Le crescite et multiplicamini n’implique pas l’amour. Demander à une fille que l’on a vue quatorze fois en quinze jours de l’amour de par la loi, le roi et justice, est une absurdité digne de la plupart des prédestinés !
L’amour est l’accord du besoin et du sentiment, le bonheur en mariage résulte d’une parfaite entente des âmes entre les époux. Il suit de là que, pour être heureux, un homme est obligé de s’astreindre à certaines règles d’honneur et de délicatesse. Après avoir usé du bénéfice de la loi sociale qui consacre le besoin, il doit obéir aux lois secrètes de la nature qui font éclore les sentiments. S’il met son bonheur à être aimé, il faut qu’il aime sincèrement : rien ne résiste à une passion véritable.
Mais être passionné, c’est désirer toujours. Peut-on toujours désirer sa femme ?
Oui.
Il est aussi absurde de prétendre qu’il est impossible de toujours aimer la même femme qu’il peut l’être de dire qu’un artiste célèbre a besoin de plusieurs violons pour exécuter un morceau de musique et pour créer une mélodie enchanteresse.
L’amour est la poésie des sens. Il a la destinée de tout ce qui est grand chez l’homme et de tout ce qui procède de sa pensée. Ou il est sublime, ou il n’est pas. Quand il existe, il existe à jamais et va toujours croissant. C’est là cet amour que les Anciens faisaient fils du Ciel et de la Terre.
La littérature roule sur sept situations ; la musique exprime tout avec sept notes ; la peinture n’a que sept couleurs ; comme ces trois arts, l’amour se constitue peut-être de sept principes, nous en abandonnons la recherche au siècle suivant.
Si la poésie, la musique et la peinture ont des expressions infinies, les plaisirs de l’amour doivent en offrir encore bien davantage ; car dans les trois arts qui nous aident à chercher peut-être infructueusement la vérité par analogie, l’homme se trouve seul avec son imagination, tandis que l’amour est la réunion de deux corps et de deux âmes. Si les trois principaux modes qui servent à exprimer la pensée demandent des études préliminaires à ceux que la nature a créés poètes, musiciens ou peintres, ne tombe-t-il pas sous le sens qu’il est nécessaire de s’initier dans les secrets du plaisir pour être heureux ? Tous les hommes ressentent le besoin de la reproduction, comme tous ont faim et soif ; mais ils ne sont pas tous appelés à être amants et gastronomes. Notre civilisation actuelle a prouvé que le goût était une science, et qu’il n’appartenait qu’à certains êtres privilégiés de savoir boire et manger. Le plaisir, considéré comme un art, attend son physiologiste. Pour nous, il suffit d’avoir démontré que l’ignorance seule des principes constitutifs du bonheur produit l’infortune qui attend tous les prédestinés.
C’est avec la plus grande timidité que nous oserons hasarder la publication de quelques aphorismes qui pourront donner naissance à cet art nouveau comme des plâtres ont créé la géologie ; et nous les livrons aux méditations des philosophes, des jeunes gens à marier et des prédestinés.
CATÉCHISME CONJUGAL.
XXVII.
Le mariage est une science.
XXVIII.
Un homme ne peut pas se marier sans avoir étudié l’anatomie et disséqué une femme au moins.
XXIX.
Le sort d’un ménage dépend de la première nuit.
XXX.
La femme privée de son libre arbitre ne peut jamais avoir le mérite de faire un sacrifice.
XXXI.
En amour, toute âme mise à part, la femme est comme une lyre qui ne livre ses secrets qu’à celui qui en sait bien jouer.
XXXII.
Indépendamment d’un mouvement répulsif, il existe dans l’âme de toutes les femmes un sentiment qui tend à proscrire tôt ou tard les plaisirs dénués de passion.
XXXIII.
L’intérêt d’un mari lui prescrit au moins autant que l’honneur de ne jamais se permettre un plaisir qu’il n’ait eu le talent de faire désirer par sa femme.
XXXIV.
Le plaisir étant causé par l’alliance des sensations et d’un sentiment, on peut hardiment prétendre que les plaisirs sont des espèces d’idées matérielles.
XXXV.
Les idées se combinant à l’infini, il doit en être de même des plaisirs.
