Elle serait, comme tout le monde, bien plus forte contre des dangers connus que contre des périls dont l’étendue est cachée. D’ailleurs, pour être maîtresse d’elle-même, une fille en sera-t-elle moins sous l’œil vigilant de sa mère ? Compterait-on aussi pour rien cette pudeur et ces craintes que la nature n’a placées si puissantes dans l’âme d’une jeune fille que pour la préserver du malheur d’être à un homme qui ne l’aime pas ? Enfin où est la fille assez peu calculatrice pour ne pas deviner que l’homme le plus immoral veut trouver des principes chez sa femme, comme les maîtres veulent que leurs domestiques soient parfaits ; et qu’alors, pour elle, la vertu est le plus riche et le plus fécond de tous les commerces ?

Après tout, de quoi s’agit-il donc ici ? Pour qui croyez-vous que nous stipulions ? Tout au plus pour cinq ou six cent mille virginités armées de leurs répugnances et du haut prix auquel elles s’estiment : elles savent aussi bien se défendre que se vendre. Les dix-huit millions d’êtres que nous avons mis en dehors de la question se marient presque tous d’après le système que nous cherchons à faire prévaloir dans nos mœurs ; et, quant aux classes intermédiaires, par lesquelles nos pauvres bimanes sont séparés des hommes privilégiés qui marchent à la tête d’une nation, le nombre des enfants trouvés que ces classes demi-aisées livrent au malheur irait en croissant depuis la paix, s’il faut en croire M. Benoiston de Châteauneuf, l’un des plus courageux savants qui se soient voués aux arides et utiles recherches de la statistique. Or, à quelle plaie profonde n’apportons nous pas remède, si l’on songe à la multiplicité des bâtards que nous dénonce la statistique, et aux infortunes que nos calculs font soupçonner dans la haute société ? Mais il est difficile de faire apercevoir ici tous les avantages qui résulteraient de l’émancipation des filles. Quand nous arriverons à observer les circonstances qui accompagnent le mariage tel que nos mœurs l’ont conçu, les esprits judicieux pourront apprécier toute la valeur du système d’éducation et de liberté que nous demandons pour les filles au nom de la raison et de la nature. Le préjugé que nous avons en France sur la virginité des mariées est le plus sot de tous ceux qui nous restent. Les Orientaux prennent leurs femmes sans s’inquiéter du passé et les enferment pour être plus certains de l’avenir ; les Français mettent les filles dans des espèces de sérails défendus par des mères, par des préjugés, par des idées religieuses, et ils donnent la plus entière liberté à leurs femmes, s’inquiétant ainsi beaucoup plus du passé que de l’avenir. Il ne s’agirait donc que de faire subir une inversion à nos mœurs. Nous finirions peut-être alors par donner à la fidélité conjugale toute la saveur et le ragoût que les femmes trouvent aujourd’hui aux infidélités.

Mais cette discussion nous éloignerait trop de notre sujet s’il fallait examiner, dans tous ses détails, cette immense amélioration morale, que réclamera sans doute la France au vingtième siècle ; car les mœurs se réforment si lentement ! Ne faut-il pas pour obtenir le plus léger changement que l’idée la plus hardie du siècle passé soit devenue la plus triviale du siècle présent ? Aussi, est-ce en quelque sorte par coquetterie que nous avons effleuré cette question ; soit pour montrer qu’elle ne nous a pas échappé, soit pour léguer un ouvrage de plus à nos neveux ; et, de bon compte, voici le troisième : le premier concerne les courtisanes, et le second est la physiologie du plaisir :

Quand nous serons à dix, nous ferons une croix.

Dans l’état actuel de nos mœurs et de notre imparfaite civilisation, il existe un problème insoluble pour le moment, et qui rend toute dissertation superflue relativement à l’art de choisir une femme ; nous le livrons, comme tous les autres, aux méditations des philosophes.

PROBLÈME.

L’on n’a pas encore pu décider si une femme est poussée à devenir infidèle plutôt par l’impossibilité où elle serait de se livrer au changement que par la liberté qu’on lui laisserait à cet égard.

Au surplus, comme dans cet ouvrage nous saisissons un homme au moment où il vient de se marier, s’il a rencontré une femme d’un tempérament sanguin, d’une imagination vive, d’une constitution nerveuse, ou d’un caractère indolent, sa situation n’en serait que plus grave.

Un homme se trouverait dans un danger encore plus critique si sa femme ne buvait que de l’eau (voyez la Méditation intitulée : Hygiène conjugale) : mais si elle avait quelque talent pour le chant, ou si elle s’enrhumait trop facilement, il aurait à trembler tous les jours ; car il est reconnu que les cantatrices sont pour le moins aussi passionnées que les femmes dont le système muqueux est d’une grande délicatesse.

Enfin le péril empirerait bien davantage si votre femme avait moins de dix-sept ans ; ou encore, si elle avait le fond du teint pâle et blafard ; car ces sortes de femmes sont presque toutes artificieuses.

