La lune éclairait assez la pièce pour qu’il vît sa fille dans cette posture et ce lieu inhabituels. Avant qu’elle eût remarqué sa présence, il s’approcha d’elle et lui toucha l’épaule.
« Margaret, je t’ai entendue marcher. Je n’ai pas pu m’empêcher de monter te demander de dire le Notre Père avec moi ; prier nous fera du bien à tous deux. »
Ils s’agenouillèrent près de la banquette de la fenêtre, lui, les yeux levés vers le ciel, elle, la tête penchée avec humilité et confusion. Dieu était là, tout proche d’eux, entendant les mots chuchotés. Son père était peut-être hérétique, mais elle, ne s’était-elle pas montrée bien plus sceptique, tandis qu’elle était en proie aux doutes et au désespoir il n’y avait pas cinq minutes ? Elle ne dit pas un mot, mais se glissa dans son lit dès que son père l’eut quittée, comme une enfant honteuse de sa faute. Si le monde était empli de problèmes ardus, elle garderait confiance sans chercher à voir plus loin que la tâche à accomplir dans l’heure. Mr Lennox, sa visite, sa déclaration, dont le souvenir avait été si brutalement chassé par les événements qui lui avaient succédé ce même jour, hantèrent les rêves de Margaret cette nuit-là. Il grimpait à un arbre d’une hauteur fabuleuse afin d’atteindre la branche à laquelle était accroché le chapeau qu’elle avait ôté ; il tombait, et elle s’efforçait de le sauver, mais était retenue par une main puissante et invisible. Il était mort. Et pourtant, après un changement de décor, elle se retrouvait une fois de plus dans le salon de Harley Street et lui parlait comme jadis, sans que la quitte un instant la vision de cette chute horrible où elle l’avait vu périr.
Quel piètre repos lui offrit cette nuit agitée ! Quelle mauvais préambule à la journée à venir ! Elle se réveilla en sursaut, fatiguée et consciente d’une réalité pire encore que ses rêves enfiévrés. Tout lui revint à l’esprit : non seulement le chagrin, mais aussi le trouble terrible au sein du chagrin. Jusqu’où son père s’était-il laissé détourner du droit chemin, mu par des doutes qui, aux yeux de Margaret, étaient le fruit d’une tentation du Malin ? Elle brûlait de poser la question, mais pour rien au monde n’aurait voulu entendre la réponse.
Ragaillardie par l’air vif de cette belle matinée, Mrs Hale se montra de très bonne humeur au petit déjeuner. Elle parla beaucoup, si occupée par ses projets charitables pour le village qu’elle ne remarqua ni le silence de son mari, ni les réponses monosyllabiques de sa fille. Avant que la table fût débarrassée, Mr Hale se leva et, s’appuyant dessus comme s’il avait besoin d’un soutien, il déclara : « Je ne rentrerai pas avant ce soir. Je vais à Bracy Common et demanderai au fermier Dobson de me donner quelque chose pour déjeuner. Je serai de retour pour le repas du soir à sept heures. »
Il évita de les regarder, mais Margaret avait compris ce qu’il voulait dire : avant sept heures, il lui fallait avoir annoncé la nouvelle à sa mère. Mr Hale eût attendu six heures et demie pour cela, mais Margaret était d’une autre étoffe. Elle ne pouvait supporter l’idée d’avoir ce poids sur la conscience toute la journée ; celle-ci ne serait pas assez longue pour consoler sa mère, aussi, mieux valait aller droit au but. Mais tandis que, devant la fenêtre, elle se demandait par où commencer et attendait que la domestique ait quitté la pièce, sa mère était montée s’habiller pour se rendre à l’école. Elle descendit toute prête, et plus énergique qu’à l’accoutumée.
« Maman, venez faire le tour du jardin avec moi ce matin. Juste un petit tour », dit Margaret en lui passant le bras autour de la taille.
Elles sortirent par la porte-fenêtre. Mrs Hale parlait, mais Margaret n’aurait su répéter ses propos. Du coin de l’œil, elle vit une abeille pénétrer dans une fleur à corolle profonde ; quand elle ressortirait avec son butin, elle commencerait à parler, ce serait le signe. L’insecte sortit.
« Maman ! Papa va quitter Helstone, lâcha-t-elle de but en blanc. Il va quitter l’Église, et s’établir à Milton-Northern. »
Les trois terribles vérités étaient brutalement dévoilées.
« Qu’est-ce qui te fait dire cela ? demanda Mrs Hale, stupéfaite et incrédule. Qui t’a raconté de pareilles bêtises ?
– Papa lui-même », dit Margaret, qui aurait bien voulu prononcer de douces paroles de consolation, mais ne savait tout simplement pas comment faire. Elles se tenaient à côté d’un banc. Mrs Hale s’assit et fondit en larmes.
« Je ne comprends rien à tout cela. Ou bien tu te trompes lourdement, ou bien je ne comprends rien à ce que tu me racontes.
– Non, maman, je ne me trompe pas. Papa a écrit à l’évêque pour lui dire qu’il a de tels doutes qu’il ne peut en toute conscience continuer à exercer son ministère au sein de l’Église anglicane, et qu’il doit quitter Helstone.
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