Le cabinet était vide.

– Par là ! commanda-t-elle.

Elle bondit jusqu’à l’escalier de service, mais la porte s’ouvrit, et Milly parut. En apercevant Réginald, la soubrette étouffa un cri et barra le passage aux deux amants.

– Pas par ici ! Il y a deux officiers au bas de l’escalier !

Et elle ferma derrière elle la porte au verrou. Elle était aussi pâle que la reine.

Comme Réginald s’élançait vers elle, Milly lui dit d’une voix sourde :

– Ah ! monseigneur, pourquoi êtes-vous venu ici ? Je vous avais dit de fuir…

– C’est toi qui m’as conduit ici ! lui souffla l’autre en lui brisant les poignets, pendant que Marie-Sylvie courait aux fenêtres.

Milly tomba à genoux. Réginald la lâcha. Elle s’entra dans les joues les ongles de ses mains démentes. Elle gémit :

– Depuis ce matin, je soupçonnais qu’on voulait vous perdre !

– Et tu ne m’en as rien dit ! grinça Marie-Sylvie qui tournait dans la chambre comme une louve dans la cage.

– Majesté, je n’ai pas pu vous approcher ! J’étais surveillée ! Il m’était défendu de vous parler… Mais j’ai fait avertir monseigneur…

– Tu nous as trahis ! Tu nous as trahis encore ! gronda Réginald. Et comme il allait à une porte dont le double battant donnait sur le vestibule de l’appartement de la reine, Marie-Sylvie l’arrêta :

– Pas par là ! C’est l’escalier d’honneur ! Tu ne pourrais pas faire deux pas sans être arrêté, reconnu !

Milly continuait de gémir :

– Monseigneur, tout mon sang pour vous ! pour la reine !

– Tais-toi ! Tais-toi ! C’est toi, tout à l’heure, qui m’as introduit ici ! dit encore Réginald qui faisait un effort prodigieux pour arracher la porte par laquelle il était entré.

– Par la Vierge et par mon salut, c’est faux !

Quittant la porte, Réginald s’en fut à la fenêtre qu’il ouvrit tout doucement. Elle donnait sur une cour, et dans cette cour il aperçut deux ombres immobiles qui attendaient. Il referma la fenêtre.

– Oh ! fit-il, sauver la reine !

Et il regarda Marie-Sylvie qui essayait de reconquérir un peu de calme et jetait sur ses épaules nues un peignoir…

Milly sanglotait sur le parquet. Face à face, de femme à femme, la reine lui cria :

– Tu vas le sauver !

Milly tremblait, claquait des dents. Elle parvint cependant à dire :

– Il n’y a qu’un moyen… un seul ! Passer par la grande galerie, et là, reprendre un escalier de service. Si nous arrivons là, sans rencontrer personne, je me charge de tout…

– Mais il faut passer par l’escalier d’honneur ! protesta Marie-Sylvie. Et vous rencontrerez quelqu’un, c’est certain !

Soudain, Réginald fit :

– Silence !

Et il se pencha derrière la porte qui conduisait chez Milly. Tous trois écoutèrent. On eût pu entendre battre leurs trois cœurs. Les pas, dans l’escalier de service, s’étaient arrêtés. Ils écoutèrent encore. Rien ! Maintenant l’immense hôtel semblait reposer dans un absolu silence.

Réginald ouvrit alors avec d’infinies précautions la grande porte qui faisait communiquer l’appartement avec le palier donnant sur l’escalier d’honneur. Sortir par là, c’était tout risquer, et cette issue laissée libre ne paraissait-elle point conduire, par cela même, à quelque piège ? Enfin, là, c’étaient la nuit, les ténèbres, l’inconnu. Chose bizarre : pas une lumière… Réginald voulut prendre ce chemin là tout de suite. Il dit à Marie-Sylvie, qu’il serra éperdument dans ses bras :

– Au moins, si l’on s’empare de moi, ce ne sera point dans ta chambre !

– Nous n’en serons pas moins perdus l’un et l’autre, fit-elle toute tremblante. Il n’y a que Milly qui puisse nous sauver, mais elle veut peut-être nous perdre !

Milly fit le signe de la croix, puis prenant la main de Réginald :

– Venez, monseigneur, dit-elle, retrouvant soudain un peu de calme. Venez ! Si nous sommes surpris, je jurerai que vous sortez de chez moi et, si l’on vous tue, je prends Dieu à témoin que je ne vous survivrai pas !

– Allons ! commanda Réginald.

La reine lui tendait encore les bras, mais il ne la vit pas, car il s’était déjà enfoncé dans la nuit noire du palier, derrière Milly. Alors, penchée sur l’ombre, Marie-Sylvie écouta, dans la terreur de percevoir tout à coup des pas précipités, des bruits de lutte, un cri désespéré peut-être, cri d’appel et d’adieu ! Mais rien ne se fit entendre… Les minutes s’écoulèrent, terribles d’abord, puis apaisantes, pleines d’espoir… Marie-Sylvie se reprenait à respirer, à vivre…

Elle referma tout doucement la porte de sa chambre et alla tomber à genoux devant une petite image de la Vierge qu’elle emportait partout avec elle. Sa prière fut longue, ardente, et elle ne cessa de mêler tout bas à ses soupirs les noms adorés de Réginald, de Tania et de Régina…

Quand elle se releva et se retourna, elle se trouva en face de Léopold-Ferdinand, qui était tranquillement assis dans un fauteuil, au coin de la cheminée, et qui la regardait en caressant d’une main molle sa grosse moustache.

III – CE QUE REGINALD TROUVA DANS LES COULOIRS DE L’AMBASSADE D’AUSTRASIE

Milly et Réginald étaient parvenus au premier étage sans encombre, prenant, du reste, les plus grandes précautions pour qu’aucun bruit ne vînt révéler leur présence. D’après les rapides paroles de Milly, on pouvait imaginer facilement que toutes les issues de l’hôtel étaient gardées. Réginald ne pouvait espérer forcer ces gardes-là. Il n’avait pas une arme sur lui… Aussi, sa situation était terrible, car il devait s’attendre à quelque chose d’horrible de la vengeance d’un homme comme Léopold-Ferdinand qui le tenait à sa disposition à l’ambassade d’Austrasie, c’est-à-dire chez lui, tous les princes de l’empire pouvant, dans l’enceinte de cet hôtel, bénéficier jusqu’au crime du régime diplomatique d’exterritorialité. La police de France n’avait point à connaître de ce qui se passait au-delà de ce seuil. Mais de cela, l’homme n’avait cure : il ne pensait encore, toujours, qu’à sa royale maîtresse…

Sa vie à lui ne comptait pas, si Marie-Sylvie pouvait être sauvée.