Au bout de quelque temps, si elle n’était pas arrivée par un tel hasard providentiel, j’aurais trouvé moyen de la dénicher. Mais ce n’était pas, poursuivit Alice Staverton, comme mue une fois encore par une subtile intention, ce n’était pas seulement cela.

Les yeux de Brydon, étendu là, se posèrent à nouveau sur elle. « Quoi d’autre, alors ? »

Elle affronta son regard, l’émerveillement qu’elle avait suscité. « À l’aube froide et confuse, dites-vous ? Eh bien, à l’aube froide et confuse de ce matin, je vous ai vu, moi aussi.

— Vous m’avez vu, moi ?

— Je l’ai vu, lui, dit Alice Staverton. Ce devait être à ce moment précis. »

Il resta un instant étendu, à bien saisir sa pensée, comme s’il désirait être très raisonnable.

« À ce moment précis ?

— Oui, toujours dans mon rêve, le rêve dont je vous ai parlé. Il est revenu vers moi. Alors j’ai compris que c’était un signe. Il était allé vers vous. »

À ces mots, Brydon se redressa. Il lui fallait la mieux voir. Quand elle comprit son mouvement, elle l’aida et il s’assit sur sa couche, s’appuyant à côté d’elle sur le bord de la fenêtre et, de sa main droite, étreignant la main gauche d’Alice Staverton. « Il n’est pas venu à moi.

— Vous êtes revenu à vous. » Elle eut un beau sourire.

« Ah, je suis revenu à moi maintenant, grâce à vous, ma chérie. Mais cette brute avec son affreux visage, cette brute est un sombre étranger. Elle n’a rien de moi, même tel que j’aurais pu être », déclara Spencer Brydon.

Mais elle conservait son jugement lucide, semblable à un souffle d’infaillibilité. « Toute la question n’est-elle pas que vous auriez été différent ? »

Il faillit faire la moue.

« Aussi différent que cela ? »

Une fois encore, le regard qu’elle lui dédia lui parut plus beau que toutes les choses de ce monde. « Ne vouliez-vous pas précisément savoir en quoi consisterait la différence ? C’est ainsi que ce matin, dit-elle, vous m’êtes apparu.

— Pareil à lui ?

— Un sombre étranger !

— Alors comment saviez-vous que c’était moi ?

— Parce que, comme je vous l’ai dit il y a des semaines, mon esprit, mon imagination ont tellement supputé ce que vous auriez pu devenir ou ne pas devenir – pour vous montrer, voyez-vous, combien j’ai pensé à vous. Là-dessus, vous êtes venu à moi pour que ma perplexité puisse recevoir une réponse. Alors j’ai su, continua-t-elle, et j’ai pensé que, puisque la question vous obsédait aussi, autant que vous me l’aviez dit ce jour-là, vous verriez, vous aussi, par vous-même. Et quand j’ai eu de nouveau la vision ce matin, j’ai su que vous l’aviez également, et aussi, dès le premier moment, que, d’une façon quelconque, vous aviez besoin de moi. Il m’a semblé me dire cela. Alors pourquoi ? » Elle eut un étrange sourire, « pourquoi ne me plairait-il pas ? »

À ces mots, Spencer Brydon se leva : « Cet horrible monstre vous plaît ?…

— Il aurait pu me plaire. Et pour moi, dit-elle, il n’était pas horrible. Je l’avais accepté.

— Accepté ? La voix de Brydon rendit un son étrange.

— Avant, pour l’intérêt que présentait sa différence, oui. Et comme moi je ne le reniais pas, comme moi je le reconnaissais – ce que vous, à la fin, confronté avec lui dans toute son altérité, vous avez si cruellement refusé de faire, mon chéri – eh bien, voyez-vous, il devait me sembler moins terrible. Et peut-être a-t-il été content que je le plaigne. »

Elle était debout à ses côtés, mais tenait toujours sa main et le soutenait toujours de son bras. Cependant, bien que tout cela apportât ainsi à Brydon une vague lumière, « vous le plaignez ? » demanda-t-il à contrecœur, avec dépit.

« Il a été malheureux. Il est ravagé, dit-elle.

— Et moi, n’ai-je pas été malheureux ? Ne suis-je pas – il suffit de me regarder – ravagé ?

— Ah, je ne dis pas que je le préfère à vous, concéda-t-elle après avoir réfléchi. Mais il est rébarbatif, il est usé, et il lui est arrivé des choses. – Il ne saurait prendre votre place à vous, avec votre charmant monocle.

— Non. » Brydon en fut frappé. « Je n’aurais pas pu exhiber le mien « au centre des affaires ». On m’aurait mis en boîte !

— Son grand pince-nez convexe – je l’ai vu, j’ai reconnu le genre – est destiné à sa pauvre vue abîmée. Et sa pauvre main droite…

— Ah ! » Brydon eut un sursaut, soit devant la preuve de son identité, soit à cause de ses doigts perdus. Puis, « il a un million par an, ajouta-t-il lucidement. Mais vous, il ne vous a pas.

— Et il n’est pas – non, il n’est pas – vous ! » murmura-t-elle tandis qu’il l’attirait contre sa poitrine.

Bibliographie

 

Owen Wingrave in Le dernier des Valerii, Paris, Albin Michel, 1960, traduction : Louise Servicen.

 

Sir Dominick Ferrand, mêmes références.

 

La vie privée in L’image dans le tapis, Paris, Pierre Horay, 1957, traduction : Marie Canavaggia.

 

Le coin plaisant in Histoires de fantômes, Paris, Aubier-Flammarion, 1970, traduction : Louise Servicen.

 

 

 

 

 

Cet ouvrage a été composé et achevé d’imprimer en août 1983
par l’imprimerie Floch à Mayenne (21090)

Éditeur : n° 225

Dépôt légal : août 1983

Imprimé en France

Tirage : 5 000 exemplaires


[1] L’École militaire (N.T.).

[2] En français dans le texte.

[3] En français dans le texte.

[4] En français dans le texte.

[5] En français dans le texte.

[6] En français dans le texte.

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