Devant les souvenirs de l’ancien ordre de choses, ces institutions nouvelles parurent immenses.
Aujourd’hui, la question du triomphe des deux principes, bien affaiblis par tant d’événements et par le progrès des lumières, reste tout entière à traiter pour de sages législateurs. Le temps passé contient des enseignements qui doivent porter leurs fruits dans l’avenir. L’éloquence des faits serait-elle perdue pour nous ?
Le développement des principes de l’Orient a exigé des eunuques et des sérails ; les mœurs bâtardes de la France ont amené la plaie des courtisanes et la plaie plus profonde de nos mariages : ainsi, pour nous servir de la phrase toute faite par un contemporain, l’Orient sacrifie, à la paternité, des hommes et la justice ; la France, des femmes et la pudeur. Ni l’Orient, ni la France, n’ont atteint le but que ces institutions devaient se proposer : le bonheur. L’homme n’est pas plus aimé par les femmes d’un harem que le mari n’est sûr d’être, en France, le père de ses enfants ; et le mariage ne vaut pas tout ce qu’il coûte. Il est temps de ne rien sacrifier à cette institution, et de mettre les fonds d’une plus grande somme de bonheur dans l’état social, en conformant nos mœurs et nos institutions à notre climat.
Le gouvernement constitutionnel, heureux mélange des deux systèmes politiques extrêmes, le despotisme et la démocratie, semble indiquer la nécessité de confondre aussi les deux principes conjugaux qui en France se sont heurtés jusqu’ici. La liberté que nous avons hardiment réclamée pour les jeunes personnes remédie à cette foule de maux dont la source est indiquée, en exposant les contre-sens produits par l’esclavage des filles. Rendons à la jeunesse les passions, les coquetteries, l’amour et ses terreurs, l’amour et ses douceurs, et le séduisant cortége des Francs. À cette saison printanière de la vie, nulle faute n’est irréparable, l’hymen sortira du sein des épreuves armé de confiance, désarmé de haine, et l’amour y sera justifié par d’utiles comparaisons.
Dans ce changement de nos mœurs, périra d’elle-même la honteuse plaie des filles publiques. C’est surtout au moment où l’homme possède la candeur et la timidité de l’adolescence qu’il est égal pour son bonheur de rencontrer de grandes et de vraies passions à combattre. L’âme est heureuse de ses efforts, quels qu’ils soient ; pourvu qu’elle agisse, qu’elle se meuve, peu lui importe d’exercer son pouvoir contre elle-même. Il existe dans cette observation, que tout le monde a pu faire, un secret de législation, de tranquillité et de bonheur. Puis, aujourd’hui, les études ont pris un tel développement, que le plus fougueux des Mirabeaux à venir peut enfouir son énergie dans une passion et dans les sciences. Combien de jeunes gens n’ont-ils pas été sauvés de la débauche par des travaux opiniâtres unis aux renaissants obstacles d’un premier, d’un pur amour ? en effet, quelle est la jeune fille qui ne désire pas prolonger la délicieuse enfance des sentiments, qui ne se trouve orgueilleuse d’être connue, et qui n’ait à opposer les craintes enivrantes de sa timidité, la pudeur de ses transactions secrètes avec elle-même, aux jeunes désirs d’un amant inexpérimenté comme elle ? La galanterie des Francs et ses plaisirs seront donc le riche apanage de la jeunesse, et alors s’établiront naturellement ces rapports d’âme, d’esprit, de caractère, d’habitude, de tempérament, de fortune, qui amènent l’heureux équilibre voulu pour le bonheur de deux époux. Ce système serait assis sur des bases bien plus larges et bien plus franches, si les filles étaient soumises à une exhérédation sagement calculée ; ou si, pour contraindre les hommes à ne se déterminer dans leurs choix qu’en faveur de celles qui leur offriraient des gages de bonheur par leurs vertus, leur caractère ou leurs talents, elles étaient mariées, comme aux États-Unis, sans dot. Alors le système adopté par les Romains pourra, sans inconvénients, s’appliquer aux femmes mariées qui, jeunes filles, auront usé de leur liberté. Exclusivement chargées de l’éducation primitive des enfants, la plus importante de toutes les obligations d’une mère, occupées de faire naître et de maintenir ce bonheur de tous les instants, si admirablement peint dans le quatrième livre de Julie, elles seront, dans leur maison, comme les anciennes Romaines, une image vivante de la Providence qui éclate partout, et ne se laisse voir nulle part. Alors les lois sur l’infidélité de la femme mariée devront être excessivement sévères. Elles devront prodiguer plus d’infamie encore que de peines afflictives et coercitives. La France a vu promener des femmes montées sur des ânes pour de prétendus crimes de magie, et plus d’une innocente est morte de honte. Là est le secret de la législation future du mariage. Les filles de Milet se guérissaient du mariage par le mort, le Sénat condamne les suicidées à être traînées nues sur une claie, et les vierges se condamnent à la vie.
