Pour elle, se laisser gagner, c’est accorder une faveur ; mais les raisonnements exacts l’irritent et la tuent ; pour la diriger, il faut donc savoir se servir de la puissance dont elle use si souvent : la sensibilité. C’est donc en sa femme, et non pas en lui-même, qu’un mari trouvera les éléments de son despotisme : comme pour le diamant, il faut l’opposer à elle-même. Savoir offrir les girandoles pour se les faire rendre, est un secret qui s’applique aux moindres détails de la vie.
Passons maintenant à la seconde observation.
Qui sait administrer un toman, sait en administrer cent mille, a dit un proverbe indien ; et moi, j’amplifie la sagesse asiatique, en disant : Qui peut gouverner une femme, peut gouverner une nation. Il existe, en effet, beaucoup d’analogie entre ces deux gouvernements. La politique des maris ne doit-elle pas être à peu près celle des rois ? ne les voyons-nous pas tâchant d’amuser le peuple pour lui dérober sa liberté ; lui jetant des comestibles à la tête pendant une journée, pour lui faire oublier la misère d’un an ; lui prêchant de ne pas voler, tandis qu’on le dépouille ; et lui disant : « Il me semble que si j’étais peuple, je serais vertueux ? »
C’est l’Angleterre qui va nous fournir le précédent que les maris doivent importer dans leurs ménages. Ceux qui ont des yeux ont dû voir que, du moment où la gouvernementabilité s’est perfectionnée en ce pays, les whigs n’ont obtenu que très-rarement le pouvoir. Un long ministère tory a toujours succédé à un éphémère cabinet libéral. Les orateurs du parti national ressemblent à des rats qui usent leurs dents à ronger un panneau pourri dont on bouche le trou au moment où ils sentent les noix et le lard serrés dans la royale armoire. La femme est le whig de votre gouvernement. Dans la situation où nous l’avons laissée, elle doit naturellement aspirer à la conquête de plus d’un privilége. Fermez les yeux sur ses brigues, permettez-lui de dissiper sa force à gravir la moitié des degrés de votre trône ; et quand elle pense toucher au sceptre, renversez-la, par terre, tout doucement et avec infiniment de grâce, en lui criant : Bravo ! et en lui permettant d’espérer un prochain triomphe. Les malices de ce système devront corroborer l’emploi de tous les moyens qu’il vous plaira de choisir dans notre arsenal pour dompter votre femme.
Tels sont les principes généraux que doit pratiquer un mari, s’il ne veut pas commettre des fautes dans son petit royaume.
Maintenant, malgré la minorité du concile de Mâcon (Montesquieu, qui avait peut-être deviné le régime constitutionnel, a dit, je ne sais où, que le bon sens dans les assemblées était toujours du côté de la minorité), nous distinguerons dans la femme une âme et un corps, et nous commencerons par examiner les moyens de se rendre maître de son moral. L’action de la pensée est, quoi qu’on en dise, plus noble que celle du corps, et nous donnerons le pas à la science sur la cuisine, à l’instruction sur l’hygiène.
MÉDITATION XI
DE L’INSTRUCTION EN MÉNAGE
Instruire ou non les femmes, telle est la question. De toutes celles que nous avons agitées, elle est la seule qui offre deux extrémités sans avoir de milieu. La science et l’ignorance, voila les deux termes irréconciliables de ce problème. Entre ces deux abîmes, il nous semble voir Louis XVIII calculant les félicités du treizième siècle, et les malheurs du dix-neuvième. Assis au centre de la bascule qu’il savait si bien faire pencher par son propre poids, il contemple à l’un des bouts la fanatique ignorance d’un frère-lai, l’apathie d’un serf, le fer étincelant des chevaux d’un banneret ; il croit entendre : France et Montjoie-Saint-Denis !... mais il se retourne, il sourit en voyant la morgue d’un manufacturier, capitaine de la garde nationale ; l’élégant coupé de l’agent de change ; la simplicité du costume d’un pair de France devenu journaliste, et mettant son fils à l’école Polytechnique ; puis les étoffes précieuses, les journaux, les machines à vapeur ; et il boit enfin son café dans une tasse de Sèvres au fond de laquelle brille encore un N couronné.
Arrière la civilisation ! arrière la pensée !... voilà votre cri. Vous devez avoir horreur de l’instruction chez les femmes, par cette raison, si bien sentie en Espagne, qu’il est plus facile de gouverner un peuple d’idiots qu’un peuple de savants. Une nation abrutie est heureuse : si elle n’a pas le sentiment de la liberté, elle n’en a ni les inquiétudes ni les orages ; elle vit comme vivent les polypiers ; comme eux, elle peut se scinder en deux ou trois fragments ; chaque fragment est toujours une nation complète et végétant, propre à être gouvernée par le premier aveugle armé du bâton pastoral. Qui produit cette merveille humaine ? L’ignorance : c’est par elle seule que se maintient le despotisme ; il lui faut des ténèbres et le silence. Or, le bonheur en ménage est, comme en politique, un bonheur négatif. L’affection des peuples pour le roi d’une monarchie absolue est peut-être moins contre nature que la fidélité de la femme envers son mari quand il n’existe plus d’amour entre eux : or, nous savons que chez vous l’amour pose en ce moment un pied sur l’appui de la fenêtre. Force vous est donc de mettre en pratique les rigueurs salutaires par lesquelles M. de Metternich prolonge son statu quo ; mais nous vous conseillerons de les appliquer avec plus de finesse et plus d’aménité encore ; car votre femme est plus rusée que tous les Allemands ensemble, et aussi voluptueuse que les Italiens.
Alors vous essaierez de reculer le plus long-temps possible le fatal moment où votre femme vous demandera un livre. Cela vous sera facile. Vous prononcerez d’abord avec dédain le nom de bas-bleu ; et, sur sa demande, vous lui expliquerez le ridicule qui s’attache, chez nos voisins, aux femmes pédantes.
Puis, vous lui répéterez souvent que les femmes les plus aimables et les plus spirituelles du monde se trouvent à Paris, où les femmes ne lisent jamais ;
Que les femmes sont comme les gens de qualité, qui, selon Mascarille, savent tout sans avoir jamais rien appris ;
Qu’une femme, soit en dansant, soit en jouant, et sans même avoir l’air d’écouter, doit savoir saisir dans les discours des hommes à talent les phrases toutes faites avec lesquelles les sots composent leur esprit à Paris ;
Que dans ce pays l’on se passe de main en main les jugements décisifs sur les hommes et sur les choses ; et que le petit ton tranchant avec lequel une femme critique un auteur, démolit un ouvrage, dédaigne un tableau, a plus de puissance qu’un arrêt de la cour ;
Que les femmes sont de beaux miroirs, qui reflètent naturellement les idées les plus brillantes ;
Que l’esprit naturel est tout, et que l’on est bien plus instruit de ce que l’on apprend dans le monde que de ce qu’on lit dans les livres ;
Qu’enfin la lecture finit par ternir les yeux, etc.
Laisser une femme libre de lire les livres que la nature de son esprit la porte à choisir !... Mais c’est introduire l’étincelle dans une sainte-barbe ; c’est pis que cela, c’est apprendre à votre femme à se passer de vous, à vivre dans un monde imaginaire, dans un paradis. Car que lisent les femmes ? Des ouvrages passionnés, les Confessions de Jean-Jacques, des romans, et toutes ces compositions qui agissent le plus puissamment sur leur sensibilité.
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