O
Si gai, si facile,
Et visible à l'oeil nu...
- Je chante avec elle, -
Reconnais ce tour
Si gai, si facile,
Ce n'est qu'onde, flore,
Et c'est ta famille!...etc...
Et puis une Voix
- Est-elle angélique! -
Il s'agit de moi,
Vertement s'explique;
Et chante à l'instant
En soeur des haleines:
D'un ton Allemand,
Mais ardente et pleine:
Le monde est vicieux;
Si cela t'étonne!
Vis et laisse au feu
L'obscure infortune.
O! joli château!
Que ta vie est claire!
De quel Age es-tu,
Nature princière
De notre grand frère! etc...
Je chante aussi, moi:
Multiples soeurs! Voix
Pas du tout publiques!
Environnez-moi
De gloire pudique...etc...
Juin 1872.
Jeune ménage
La chambre est ouverte au ciel bleu-turquin,
Pas de place: des coffrets et des huches!
Dehors le mur est plein d'aristoloches
Où vibrent les gencives des lutins.
Que ce sont bien intrigues de génies
Cette dépense et ces désordres vains!
C'est la fée africaine qui fournit
La mûre, et les résilles dans les coins.
Plusieurs entrent, marraines mécontentes,
En pans de lumière dans les buffets,
Puis y restent! le ménage s'absente
Peu sérieusement, et rien ne se fait.
Le marié a le vent qui le floue
Pendant son absence, ici, tout le temps.
Même des esprits des eaux, malfaisants
Entrent vaguer aux sphères de l'alcôve.
La nuit, l'amie oh! la lune de miel
Cueillera leur sourire et remplira
De mille bandeaux de cuivre le ciel.
Puis ils auront affaire au malin rat.
- S'il n'arrive pas un feu follet blême,
Comme un coup de fusil, après des vêpres.
- O spectres saints et blancs de Bethléem,
Charmez plutôt le bleu de leur fenêtre!
27 juin 1872.
Bruxelles
Juillet, Boulevard du Régent.
Plates-bandes d'amarantes jusqu'à
L'agréable palais de Jupiter.
- Je sais que c'est Toi qui, dans ces lieux,
Mêles ton Bleu presque de Sahara!
Puis, comme rose et sapin du soleil
Et liane ont ici leur jeux enclos,
Cage de la petite veuve!...
Quelles troupes d'oiseaux, ô iaio, iaio!...
- Calmes maisons, anciennes passions!
Kiosque de la Folle par affection.
Après les fesses des rosiers, balcon
Ombreux et très bas de la Juliette.
- La Juliette, ça rappelle l'Henriette,
Charmante station du chemin de fer,
Au coeur d'un mont, comme au fond d'un verger
Où mille diables bleus dansent dans l'air!
Banc vert où chante au paradis d'orage,
Sur la guitare, la blanche Irlandaise.
Puis, de la salle à manger guyanaise,
Bavardage des enfants et des cages.
Fenêtre du duc qui fais que je pense
Au poison des escargots et du buis
Qui dort ici-bas au soleil.
Et puis
C'est trop beau! trop! Gardons notre silence.
- Boulevard sans mouvement ni commerce,
Muet, tout drame et toute comédie,
Réunion des scènes infinie,
Je te connais et t'admire en silence.
Est-elle almée?...
Est-elle almée?... aux premières heures bleues
Se détruira-t-elle comme les fleurs feues...
Devant la splendide étendue où l'on sente
Souffler la ville énormément florissante!
C'est trop beau! c'est trop beau! mais c'est nécessaire
- Pour la Pêcheuse et la chanson du Corsaire,
Et aussi puisque les derniers masques crurent
Encore aux fêtes de nuit sur la mer pure!
Juillet 1872.
Fêtes de la faim
Ma faim, Anne, Anne,
Fuis sur ton âne.
Si j'ai du goût, ce n'est guères
Que pour la terre et les pierres
Dinn! dinn! dinn! dinn! je pais l'air,
Le roc, les charbons, le fer.
Tournez, les faims! paissez, faims,
Le pré des sons!
L'aimable et vibrant venin
Des liserons;
Les cailloux qu'un pauvre brise,
Les vieilles pierres d'églises,
Les galets, fils des déluges,
Pains couchés aux vallées grises!