Mais nous ne voulons pas anticiper sur les terreurs que causeront aux maris tous les diagnostics de malheur qu’ils pourraient apercevoir dans le caractère de leurs femmes. Cette digression nous a déjà trop éloigné des pensionnats, où s’élaborent tant d’infortunes, d’où sortent des jeunes filles incapables d’apprécier les pénibles sacrifices par lesquels l’honnête homme, qui leur fait l’honneur de les épouser, est arrivé à l’opulence ; des jeunes filles impatientes des jouissances du luxe, ignorantes de nos lois, ignorantes de nos mœurs, saisissant avec avidité l’empire que leur donne la beauté, et prêtes à abandonner les vrais accents de l’âme pour les bourdonnements de la flatterie.

Que cette Méditation laisse dans le souvenir de tous ceux qui l’auront lue, même en ouvrant le livre par contenance ou par distraction, une aversion profonde des demoiselles élevées en pension, et déjà de grands services auront été rendus à la chose publique.

MÉDITATION VII

DE LA LUNE DE MIEL

Si nos premières Méditations prouvent qu’il est presque impossible à une femme mariée de rester vertueuse en France, le dénombrement des célibataires et des prédestinés, nos remarques sur l’éducation des filles et notre examen rapide des difficultés que comporte le choix d’une femme, expliquent jusqu’à un certain point cette fragilité nationale. Ainsi, après avoir accusé franchement la sourde maladie par laquelle l’état social est travaillé, nous en avons cherché les causes dans l’imperfection des lois, dans l’inconséquence des mœurs, dans l’incapacité des esprits, dans les contradictions de nos habitudes. Un seul fait reste à observer : l’invasion du mal.

Nous arrivons à ce premier principe en abordant les hautes questions renfermées dans la Lune de Miel ; et, de même que nous y trouverons le point de départ de tous les phénomènes conjugaux, elle nous offrira le brillant chaînon auquel viendront se rattacher nos observations, nos axiomes, nos problèmes, anneaux semés à dessein au travers des sages folies débitées par nos Méditations babillardes. La Lune de Miel sera, pour ainsi dire, l’apogée de l’analyse à laquelle nous devions nous livrer avant de mettre aux prises nos deux champions imaginaires.

Cette expression, Lune de Miel, est un anglicisme qui passera dans toutes les langues, tant elle dépeint avec grâce la nuptiale saison, si fugitive, pendant laquelle la vie n’est que douceur et ravissement ; elle restera comme restent les illusions et les erreurs, car elle est le plus odieux de tous les mensonges. Si elle se présente comme une nymphe couronnée de fleurs fraîches, caressante comme une sirène, c’est qu’elle est le malheur même ; et le malheur arrive, la plupart du temps, en folâtrant.

Les époux destinés à s’aimer pendant toute leur vie ne conçoivent pas la Lune de Miel ; pour eux, elle n’existe pas, ou plutôt elle existe toujours : ils sont comme ces immortels qui ne comprenaient pas la mort. Mais ce bonheur est en dehors de notre livre ; et, pour nos lecteurs, le mariage est sous l’influence de deux lunes : la Lune de Miel, la Lune Rousse. Cette dernière est terminée par une révolution qui la change en un croissant ; et, quand il luit sur un ménage, c’est pour l’éternité.

Comment la Lune de Miel peut-elle éclairer deux êtres qui ne doivent pas s’aimer ?

Comment se couche-t-elle quand une fois elle s’est levée ?...

Tous les ménages ont-ils leur lune de miel ?

Procédons par ordre pour résoudre ces trois questions.

L’admirable éducation que nous donnons aux filles et les prudents usages sous la loi desquels les hommes se marient vont porter ici tous leurs fruits. Examinons les circonstances dont sont précédés et accompagnés les mariages les moins malheureux.

Nos mœurs développent chez la jeune fille dont vous faites votre femme une curiosité naturellement excessive ; mais comme les mères se piquent en France de mettre tous les jours leurs filles au feu sans souffrir qu’elles se brûlent, cette curiosité n’a plus de bornes.

Une ignorance profonde des mystères du mariage dérobe, à cette créature aussi naïve que rusée, la connaissance des périls dont il est suivi ; et, le mariage lui étant sans cesse présenté comme une époque de tyrannie et de liberté, de jouissances et de souveraineté, ses désirs s’augmentent de tous les intérêts de l’existence à satisfaire : pour elle, se marier, c’est être appelée du néant à la vie.

Si elle a, en elle, le sentiment du bonheur, la religion, la morale, les lois et sa mère lui ont mille fois répété que ce bonheur ne peut venir que de vous.

L’obéissance est toujours une nécessité chez elle, si elle n’est pas vertu ; car elle attend tout de vous : d’abord les sociétés consacrent l’esclavage de la femme, mais elle ne forme même pas le souhait de s’affranchir, car elle se sent faible, timide et ignorante.

À moins d’une erreur due au hasard ou d’une répugnance que vous seriez impardonnable de n’avoir pas devinée, elle doit chercher à vous plaire ; elle ne vous connaît pas.

Enfin, pour faciliter votre beau triomphe, vous la prenez au moment où la nature sollicite souvent avec énergie les plaisirs dont vous êtes le dispensateur. Comme saint Pierre, vous tenez la clef du Paradis.

