Pendules de cheminée des maisons vides. Et, dans cette devanture d’horloger enfui, cet ossuaire de pendules mortes. La guerre… on ne remonte plus les pendules. On ne ramasse plus les betteraves. On ne répare plus les wagons. Et l’eau, qui était captée pour la soif ou pour le blanchissage des belles dentelles du dimanche des villageoises, se répand en mare devant l’église. Et l’on meurt en été…

C’est comme si j’avais une maladie ; Ce médecin vient de me dire : « C’est bien embêtant…» Il faudrait donc penser au notaire, à ceux qui restent. En fait, nous avons compris, Dutertre et moi, qu’il s’agit d’une mission sacrifiée :

— Étant donné les circonstances présentes, achève le commandant, on ne peut pas trop tenir compte du risque…

Bien sûr. On ne « peut pas trop ». Et personne n’a tort. Ni nous, de nous sentir mélancoliques. Ni le commandant, d’être mal à l’aise. Ni l’état-major, de donner des ordres. Le commandant rechigne parce que ces ordres sont absurdes. Nous le savons aussi, mais l’état-major le connaît lui-même. Il donne des ordres parce qu’il faut donner des ordres. Au cours d’une guerre, un état-major donne des ordres. Il les confie à de beaux cavaliers, ou, plus modernes, à des motocyclistes. Là où régnaient la pagaille et le désespoir, chacun de ces beaux cavaliers saute à bas d’un cheval fumant. Il montre l’Avenir, comme l’étoile des Mages. Il apporte la Vérité. Et les ordres reconstruisent le monde.

Ça, c’est le schéma de la guerre. L’imagerie en couleur de la guerre. Et chacun s’évertue, de son mieux, à faire que la guerre ressemble à la guerre. Pieusement. Chacun s’efforce de bien jouer les règles. Il se pourra, peut-être, alors, que cette guerre veuille bien ressembler à une guerre.

Et c’est afin qu’elle ressemble à une guerre que l’on sacrifie, sans buts précis, les équipages. Nul ne s’avoue que cette guerre ne ressemble à rien, que rien n’y a de sens, qu’aucun schéma ne s’adapte, que l’on tire gravement des fils qui ne communiquent plus avec les marionnettes. Les états-majors expédient avec conviction ces ordres qui ne parviendront nulle part. On exige de nous des renseignements qui sont impossibles à récolter.