Mes faims, c'est les bouts d'air noir;
L'azur sonneur;
- C'est l'estomac qui me tire.
C'est le malheur.
Sur terre ont paru les feuilles:
Je vais aux chairs de fruits blettes,
Au sein du sillon je cueille
La doucette et la violette.
Ma faim, Anne, Anne!
Fuis sur ton âne.
Août 1872.
Qu'est-ce pour nous...
Qu'est-ce pour nous, mon coeur, que les nappes de sang
Et de braise, et mille meurtres, et les longs cris
De rage, sanglots de tout enfer renversant
Tout ordre; et l'Aquilon encor sur les débris;
Et toute vengeance? Rien!... - Mais si, toute encor,
Nous la voulons! Industriels, princes, sénats:
Périssez! puissance, justice, histoire: à bas!
Ca nous est dû. Le sang! le sang! la flamme d'or!
Tout à la guerre de la vengeance, à la terreur,
Mon esprit! Tournons dans la morsure: Ah! passez,
Républiques de ce monde! Des empereurs,
Des régiments, des colons, des peuples, assez!
Qui remuerait les tourbillons de feu furieux,
Que nous et ceux que nous nous imaginons frères?
A nous, romanesques amis: ça va nous plaire.
Jamais nous ne travaillerons, ô flots de feux!
Europe, Asie, Amérique, disparaissez.
Notre marche vengeresse a tout occupé,
Cités et campagnes! - Nous serons écrasés!
Les volcans sauteront! Et l'Océan frappé...
Oh! mes amis! - Mon coeur, c'est sûr, ils sont des frères:
Noirs inconnus, si nous allions! Allons! allons!
O malheur! je me sens frémir, la vieille terre,
Sur moi de plus en plus à vous! la terre fond.
Ce n'est rien! j'y suis! j'y suis toujours.
Entends comme brame...
Entends comme brame
près des acacias
en avril la rame
viride du pois!
Dans sa vapeur nette,
vers Phoebé! tu vois
s'agiter la tête
de saints d'autrefois...
Loin des claires meules
des caps, des beaux toits,
ces chers Anciens veulent
ce philtre sournois...
Or ni fériale
ni astrale! n'est
la brume qu'exhale
ce nocturne effet.
Néanmoins ils restent,
- Sicile, Allemagne,
dans ce brouillard triste
et blêmi, justement!
Michel et Christine
Zut alors, si le soleil quitte ces bords!
Fuis, clair déluge! voici l'ombre des routes
Dans les saules, dans la vieille cour d'honneur,
L'orage d'abord jette ses larges gouttes.
O cent agneaux, de l'idylle soldats blonds,
Des aqueducs, des bruyères amaigries,
Fuyez! plaine, déserts, prairie, horizons
Sont à la toilette rouge de l'orage!
Chien noir, brun pasteur dont le manteau s'engouffre,
Fuyez l'heure des éclairs supérieurs;
Blond troupeau, quand voici nager ombre et soufre,
Tâchez de descendre à des retraits meilleurs.
Mais moi, Seigneur! voici que mon esprit vole,
Après les cieux glacés de rouge, sous les
Nuages célestes qui courent et volent
Sur cent Solognes longues comme un railway.
Voilà mille loups, mille graines sauvages
Qu'emporte, non sans aimer les liserons,
Cette religieuse après-midi d'orage
Sur l'Europe ancienne où cent hordes iront!
Après le clair de lune! partout la lande,
Rougissant leurs fronts aux cieux noirs, les guerriers
Chevauchent lentement leurs pâles coursiers!
Les cailloux sonnent sous cette fière bande!
Et verrai-je le bois jaune et le val clair,
L'Epouse aux yeux bleus, l'homme au front rouge, ô Gaule,
Et le blanc Agneau Pascal, à leurs pieds chers,
- Michel et Christine, - et Christ! fin de l'Idylle.
Honte
Tant que la lame n'aura
Pas coupé cette cervelle,
Ce paquet blanc, vert et gras,
A vapeur jamais nouvelle,
(Ah! Lui, devrait couper son
Nez, sa lèvre, ses oreilles,
Son ventre! et faire abandon
De ses jambes! ô merveille!)