XXXVI.
Il ne se rencontre pas plus dans la vie de l’homme deux moments de plaisirs semblables, qu’il n’y a deux feuilles exactement pareilles sur un même arbre.
XXXVII.
S’il existe des différences entre un moment de plaisir et un autre, un homme peut toujours être heureux avec la même femme.
XXXVIII.
Saisir habilement les nuances du plaisir, les développer, leur donner un style nouveau, une expression originale, constitue le génie d’un mari.
XXXIX.
Entre deux êtres qui ne s’aiment pas, ce génie est du libertinage ; mais les caresses auxquelles l’amour préside ne sont jamais lascives.
XL.
La femme mariée la plus chaste peut être aussi la plus voluptueuse.
XLI.
La femme la plus vertueuse peut être indécente à son insu.
XLII.
Quand deux êtres sont unis par le plaisir, toutes les conventions sociales dorment. Cette situation cache un écueil sur lequel se sont brisées bien des embarcations. Un mari est perdu s’il oublie une seule fois qu’il existe une pudeur indépendante des voiles. L’amour conjugal ne doit jamais mettre ni ôter son bandeau qu’à propos.
XLIII.
La puissance ne consiste pas à frapper fort ou souvent, mais à frapper juste.
XLIV.
Faire naître un désir, le nourrir, le développer, le grandir, l’irriter, le satisfaire, c’est un poème tout entier.
XLV.
L’ordre des plaisirs est du distique au quatrain, du quatrain au sonnet, du sonnet à la ballade, de la ballade à l’ode, de l’ode à la cantate, de la cantate au dithyrambe. Le mari qui commence par le dithyrambe est un sot.
XLVI.
Chaque nuit doit avoir son menu.
XLVII.
Le mariage doit incessamment combattre un monstre qui dévore tout : l’habitude.
XLVIII.
Si un homme ne sait pas distinguer la différence des plaisirs de deux nuits consécutives, il s’est marié trop tôt.
XLIX.
Il est plus facile d’être amant que mari, par la raison qu’il est plus difficile d’avoir de l’esprit tous les jours que de dire de jolies choses de temps en temps.
L.
Un mari ne doit jamais s’endormir le premier ni se réveiller le dernier.
LI.
L’homme qui entre dans le cabinet de toilette de sa femme est philosophe ou un imbécile.
LII.
Le mari qui ne laisse rien à désirer est un homme perdu.
LIII.
La femme mariée est un esclave qu’il faut savoir mettre sur un trône.
LIV.
Un homme ne peut se flatter de connaître sa femme et de la rendre heureuse que quand il la voit souvent à ses genoux.
C’était à toute la troupe ignorante de nos prédestinés, à nos légions de catarrheux, de fumeurs, de priseurs, de vieillards, de grondeurs, etc., que Sterne adressait la lettre écrite, dans le Tristram Shandy, par Gauthier Shandy à son frère Tobie, quand ce dernier se proposait d’épouser la veuve de Wadman.
Les célèbres instructions que le plus original des écrivains anglais a consignées dans cette lettre pouvant, à quelques exceptions près, compléter nos observations sur la manière de se conduire auprès des femmes, nous l’offrons textuellement aux réflexions des prédestinés en les priant de la méditer comme un des plus substantiels chefs-d’œuvre de l’esprit humain.
Lettre de M. Shandy au capitaine Tobie Shandy.
« MON CHER FRÈRE TOBIE,
» Ce que je vais te dire a rapport à la nature des femmes et à la manière de leur faire l’amour. Et peut-être est-il heureux pour toi (quoiqu’il ne le soit pas autant pour moi) que l’occasion se soit offerte, et que je me sois trouvé capable de t’écrire quelques instructions sur ce sujet.
» Si c’eût été le bon plaisir de celui qui distribue nos lois de te départir plus de connaissances qu’à moi, j’aurais été charmé que tu te fusses assis à ma place, et que cette plume fût entre tes mains ; mais puisque c’est à moi à t’instruire, et que madame Shandy est là auprès de moi, se disposant à se mettre au lit, je vais jeter ensemble et sans ordre sur le papier des idées et des préceptes concernant le mariage, tels qu’ils me viendront à l’esprit, et que je croirai qu’ils pourront être d’usage pour toi ; voulant en cela te donner un gage de mon amitié, et ne doutant pas, mon cher Tobie, de la reconnaissance avec laquelle tu la recevras.
