Ce caractère de la nourrice est indiqué dans le poëme d'Arthur Brooke, où il est loin cependant d'avoir la même vérité grossière que dans la pièce de Shakspeare.
Partout où ils échappent aux concetti, les vers de Roméo et Juliette sont peut-être les plus gracieux et les plus brillants qui soient sortis de la plume de Shakspeare; ils sont en grande partie rimés, autre hommage rendu aux habitudes italiennes.
Roméo et Juliette fut jouée pour la première fois, en 1596, par les serviteurs de lord Hundsdon, les grands seigneurs ayant joui jusqu'au règne de Jacques Ier d'une liberté illimitée quant à la protection qu'ils accordaient aux acteurs. Un acte du Parlement y apporta alors quelque restriction.
ROMÉO ET JULIETTE
TRAGÉDIE
PERSONNAGES
ESCALUS, prince de Vérone.
PARIS, jeune seigneur, parent du prince
MONTAIGU, CAPULET, chefs des deux maisons ennemies.
UN VIEILLARD, oncle de Capulet.
ROMÉO, fils de Montaigu.
MERCUTIO, parent du prince et ami de Roméo.
BENVOLIO, neveu de Montaigu et ami de Roméo.
TYBALT, neveu de la signora Capulet.
FRERE LAURENCE, franciscain.
FRERE JEAN, religieux du même ordre.
BALTHASAR, domestique de Roméo.
SAMSON, GREGOIRE, domestique de Capulet.
ABRAHAM, domestique de Montaigu.
UN APOTHICAIRE.
TROIS MUSICIENS.
UN VALET.
UN PAGE de Pâris.
PIERRE.
UN OFFICIER.
CHOEUR.
LA SIGNORA MONTAIGU, femme de Montaigu.
LA SIGNORA CAPULET, femme de Capulet.
JULIETTE, fille de Capulet.
LA NOURRICE de Juliette.
CITOYENS DE VÉRONE, PLUSIEURS HOMMES
ET FEMMES DES DEUX FAMILLES,
MASQUES, GARDES, GENS DU GUET ET SERVITEURS.
La scène est pendant presque toute la pièce à Vérone.
Au cinquième acte elle est une fois à Mantoue.
PROLOGUE
Dans la belle Vérone, où nous plaçons notre scène, l'antique haine de deux maisons égales en dignité vient d'éclater par de nouveaux troubles, où le sang des citoyens a souillé les mains des citoyens. De la race funeste de ces deux ennemis a pris naissance, sous des étoiles funestes, un couple d'amants infortunés dont les malheurs et la ruine déplorable enseveliront avec eux les luttes de leurs parents. L'épisode terrible de cet amour marqué de mort, l'obstination de leurs parents dans des fureurs dont la mort de leurs enfants peut seule terminer le cours, vont pendant ces deux heures occuper notre scène. Si vous nous prêtez la faveur d'une oreille attentive, nous travaillerons par nos efforts à perfectionner ce qui pourrait manquer ici.
ACTE PREMIER
SCÈNE I
Une place publique.
Entrent SAMSON et GRÉGOIRE, armés d'épées et de boucliers.
SAMSON.—Tiens, Grégoire, sur ma parole, on ne nous fera plus avaler de pilules4.
Note 4: (retour)
***Put footnote text here***
SAMSON. Gregory, o'my word, we'll not carry coals.
GREGORY. No, for then we should be colliers.
SAMSON. I mean, an we be in choler we'll draw.
GREGORY. Ay, while you live, draw your neck out, o'the collar.
Carry coals (porter du charbon) était, du temps de Shakspeare, une expression proverbiale en anglais pour dire supporter des injures. Samson, jouant sur les deux sens de cette expression, répond: Non, car nous serions des charbonniers. Il a fallu changer cette réplique de Samson pour qu'elle se rapportât à l'expression avaler des pilules, la seule qui, en français puisse rendre carry coals. On a été de même obligé à quelques légères altérations dans les deux répliques suivantes, dont la plaisanterie porte sur la consonance des mots choler (colère) et collar (collier, collier de fer). La même liberté, et de plus grandes encore seront souvent indispensables dans le cours de cette pièce, pour donner un sens quelconque à cette suite de jeux de mots, de calembours, de quolibets, dont se compose, durant les deux premiers actes, la conversation de presque tous les personnages, et aussi pour éviter ou adoucir quelques plaisanteries trop grossières. C'est un travail ingrat autant que rebutant de chercher dans la partie burlesque de notre langue de quoi travestir convenablement des bouffonneries où l'esprit ne peut découvrir d'autre mérite que celui qu'elles empruntent de ce grotesque attirail, et où l'on est à chaque instant tenté de demander pardon au lecteur de la peine qu'on prend pour lui transmettre ces puérilités: mais c'est Shakspeare qu'il s'agit de faire connaître, ou du moins le goût de ce temps d'où est sorti Shakspeare.