Je le demande à toute créature raisonnable, un démon rassemblerait-il autour d’un ange dont il aurait juré la perte les éléments de son malheur avec autant de sollicitude que les bonnes mœurs en mettent à conspirer le malheur d’un mari ?... N’êtes-vous pas comme un roi entouré de flatteurs ?

Livrée avec toutes ses ignorances et ses désirs à un homme qui, même amoureux, ne peut et ne doit pas connaître ses mœurs secrètes et délicates, cette jeune fille ne sera-t-elle pas honteusement passive, soumise et complaisante pendant tout le temps que sa jeune imagination lui persuadera d’attendre le plaisir ou le bonheur jusqu’à un lendemain qui n’arrive jamais ?

Dans cette situation bizarre où les lois sociales et celles de la nature sont aux prises, une jeune fille obéit, s’abandonne, souffre et se tait par intérêt pour elle-même. Son obéissance est une spéculation ; sa complaisance, un espoir ; son dévouement, une sorte de vocation dont vous profitez ; et son silence est générosité. Elle sera victime de vos caprices tant qu’elle ne les comprendra pas ; elle souffrira de votre caractère jusqu’à ce qu’elle l’ait étudié ; elle se sacrifiera sans aimer, parce qu’elle croit au semblant de passion que vous donne le premier moment de sa possession ; elle ne se taira plus le jour où elle aura reconnu l’inutilité de ses sacrifices.

Alors, un matin arrive où tous les contre-sens qui ont présidé à cette union se relèvent comme des branches un moment ployées sous un poids par degrés allégé. Vous avez pris pour de l’amour l’existence négative d’une jeune fille qui attendait le bonheur, qui volait au-devant de vos désirs dans l’espérance que vous iriez au-devant des siens, et qui n’osait se plaindre des malheurs secrets dont elle s’accusait la première. Quel homme ne serait pas la dupe d’une déception préparée de si loin, et de laquelle une jeune femme est innocente, complice et victime ? Il faudrait être un Dieu pour échapper à la fascination dont vous êtes entouré par la nature et la société. Tout n’est-il pas piège autour de vous et en vous ? car, pour être heureux, ne serait-il pas nécessaire de vous défendre des impétueux désirs de vos sens ? Où est, pour les contenir, cette barrière puissante qu’élève la main légère d’une femme à laquelle on veut plaire, parce qu’on ne la possède pas encore ?... Aussi, avez-vous fait parader et défiler vos troupes quand il n’y avait personne aux fenêtres ; avez-vous tiré un feu d’artifice dont la carcasse reste seule au moment où votre convive se présente pour le voir. Votre femme était devant les plaisirs du mariage comme un Mohican à l’opéra : l’instituteur est ennuyé quand le Sauvage commence à comprendre.

LVI.

En ménage, le moment où deux cœurs peuvent s’entendre est aussi rapide qu’un éclair, et ne revient plus quand il a fui.

Ce premier essai de la vie à deux, pendant lequel une femme est encouragée par l’espérance du bonheur, par le sentiment encore neuf de ses devoirs d’épouse, par le désir de plaire, par la vertu si persuasive au moment où elle montre l’amour d’accord avec le devoir, se nomme la Lune de Miel. Comment peut-elle durer long-temps entre deux êtres qui s’associent pour la vie entière, sans se connaître parfaitement ? S’il faut s’étonner d’une chose, c’est que les déplorables absurdités accumulées par nos mœurs autour d’un lit nuptial fassent éclore si peu de haines !...

Mais que l’existence du sage soit un ruisseau paisible, et que celle du prodigue soit un torrent ; que l’enfant dont les mains imprudentes ont effeuillé toutes les roses sur son chemin ne trouve plus que des épines au retour : que l’homme dont la folle jeunesse a dévoré un million ne puisse plus jouir, pendant sa vie, des quarante mille livres de rente que ce million lui eût données, c’est des vérités triviales si l’on songe à la morale, et neuves si l’on pense à la conduite de la plupart des hommes. Voyez-y les images vraies de toutes les Lunes de Miel ; c’est leur histoire, c’est le fait et non pas la cause.

Mais, que des hommes doués d’une certaine puissance de pensée par une éducation privilégiée, habitués à des combinaisons profondes pour briller, soit en politique, soit en littérature, dans les arts, dans le commerce ou dans la vie privée, se marient tous avec l’intention d’être heureux, de gouverner une femme par l’amour ou par la force, et tombent tous dans le même piége, deviennent des sots après avoir joui d’un certain bonheur pendant un certain temps, il y a certes là un problème dont la solution réside plutôt dans des profondeurs inconnues de l’âme humaine, que dans les espèces de vérités physiques par lesquelles nous avons déjà tâché d’expliquer quelques-uns de ces phénomènes. La périlleuse recherche des lois secrètes, que presque tous les hommes doivent violer à leur insu en cette circonstance, offre encore assez de gloire à celui qui échouerait dans cette entreprise pour que nous tentions l’aventure.