Le pauvre Peter rougit de chagrin en constatant qu’elle ne représentait pas un succès, cette prose glacée dont lui d’une part, et son éditeur de l’autre, ne savaient que faire. La vérité relative à sa malencontreuse nouvelle lui parut d’autant plus amère que durant quelques jours il s’était arrangé pour la trouver douce.

Assis, sombre et désemparé, à mordre sa plume et à se demander ce qui signifiait l’expression « les récompenses de la littérature », il finissait en général par repousser la composition déflorée par Mr. Locket, pour s’essayer à la sorte de niaiserie que Mrs. Ryves réussirait peut-être à mettre en musique. Le succès dans ce domaine ne serait pas « une récompense » d’ordre littéraire, mais pourrait bien devenir un travail d’amour. Il s’accommoderait volontiers de cette expérience, pour peu qu’elle fût au goût de son indéchiffrable voisine. C’est ainsi qu’il la qualifiait en pensée, car peu à peu il en avait appris assez long sur son compte pour deviner combien il lui restait à apprendre encore. Passer ses matinées à lui chercher des rimes faciles, c’était assurément esquiver le problème immédiat ; mais à certaines heures, il jugeait ce problème trop ardu ec se disait qu’autant périr par le fer que par le feu.

D’ailleurs il abordait quand même la question par la bande, en pensant qu’il ne serait pas complètement un raté s’il parvenait à fabriquer des chansons que les accompagnements de Mrs. Ryves mettraient en circulation. Il n’avait encore rien osé lui montrer, mais un matin où le petit garçon se trouvait dans sa chambre, il lui sembla que l’inspiration le visitant, il arrivait à un heureux moyen terme (ce qui est un art en soi) entre le son et le sens. Si le sens était intelligible, c’était parce que le son lui était devenu si familier.

Au petit Sidney à qui il avait offert en sacrifice du sucre d’orge (pour sa part il ne l’aimait pas, mais ces jours-ci il en avait toute une provision) il recommanda d’attendre un instant, ajoutant qu’il lui confierait quelque chose de joli à remettre à sa maman. Sidney s’était découvert des occupations absorbantes et tandis que Peter recopiait la chanson de sa plus belle écriture, il tournaillait dans la pièce, tout glougloutant et poisseux. Il se glissa ainsi dans la partie postérieure du bureau, à quelques pas de l’embrasure de la fenêtre, et comme il aimait battre la mesure pour scander ses grandes joies, il se mit à tambouriner dessus avec un coupe-papier ramassé par terre. Au moment où il se livrait à ces violents transports, son grand ami avait soulevé le couvercle du pupitre et, la tête enfouie dedans, fourrageait dans des papiers pour trouver une enveloppe. « Eh bien, eh bien, mon garçon !… » s’écria-t-il, inquiet pour l’éclat de son meuble chéri. Sidney s’arrêta une seconde mais pendant que Peter cherchait toujours son enveloppe, cette fois carrément désobéissant, il administra une nouvelle tape. Peter l’entendit de l’intérieur, et la bizarrerie du bruit le surprit au point que laissant un instant à l’enfant la démoralisante impression de l’impunité, il attendit, curieux, la répétition du coup. Elle se produisit aussitôt et le jeune homme qui tenait enfin son enveloppe et s’exclamait : « Tiens ? Ce meuble a un double fond ? » bondit et s’empara de son jeune visiteur. Du bras gauche il le plaqua contre son genou tandis que de sa main libre il inscrivait le nom de Mrs. Ryves.

Comme Sidney aimait les commissions, il fut facile de se débarrasser de lui. Après son départ, Baron s’arrêta devant la fenêtre et tout en faisant tinter des sous et des clefs dans ses poches, il se demanda si la charmante musicienne trouverait sa chanson aussi bonne ou en d’autres termes aussi mauvaise qu’il la jugeait lui-même.

Ses yeux, lorsqu’il se retourna, se posèrent sur le dos en bois du secrétaire où il déplora de relever trois ou quatre vilaines éraflures laissées par les assauts de Sidney. « Le diable emporte la petite brute ! » s’écria-t-il avec le sentiment de voir un autel profané. Il se rappela néanmoins l’observation que ce sacrilège l’avait amené à faire, et pour en avoir le cœur net, tambourina du poing sur le bois. Le son lui parut assez ordinaire mais ses soupçons se confirmèrent quand, debout à côté du pupitre, il fourra la tête sous le couvercle levé et prêta l’oreille, tandis que de son bras tendu il cognait énergiquement au même endroit. De toute évidence, le dos du meuble sonnait creux. Un espace séparait les parties intérieures et extérieures, – il put le mesurer – si large, qu’il se traita d’idiot pour ne l’avoir pas remarqué plus tôt. Étant donné la profondeur du secrétaire, on avait pu sacrifier beaucoup de place sans attirer l’attention, mais ce sacrifice ne pouvait avoir qu’un but – la création d’un casier secret.

Peter Baron était resté assez enfant pour se sentir très excité, d’autant que toute indication de la cachette avait été adroitement dissimulée. Les gens du magasin ne s’en étaient pas aperçus, sinon ils auraient attiré son attention sur cette particularité propre à rehausser la valeur du meuble. Son répertoire de légendes lui ayant appris qu’il existait toujours un ressort caché, il fureta et chercha avec ardeur le point sensible. Mais le meuble était vraiment une merveille d’agencement. Tout s’ajustait avec une précision qui donnait le change.

Il fallut quelques minutes à Baron pour continuer son examen et il en vint à se dire que les gens du magasin n’étaient pas si bêtes après tout. De leur aveu même, cette épave de respectabilité, perdue dans la multiplicité de leurs trésors, avait été mise au rebut. Il se rappela que le vendeur avait proposé de l’astiquer avant de le lui envoyer, et que, satisfait, quant à lui, de son honorable apparence et hostile en général aux meubles luisants, il avait, dans son impatience, refusé d’attendre que l’on procédât à cette opération, de sorte que le secrétaire était parti pour les Jersey Villas deux ou trois heures après sa visite, emportant avec lui son secret. Ce secret, il semblait fort capable de le garder. Peter trouvait absurde d’être mystifié, mais pas moyen de découvrir le ressort.