée, je n’aurai plus le droit de rester. »

Margaret en resta presque figée.

« Dans quinze jours !

– Oh, pas au jour près. Rien n’est fixé », dit son père avec une hésitation inquiète, voyant les yeux de sa fille s’embuer de chagrin, et son visage changer de couleur. Mais elle se ressaisit aussitôt.

« Oui, papa, mieux vaut fixer le départ rapidement et résolument, comme vous dites. Mais pensez-vous que maman doive tout ignorer ? C’est cela qui me trouble beaucoup.

– La pauvre Maria ! s’exclama Mr Hale avec tendresse. Pauvre, pauvre Maria ! Ah, si seulement je n’étais pas marié… si je n’avais d’autre charge que moi-même, comme tout serait facile ! En l’occurrence, Margaret, je n’ose rien lui dire !

– Soit, dit tristement Margaret. Je m’en charge. Donnez-moi jusqu’à demain soir pour choisir le moment propice. Oh, papa, s’écria-t-elle soudain suppliante et passionnée, dites-moi qu’il s’agit d’un cauchemar, d’un mauvais rêve, et non de la réalité ! Vous ne pouvez pas être sérieux quand vous dites que vous allez quitter l’Église, abandonner Helstone, vous détacher à jamais de maman et de moi, induit en erreur par un mirage, une tentation ! Vous n’y pensez pas sérieusement ! »

Mr Hale l’écouta, muet et rigide. Puis il la regarda bien en face et dit d’une voix rauque, lente et mesurée : « Si, Margaret, je suis sérieux. Ne t’abuse pas en doutant de la réalité de mes propos, de ma ferme intention ou de ma détermination. » Et après avoir prononcé ces mots, il continua à fixer sur elle le même regard impassible. Elle aussi le regarda d’un œil implorant avant de se persuader que sa décision était irrévocable. Alors elle se leva et, sans un autre mot ni un autre regard, se dirigea vers la porte. Elle avait les doigts sur la poignée quand il la rappela. Debout à côté de la cheminée, il se tenait voûté, comme ratatiné ; mais lorsqu’elle s’approcha, il se redressa de toute sa hauteur et, plaçant ses mains sur la tête de sa fille, dit solennellement :

« Que la bénédiction de Dieu t’accompagne, mon enfant !

– Et qu’Il te ramène en sa sainte Église », répondit-elle, car son cœur débordait. L’instant d’après, elle craignit que sa réplique à la bénédiction paternelle ne semblât irrévérencieuse, déplacée, blessante de sa part, et elle jeta ses bras autour de son cou. Il la tint un moment serrée contre lui. Elle l’entendit se murmurer à lui-même : « Les martyrs et les confesseurs ont eu des peines plus dures à supporter… je ne me déroberai pas. »

Ils sursautèrent en entendant Mrs Hale s’enquérir de sa fille. Ils s’écartèrent l’un de l’autre, pleinement conscients de tout ce qui les attendait. En hâte, Mr Hale glissa à sa fille : « Va, Margaret, va.