Le commerce le passionnait, le commerce du luxe de la femme, où il entre une séduction, une possession lente par des paroles dorées et des regards adulateurs. Et il raconta, avec des rires de victoire, comment il avait gagné les cinq mille francs, sans lesquels, d’une prudence de juif sous les dehors d’un étourdi aimable, il ne se serait jamais risqué à Paris.

― Imaginez-vous, ils avaient une indienne pompadour, un ancien dessin, une merveille... Personne ne mordait ; c’était dans les caves depuis deux ans... Alors, comme j’allais faire le Var et les Basses-Alpes, j’eus l’idée d’acheter tout le solde et de le placer pour mon compte. Oh ! un succès, un succès fou ! Les femmes s’arrachaient les coupons ; il n’y en a pas une, aujourd’hui, qui n’ait là-bas de mon indienne sur le corps... Il faut dire que je les roulais si gentiment ! Elles étaient toutes à moi, j’aurais fait d’elles ce que j’aurais voulu.

Et il riait, pendant que madame Campardon, séduite, troublée par la pensée de cette indienne pompadour, le questionnait. Des petits bouquets sur fond écru, n’est-ce pas ? Elle en avait cherché partout pour un peignoir d’été.

― J’ai voyagé deux ans, c’est assez, reprit-il. D’ailleurs, il faut bien conquérir Paris... Je vais immédiatement chercher quelque chose.

― Comment ! s’écria-t-elle, Achille ne vous a pas raconté ? Mais il a pour vous une situation, et à deux pas d’ici !

Il remerciait, s’étonnant comme en pays de Cocagne, demandant par plaisanterie s’il n’allait pas trouver, le soir, une femme et cent mille francs de rente dans sa chambre, lorsqu’une enfant de quatorze ans, longue et laide, avec des cheveux d’un blond fade, poussa la porte et jeta un léger cri d’effarouchement.

― Entre et n’aie pas peur, dit madame Campardon. C’est monsieur Octave Mouret, dont tu nous as entendu parler.

Puis, se tournant vers celui-ci :

― Ma fille Angèle... Nous ne l’avions pas emmenée, lors de notre dernier voyage. Elle était si délicate ! Mais la voilà qui se remplit un peu.

Angèle, avec la gêne maussade des filles dans l’âge ingrat, était venue se placer derrière sa mère. Elle coulait des regards sur le jeune homme souriant. Presque aussitôt, Campardon reparut, l’air animé ; et il ne put se tenir, il conta l’heureuse chance à sa femme, en quelques phrases coupées : l’abbé Mauduit, vicaire à Saint-Roch, pour des travaux ; une simple réparation, mais qui pouvait le mener loin. Puis, contrarié d’avoir causé devant Octave, frémissant encore, il tapa dans ses mains, en disant :

― Allons, allons, que faisons-nous ?

― Mais vous sortiez, dit Octave. Je ne veux pas vous déranger.

― Achille, murmura madame Campardon, cette place, chez les Hédouin...

― Tiens ! c’est vrai, s’écria l’architecte. Mon cher, une place de premier commis, dans une maison de nouveautés. J’y connais quelqu’un, qui a parlé pour vous... On vous attend. Il n’est pas quatre heures, voulez-vous que je vous présente ?

Octave hésitait, inquiet du nœud de sa cravate, troublé dans sa passion d’une mise correcte. Pourtant, il se décida, lorsque madame Campardon lui eut juré qu’il était très convenable. D’un mouvement languissant, elle avait tendu le front à son mari, qui la baisait avec une effusion de tendresse, répétant :

― Adieu, mon chat... adieu, ma cocotte...

― Vous savez, on dîne à sept heures, dit-elle en les accompagnant à travers le salon, où ils cherchaient leurs chapeaux.

Angèle les suivait, sans grâce. Mais son professeur de piano l’attendait, et tout de suite elle tapa sur l’instrument, de ses doigts secs. Octave, qui s’attardait dans l’antichambre à remercier encore, eut la voix couverte. Et, comme il descendait l’escalier, le piano sembla le poursuivre : au milieu du silence tiède, chez madame Juzeur, chez les Vabre, chez les Duveyrier, d’autres pianos répondaient, jouant à chaque étage d’autres airs qui sortaient, lointains et religieux, du recueillement des portes.

En bas, Campardon tourna dans la rue Neuve-Saint-Augustin. Il se taisait, de l’air absorbé d’un homme qui cherche une transition.

― Vous vous rappelez mademoiselle Gasparine ? demanda-t-il enfin. Elle est première demoiselle chez les Hédouin... Vous allez la voir.

Octave crut l’occasion venue de contenter sa curiosité.

― Ah ! dit-il. Elle loge chez vous ?

― Non ! non ! s’écria l’architecte vivement et comme blessé.

Puis, le jeune homme ayant paru surpris de sa violence, il continua, gêné, avec douceur :

― Non, elle et ma femme ne se voient plus...