Mais, non; vrai, je crois que tant
Que pour sa tête la lame,
Que les cailloux pour son flanc,
Que pour ses boyaux la flamme,
N'auront pas agi, l'enfant
Gêneur, la si sotte bête,
Ne doit cesser un instant
De ruser et d'être traître,
Comme un chat des Monts-Rocheux,
D'empuantir toutes sphères!
Qu'à sa mort pourtant, ô mon Dieu!
S'élève quelque prière!
Mémoire
I
L'eau claire; comme le sel des larmes d'enfance,
L'assaut au soleil des blancheurs des corps de femmes;
la soie, en foule et de lys pur, des oriflammes
sous les murs dont quelque pucelle eut la défense;
l'ébat des anges; - Non... le courant d'or en marche,
meut ses bras, noirs, et lourds, et frais surtout, d'herbe. Elle
sombre, ayant le Ciel bleu pour ciel-de-lit, appelle
pour rideaux l'ombre de la colline et de l'arche.
II
Eh! l'humide carreau tend ses bouillons limpides!
L'eau meuble d'or pâle et sans fond les couches prêtes.
Les robes vertes et déteintes des fillettes
font les saules, d'où sautent les oiseaux sans brides.
Plus pure qu'un louis, jaune et chaude paupière,
le souci d'eau - ta foi conjugale, ô l'Epouse! -
au midi prompt, de son terne miroir, jalouse
au ciel gris de chaleur la Sphère rose et chère.
III
Madame se tient trop debout dans la prairie
prochaine où neigent les fils du travail; l'ombrelle
aux doigts; foulant l'ombelle; trop fière pour elle;
des enfants lisant dans la verdure fleurie
leur livre de maroquin rouge! Hélas, Lui, comme
mille anges blancs qui se séparent sur la route,
s'éloigne par-delà la montagne! Elle, toute
froide, et noire, court! après le départ de l'homme!
IV
Regret des bras épais et jeunes d'herbe pure!
Or des lunes d'avril au coeur du saint lit! Joie
des chantiers riverains à l'abandon, en proie
aux soirs d'août qui faisaient germer ces pourritures!
Qu'elle pleure à présent sous les remparts! l'haleine
des peupliers d'en haut est pour la seule brise.
Puis, c'est la nappe, sans reflets, sans source, grise:
un vieux, dragueur, dans sa barque immobile, peine.
V
Jouet de cet oeil d'eau morne, je n'y puis prendre,
ô canot immobile! oh! bras trop courts! ni l'une
ni l'autre fleur: ni la jaune qui m'importune,
là; ni la bleue, amie à l'eau couleur de cendre.
Ah! la poudre des saules qu'une aile secoue!
Les roses des roseaux dès longtemps dévorées!
Mon canot, toujours fixe; et sa chaîne tirée
Au fond de cet oeil d'eau sans bords, - à quelle boue?
O saisons, ô châteaux...
O saisons, ô châteaux,
Quelle âme est sans défauts?
O saisons, ô châteaux,
J'ai fait la magique étude
Du Bonheur, que nul n'élude.
O vive lui, chaque fois
Que chante son coq gaulois.
Mais! je n'aurai plus d'envie,
Il s'est chargé de ma vie.
Ce Charme! il prit âme et corps,
Et dispersa tous efforts.
Que comprendre à ma parole?
Il fait qu'elle fuie et vole!
O saisons, ô châteaux!
Et, si le malheur m'entraîne,
Sa disgrâce m'est certaine.
Il faut que son dédain, las!
Me livre au plus prompt trépas!
- O Saisons, ô Châteaux!
Le loup criait...
Le loup criait sous les feuilles
En crachant les belles plumes
De son repas de volailles:
Comme lui je me consume.
Les salades, les fruits
N'attendent que la cueillette;
Mais l'araignée de la haie
Ne mange que des violettes.
Que je dorme! que je bouille
Aux autels de salomon.
Le bouillon court sur la rouille,
Et se mêle au Cédron.
Rêve
On a faim dans la chambrée -
C'est vrai...
Emanations, explosions. Un génie:
"Je suis le gruère! -
Lefêbvre: "Keller!"
Le génie: "Je suis le Brie! -
Les soldats coupent sur leur pain:
"C'est la vie!
Le génie. - "Je suis le Roquefort!
- "Ca s'ra not' mort!...
Je suis le gruère
Et le Brie!... etc.
