Donc je venais de sortir du collège. J'étais plein de rêves et d'illusions; j'étais naÔf autant et peut-être plus qu'une rosière de Salency. Tout heureux de ne plus avoir de pensums à faire, je trouvais que tout était pour le mieux dans le meilleur des mondes possibles. Je croyais à une infinité de choses; je croyais à la bergère de M. de Florian, aux moutons peignés et poudrés à blanc; je ne doutais pas un instant du troupeau de madame Deshoulières. Je pensais qu'il y avait effectivement neuf muses, comme l'affirmait l'Appendix de Diis et HeroÔbus du père Jouvency.
Mes souvenirs de Berquin et de Gessner me créaient un petit monde o˘ tout était rose, bleu de ciel et vert-pomme. O sainte innocence! sancta simplicitas! comme dit Méphistophélès. quand je me trouvai dans cette belle chambre, chambre à moi, à moi tout seul, je ressentis une joie à nulle autre seconde. J'inventoriai soigneusement jusqu'au moindre meuble; je furetai dans tous les coins, et je l'explorai dans tous les sens. J'étais au quatrième ciel, heureux comme un roi ou deux. Après le souper (car on soupait chez mon oncle), charmante coutume qui s'est perdue avec tant d'autres non moins charmantes que je regrette de tout ce que j'ai de coeur, je pris mon bougeoir et je me retirai, tant j'étais impatient de jouir de ma nouvelle demeure.
En me déshabillant, il me sembla que les yeux d'Omphale avaient remué; je regardai plus attentivement,
non sans un léger sentiment de frayeur, car la chambre était grande, et la faible pénombre lumineuse qui flottait autour de la bougie ne servait qu'à
rendre les ténèbres plus visibles. Je crus voir qu'elle avait la tête tournée en sens inverse. La peur commençait à me travailler sérieusement; je soufflai la lumière. Je me tournai du côté du mur, je mis mon drap par-dessus ma tête, je tirai mon bonnet jusqu'à mon menton, et je finis par m'endormir.
Je fus plusieurs jours sans oser jeter les yeux sur la maudite tapisserie.
Il ne serait peut-être pas inutile, pour rendre plus vraisemblable l'invraisemblable histoire que je vais raconter, d'apprendre à mes belles lectrices qu'à cette époque j'étais en vérité un assez joli garçon. J'avais les yeux les plus beaux du monde: je le dis parce qu'on me l'a dit; un teint un peu plus frais que celui que j'ai maintenant, un vrai teint d'oeillet; une chevelure brune et bouclée que j'ai encore, et dix-sept ans que je n'ai plus. Il ne me manquait qu'une jolie marraine pour faire un très passable Chérubin; malheureusement la mienne avait cinquante-sept ans et trois dents, ce qui était trop d'un côté et pas assez de l'autre.
Un soir, pourtant, je m'aguerris au point de jeter un coup oeil sur la belle maîtresse d'Hercule; elle me regardait de l'air le plus triste et le plus langoureux du monde. Cette fois-là j'enfonçai mon bonnet jusque sur mes épaules et je fourrai ma tête sous le traversin.
Je fis cette nuit-là un rêve singulier, si toutefois c'était un rêve.
J'entendis les anneaux des rideaux de mon lit
glisser en criant sur leurs tringles, comme si l'on e˚t tiré précipitamment les courtines. Je m'éveillai; du moins dans mon rêve il me sembla que je m'éveillais. Je ne vis personne.
La lune donnait sur les carreaux et projetait dans la chambre sa lueur bleue et blafarde. De grandes ombres, des formes bizarres, se dessinaient sur le plancher et sur les murailles. La pendule sonna un quart; la vibration fut longue à s'éteindre; on aurait dit un soupir. Les pulsations du balancier, qu'on entendait parfaitement, ressemblaient à s'y méprendre au coeur d'une personne émue.
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