- C'est vrai; c'est à l'Eden que je songeais! Qu'est-ce que c'est pour

mon rêve, cette pureté des races antiques!

Les philosophes: le monde n'a pas d'âge. L'humanité se déplace, simplement. Vous êtes en

Occident, mais libre d'habiter dans votre Orient, quelque ancien qu'il vous le faille, - et d'y habiter

bien. Ne soyez pas un vaincu. Philosophes, vous êtes de votre Occident.

Mon esprit, prends garde. Pas de partis de salut violents. Exerce-toi! - Ah! la science ne va pas

assez vite pour nous!

- Mais je m'aperçois que mon esprit dort.

S'il était éveillé toujours à partir de ce moment, nous serions bientôt à la vérité, qui peut-être nous

entoure avec ses anges pleurant!... - S'il avait été éveillé jusqu'à ce moment-ci, c'est que je n'aurais

pas cédé aux instincts délétères, à une époque immémoriale!... - S'il avait toujours été bien éveillé,

je voguerais en pleine sagesse!...

O pureté! pureté!

C'est cette minute d'éveil qui m'a donné la vision de la pureté! - Par l'esprit on va à Dieu!

Déchirante infortune!

L'éclair

Le travail humain! c'est l'explosion qui éclaire mon abîme de temps en temps.

"Rien n'est vanité; à la science, et en avant!" crie l'Ecclésiaste moderne, c'est-à-dire Tout le monde.

Et pourtant les cadavres des méchants et des fainéants tombent sur le coeur des autres... Ah! vite,

vite un peu; là-bas, par-delà la nuit, ces récompenses futures, éternelles... les échappons-nous?...

- Qu'y puis-je? Je connais le travail; et la science est trop lente. Que la prière galope et que la

lumière gronde... je le vois bien. C'est trop simple, et il fait trop chaud; on se passera de moi. J'ai

mon devoir, j'en serai fier à la façon de plusieurs, en le mettant de côté.

Ma vie est usée. Allons! feignons, fainéantons, ô pitié! Et nous existerons en nous amusant, en

rêvant amours monstres et univers fantastiques, en nous plaignant et en querellant les apparences

du monde, saltimbanque, mendiant, artiste, bandit, - prêtre! Sur mon lit d'hôpital, l'odeur de

l'encens m'est revenue si puissante; gardien des aromates sacrés, confesseurs, martyr...

Je reconnais là ma sale éducation d'enfance. Puis quoi!... Aller mes vingt ans, si les autres vont

vingt ans...

Non! non! à présent je me révolte contre la mort! Le travail paraît trop léger à mon orgueil: ma

trahison au monde serait un supplice trop court. Au dernier moment, j'attaquerais à droite, à

gauche...

Alors, - oh! - chère pauvre âme, l'éternité serait-elle pas perdue pour nous!

Matin

N'eus-je pas une fois une jeunesse aimable, héroïque, fabuleuse, à écrire sur des feuilles d'or, - trop

de chance! Par quel crime, par quelle erreur, ai-je mérité ma faiblesse actuelle? Vous qui prétendez

que des bêtes poussent des sanglots de chagrin, que des malades désespèrent, que des morts rêvent

mal, tâchez de raconter ma chute et mon sommeil. Moi, je ne puis pas plus m'expliquer que le

mendiant avec ses continuels Pater et Ave Maria. Je ne sais plus parler!

Pourtant, aujourd'hui, je crois avoir fini la relation de mon enfer. C'était bien l'enfer; l'ancien, celui

dont le fils de l'homme ouvrit les portes.

Du même désert, à la même nuit, toujours mes yeux las se réveillent à l'étoile d'argent, toujours,

sans que s'émeuvent les Rois de la vie, les trois mages, le coeur, l'âme, l'esprit. Quand irons-nous,

par-delà les grèves et les monts, saluer la naissance du travail nouveau, la sagesse nouvelle, la fuite

des tyrans et des démons, la fin de la superstition, adorer - les premiers! - Noël sur la terre!

Le chant des cieux, la marche des peuples! Esclaves ne maudissons pas la vie.

Adieu

L'automne déjà! - Mais pourquoi regretter un éternel soleil, si nous sommes engagés à la

découverte de la clarté divine, - loin des gens qui meurent sur les saisons.

L'automne. Notre barque élevée dans les brumes immobiles tourne vers le port de la misère, la cité

énorme au ciel taché de feu et de boue. Ah! les haillons pourris, le pain trempé de pluie, l'ivresse,

les mille amours qui m'ont crucifié! Elle ne finira donc point cette goule reine de millions d'âmes et

de corps morts et qui seront jugés! Je me revois la peau rongée par la boue et la peste, des vers

plein les cheveux et les aisselles et encore de plus gros vers dans le coeur, étendu parmi les

inconnus sans âge, sans sentiment... J'aurais pu y mourir... L'affreuse évocation! J'exècre la misère.

Et je redoute l'hiver parce que c'est la saison du confort!

- Quelquefois je vois au ciel des plages sans fin couvertes de blanches nations en joie. Un grand

vaisseau d'or, au-dessus de moi, agite ses pavillons multicolores sous les brises du matin. J'ai créé

toutes les fêtes, tous les triomphes, tous les drames. J'ai essayé d'inventer de nouvelles fleurs, de

nouveaux astres, de nouvelles chairs, de nouvelles langues.