Les femmes et le mariage ne seront donc respectés en France que par le changement radical que nous implorons pour nos mœurs. Cette pensée profonde est celle qui anime les deux plus belles productions d’un immortel génie. L’Émile et la Nouvelle Héloïse ne sont que deux éloquents plaidoyers en faveur de ce système. Cette voix retentira dans les siècles, parce qu’elle a deviné les vrais mobiles des lois et des mœurs des siècles futurs. En attachant les enfants au sein de leurs mères, Jean-Jacques rendait déjà un immense service à la vertu ; mais son siècle était trop profondément gangrené pour comprendre les hautes leçons que renfermaient ces deux poèmes ; il est vrai d’ajouter aussi que le philosophe fut vaincu par le poète, et qu’en laissant dans le cœur de Julie mariée des vestiges de son premier amour, il a été séduit par une situation poétique plus touchante que la vérité qu’il voulait développer, mais moins utile.
Cependant, si le mariage, en France, est un immense contrat par lequel les hommes s’entendent tous tacitement pour donner plus de saveur aux passions, plus de curiosité, plus de mystère à l’amour, plus de piquant aux femmes, si une femme est plutôt un ornement de salon, un mannequin à modes, un porte-manteau, qu’un être dont les fonctions, dans l’ordre politique, puissent se coordonner avec la prospérité d’un pays, avec la gloire d’une patrie ; qu’une créature dont les soins puissent lutter d’utilité avec celles des hommes... j’avoue que toute cette théorie, que ces longues considérations, disparaîtraient devant de si importantes destinées !...
Mais c’est avoir assez pressé le marc des événements accomplis pour en tirer une goutte de philosophie, c’est avoir assez sacrifié à la passion dominante de l’époque actuelle pour l’historique, ramenons nos regards sur les mœurs présentes. Reprenons le bonnet aux grelots et cette marotte de laquelle Rabelais fit jadis un sceptre, et poursuivons le cours de cette analyse, sans donner à une plaisanterie plus de gravité qu’elle n’en peut avoir, sans donner aux choses graves plus de plaisanterie qu’elles n’en comportent.
DEUXIÈME PARTIE
DES MOYENS DE DÉFENSE À L’INTÉRIEUR ET À L’EXTÉRIEUR
To be or not be...
L’être ou ne pas l’être, voilà toute la question.
Shakespeare, HAMLET.
MÉDITATION X
TRAITÉ DE POLITIQUE MARITALE
Quand un homme arrive à la situation où le place la Première Partie de ce livre, nous supposons que l’idée de savoir sa femme possédée par un autre peut encore faire palpiter son cœur, et que sa passion se rallumera, soit par amour-propre ou par égoïsme, soit par intérêt, car s’il ne tenait plus à sa femme, ce serait l’avant-dernier des hommes, et il mériterait son sort.
Dans cette longue crise, il est bien difficile à un mari de ne pas commettre de fautes ; car, pour la plupart d’entre eux, l’art de gouverner une femme est encore moins connu que celui de la bien choisir. Cependant la politique maritale ne consiste guère que dans la constante application de trois principes qui doivent être l’âme de votre conduite. Le premier est de ne jamais croire à ce qu’une femme dit ; le second, de toujours chercher l’esprit de ses actions sans vous arrêter à la lettre ; et le troisième, de ne pas oublier qu’une femme n’est jamais si bavarde que quand elle se tait, et n’agit jamais avec plus d’énergie que lorsqu’elle est en repos.
Dès ce moment, vous êtes comme un cavalier qui, monté sur un cheval sournois, doit toujours le regarder entre les deux oreilles, sous peine d’être désarçonné.
Mais l’art est bien moins dans la connaissance des principes que dans la manière de les appliquer : les révéler à des ignorants, c’est laisser des rasoirs sous la main d’un singe.
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