Valse
On nous a joints, Lefêbvre et moi, etc.
Proses
Les déserts de l'amour
Avertissement
Ces écritures-ci sont d'un jeune, tout jeune homme, dont la vie s'est développée n'importe où; sans
mère, sans pays, insoucieux de tout ce qu'on connaît, fuyant toute force morale, comme furent déjà
plusieurs pitoyables jeunes hommes. Mais, lui, si ennuyé et si troublé, qu'il ne fit que s'amener à la
mort comme à une pudeur terrible et fatale. N'ayant pas aimé de femmes, - quoique plein de sang! -
il eut son âme et son coeur, toute sa force, élevés en des erreurs étranges et tristes. Des rêves
suivants, - ses amours! - qui lui vinrent dans ses lits ou dans les rues, et de leur suite et de leur fin,
de douces considérations religieuses se dégagent. Peut-être se rappellera-t-on le sommeil continu
des Mahométans légendaires, - braves pourtant et circoncis! Mais, cette bizarre souffrance
possédant une autorité inquiétante, il faut sincèrement désirer que cette Ame, égarée parmi nous
tous, et qui veut la mort, ce semble, rencontre en cet instant-là des consolations sérieuses et soit
digne!
ARTHUR RIMBAUD
C'est, certes, la même campagne...
C'est, certes, la même campagne. La même maison rustique de mes parents: la salle même où les
dessus de portes sont des bergeries roussies, avec des armes et des lions. Au dîner, il y a un salon
avec des bougies et des vins et des boiseries rustiques. La table à manger est très grande. Les
servantes! elles étaient plusieurs, autant que je m'en suis souvenu. - Il y avait là un de mes jeunes
amis anciens, prêtre et vêtu en prêtre, maintenant: c'était pour être plus libre. Je me souviens de sa
chambre de pourpre, à vitres de papier jaune: et ses livres, cachés, qui avaient trempé dans l'océan!
Moi, j'étais abandonné, dans cette maison de campagne sans fin: lisant dans la cuisine, séchant la
boue de mes habits devant les hôtes, aux conversations du salon: ému jusqu'à la mort par le
murmure du lait du matin et de la nuit du siècle dernier.
J'étais dans une chambre très sombre: que faisais-je? Une servante vint près de moi: je puis dire que
c'était un petit chien: quoiqu'elle fût belle, et d'une noblesse maternelle inexprimable pour moi:
pure, connue, toute charmante! Elle me pinça le bras.
Je ne me rappelle même plus bien sa figure: ce n'est pas pour me rappeler son bras, dont je roulai la
peau dans mes deux doigts; ni sa bouche, que la mienne saisit comme une petite vague désespérée,
minant sans fin quelque chose. Je la renversai dans une corbeille de coussins et de toiles de navire,
en un coin noir. Je ne me rappelle plus que son pantalon à dentelles blanches.
Puis, ô désespoir, la cloison devint vaguement l'ombre des arbres, et je me suis abîmé sous la
tristesse amoureuse de la nuit.
Cette fois, c'est la Femme que j'ai vue dans la Ville, et à qui j'ai parlé et qui me parle.
J'étais dans une chambre, sans lumière. On vint me dire qu'elle était chez moi: et je la vis dans mon
lit, toute à moi, sans lumière! Je fus très ému, et beaucoup parce que c'était la maison de famille:
aussi une détresse me prit: J'étais en haillons, moi, et elle, mondaine qui se donnait: il lui fallait s'en
aller! Une détresse sans nom: je la pris, et la laissai tomber hors du lit, presque nue; et, dans ma
faiblesse indicible, je tombai sur elle et me traînai avec elle parmi les tapis, sans lumière. La lampe
de la famille rougissait l'une après l'autre les chambres voisines. Alors, la femme disparut. Je versai
plus de larmes que Dieu n'en a pu jamais demander.
Je sortis dans la ville sans fin. O fatigue! Noyé dans la nuit sourde et dans la fuite du bonheur.
C'était comme une nuit d'hiver, avec une neige pour étouffer le monde décidément. Les amis,
auxquels je criais: où reste-t-elle, répondaient faussement. Je fus devant les vitrages de là où elle va
tous les soirs: je courais dans un jardin enseveli. On m'a repoussé. Je pleurais énormément, à tout
cela.
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