» En premier lieu, à l’égard de ce qui concerne la religion dans cette affaire (quoique le feu qui monte au visage me fasse apercevoir que je rougis en te parlant sur ce sujet ; quoique je sache, en dépit de ta modestie, qui nous le laisserait ignorer, que tu ne négliges aucune de ses pieuses pratiques), il en est une cependant que je voudrais te recommander d’une manière plus particulière pour que tu ne l’oubliasses point, du moins pendant tout le temps que dureront tes amours. Cette pratique, frère Tobie, c’est de ne jamais te présenter chez celle qui est l’objet de tes poursuites, soit le matin, soit le soir, sans te recommander auparavant à la protection du Dieu tout-puissant, pour qu’il te préserve de tout malheur.
» Tu te raseras la tête, et tu la laveras tous les quatre ou cinq jours, et même plus souvent, si tu le peux, de peur qu’en ôtant ta perruque dans un moment de distraction, elle ne distingue combien de tes cheveux sont tombés sous la main du Temps, et combien sous celle de Trim.
» Il faut, autant que tu le pourras, éloigner de son imagination toute idée de tête chauve.
» Mets-toi bien dans l’esprit, Tobie, et suis cette maxime comme sûre :
» Toutes les femmes sont timides. Et il est heureux qu’elles le soient ; autrement, qui voudrait avoir affaire à elles ?
» Que tes culottes ne soient ni trop étroites ni trop larges, et ne ressemblent pas à ces grandes culottes de nos ancêtres.
» Un juste medium prévient tous les commentaires.
» Quelque chose que tu aies à dire, soit que tu aies peu ou beaucoup à parler, modère toujours le son de ta voix. Le silence et tout ce qui en approche grave dans la mémoire les mystères de la nuit. C’est pourquoi, si tu peux l’éviter, ne laisse jamais tomber la pelle ni les pincettes.
» Dans tes conversations avec elle, évite toute plaisanterie et toute raillerie ; et, autant que tu le pourras, ne lui laisse lire aucun livre jovial. Il y a quelques traités de dévotion que tu peux lui permettre (quoique j’aimasse mieux qu’elle ne les lût point) ; mais ne souffre pas qu’elle lise Rabelais, Scarron ou Don Quichotte.
» Tous ces livres excitent le rire ; et tu sais, cher Tobie, que rien n’est plus sérieux que les fins du mariage.
» Attache toujours une épingle à ton jabot avant d’entrer chez elle.
» Si elle te permet de t’asseoir sur le même sofa, et qu’elle te donne la facilité de poser ta main sur la sienne, résiste à cette tentation. Tu ne saurais prendre sa main, sans que la température de la tienne lui fasse deviner ce qui se passe en toi. Laisse-la toujours dans l’indécision sur ce point et sur beaucoup d’autres. En te conduisant ainsi, tu auras au moins sa curiosité pour toi ; et si ta belle n’est pas encore entièrement soumise, et que ton âne continue à regimber (ce qui est fort probable), tu te feras tirer quelques onces de sang au-dessous des oreilles, suivant la pratique des anciens Scythes, qui guérissaient par ce moyen les appétits les plus désordonnés de nos sens.
» Avicenne est d’avis que l’on se frotte ensuite avec de l’extrait d’ellébore, après les évacuations et purgations convenables, et je penserais assez comme lui. Mais surtout ne mange que peu, ou point de bouc ni de cerf ; et abstiens-toi soigneusement, c’est-à-dire, autant que tu le pourras, de paons, de grues, de foulques, de plongeons, et de poules d’eau.
» Pour ta boisson, je n’ai pas besoin de te dire que ce doit être une infusion de verveine et d’herbe hanéa, de laquelle Elien rapporte des effets surprenants. Mais si ton estomac en souffrait, tu devrais eu discontinuer l’usage, et vivre de concombres, de melons, de pourpier et de laitue.
» Il ne se présente pas pour le moment autre chose à te dire...
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