Je veux le roman, je veux le drame, je veux la vérité partout. Ne m'apporte plus ton cher souvenir que la nuit; viens sur le rayon de lune qui glisse entre mes rideaux, à l'heure où je pourrai pleurer avec toi sans être vu. J'ai besoin de toute ma virilité. Plus tard, oh! plus tard, ce sera moi qui irai te retrouver dans les campagnes tièdes encore de nos tendresses. Nous serons bien vieux; mais nous nous aimerons toujours. Tu me mèneras en pèlerinage sur la berge, au bord de l'eau, réveillée à peine; dans les trous de feuilles, avec la campagne ardente dormant autour de nous; au milieu des prés, lentement noyés sous le flot bleuâtre du crépuscule; le long de la route interminable, insoucieux des étoiles, au seul bonheur de nous perdre dans l'ombre. Et les arbres, les brins d'herbe, jusqu'aux cailloux, nous reconnaîtront de loin, à nos baisers, et nous souhaiteront la bien-venue.

Écoute, pour que nous ne nous cherchions pas je veux te dire derrière quelle haie j'irai te prendre. Tu sais l'endroit où la rivière fait un coude, après le pont, plus bas que le lavoir, juste en face du grand rideau de peupliers? Souviens-toi, nous nous y sommes baisé les mains, un matin de mai. Eh bien! à gauche, il y a une haie d'aubépines, ce mur de verdure au pied duquel nous nous couchions pour ne plus voir que le bleu du ciel. C'est derrière la haie d'aubépines, ma chère âme, que je te donne rendez-vous, à des années, un jour de soleil pâle, lorsque ton coeur me saura dans les environs.

ÉMILE ZOLA.

Paris, 1er octobre 1874.

CONTES

UN BAIN

Je te le donne en mille, Ninon. Cherche, invente, imagine: un vrai conte bleu, quelque chose de terrifiant et d'invraisemblable… Tu sais, la petite baronne, cette excellente Adeline de C***, qui avait juré… Non, tu ne devinerais pas, j'aime mieux te tout dire.

Eh bien! Adeline se remarie, positivement. Tu doutes, n'est-ce pas? Il faut que je sois au Mesnil-Rouge, à soixante-sept lieues de Paris, pour croire à une pareille histoire. Ris, le mariage ne s'en fera pas moins. Cette pauvre Adeline, qui était veuve à vingt-deux ans, et que la haine et le mépris des hommes rendaient si jolie! En deux mois de vie commune, le défunt, un digne homme, certes, pas trop mal conservé, qui eût été parfait sans les infirmités dont il est mort, lui avait enseigné toute l'école du mariage. Elle avait juré que l'expérience suffisait. Et elle se remarie! Ce que c'est que de nous, pourtant!

Il est vrai qu'Adeline a eu de la malechance. On ne prévoit pas une aventure pareille. Et si je te disais qui elle épouse! Tu connais le comte Octave de R***, ce grand jeune homme qu'elle détestait si parfaitement. Ils ne pouvaient se rencontrer sans échanger des sourires pointus, sans s'égorger doucement avec des phrases aimables. Ah! les malheureux! si tu savais où ils se sont rencontrés une dernière fois… Je vois bien qu'il faut que je te conte ça. C'est tout un roman. Il pleut ce matin. Je vais mettre la chose en chapitres.

I

Le Château est à six lieues de Tours. Du Mesnil-Rouge, j'en vois les toits d'ardoise, noyés dans les verdures du parc. On le nomme le Château de la Belle-au-Bois-dormant, parce qu'il fut jadis habité par un seigneur qui faillit y épouser une de ses fermières. La chère enfant y vécut cloîtrée, et je crois que son ombre y revient. Jamais pierres n'ont eu une telle senteur d'amour.

La Belle qui y dort aujourd'hui est la vieille comtesse de M***, une tante d'Adeline. Il y a trente ans qu'elle doit venir passer un hiver à Paris. Ses nièces et ses neveux lui donnent chacun une quinzaine, à la belle saison. Adeline est très-ponctuelle.