GRÉGOIRE.—Non, car elles pourraient bien nous donner la colique.
SAMSON.—Je veux dire que, si on nous fâche, il faudra être francs du collier.
GRÉGOIRE.—Franc pour toute ta vie du collier du bourreau, n'est-ce pas?
SAMSON.—Je suis prompt à taper quand je me mets en train.
GRÉGOIRE.—Mais tu n'es pas prompt à te mettre en train de taper.
SAMSON.—La vue d'un de ces chiens de Montaigu me remue tout le corps.
GRÉGOIRE.—On se remue pour courir; quand on est brave, on tient ferme: c'est pour cela que, lorsqu'on te remue, tu te sauves.
SAMSON.—Un chien de cette maison me remuera de telle sorte que je tiendrai ferme: je prendrai le côté du mur avec tout homme ou femme des Montaigu.
GRÉGOIRE.—C'est ce qui prouve que tu n'es qu'un faible esclave, car ce sont les plus faibles qu'on met au pied du mur5.
Note 5: (retour)
The weakest goes to the wall (le plus faible va contre le mur). Il a fallu changer un peu le sens de la phrase pour qu'elle se prêtât à la suite de la plaisanterie. Samson répond que les femmes étant the weaker vessels (les vases les moins solides), expression empruntée à l'Écriture, sont toujours (thrust to the wall) jetées contre le mur, au coin du mur.
SAMSON.—Oui, c'est vrai; et voilà pourquoi les femmes étant des vaisseaux plus fragiles, on les met toujours au pied du mur. Je prendrai le côté du mur sur les serviteurs de la maison de Montaigu; et pour les filles, je les mettrai au pied du mur.
GRÉGOIRE.—La querelle est entre nos maîtres et nous, leurs hommes.
SAMSON.—Cela m'est égal, je veux me montrer tyran. Quand je me serai battu avec les hommes, je serai cruel envers les filles: je leur couperai la tête.
GRÉGOIRE.—La tête des filles?
SAMSON.—Oui, la tête des filles, ou bien....6: arrange cela comme tu voudras.
Note 6: (retour)
Or their maidenheads; take it in what sense thou wilt.—GREG. They must take it in sense that feel it.—SAMS. Me they shall feel, while I am able to stand. Le jeu de mots roule sur les têtes des filles (the heads of the maids) ou leur virginité (maidenhead); il est impossible à rendre en français.
GRÉGOIRE.—C'est à celles qui le sentiront à s'en arranger.
SAMSON.—Elles me sentiront tant que le courage me tiendra; et on sait que je suis un gaillard bien en chair.
GRÉGOIRE.—Oui, tu n'es pas poisson: si tu l'étais, tu serais un hareng de deux liards. Allons, tire ta flamberge; en voilà deux de la maison des Montaigu.
(Entrent Abraham et Balthasar.)
SAMSON.—Voilà mon épée hors du fourreau. Cherche-leur querelle, je t'épaulerai.
GRÉGOIRE.—Comment, en tournant les épaules et en te sauvant?
SAMSON.—Ne crains rien de mon courage.
GRÉGOIRE.—Moi, craindre ton courage! non, vraiment.
SAMSON.—Mettons la loi de notre côté; laissons-les commencer.
GRÉGOIRE.—Je vais froncer le sourcil en passant devant eux; qu'ils le prennent comme ils voudront.
SAMSON.—C'est-à-dire comme ils l'oseront. Moi, je vais leur mordre mon pouce7; s'ils le supportent, ils sont déshonorés.
Note 7: (retour)
Mordre son pouce était, du temps de Shakspeare, une des insultes les plus en usage pour commencer une querelle.
ABRAHAM.—Est-ce à notre intention, monsieur, que vous mordez votre pouce?
SAMSON.—Je mords mon pouce, monsieur.
ABRAHAM.—Est-ce à notre intention, monsieur, que vous mordez votre pouce?
SAMSON.—Aurons-nous la loi de notre côté si je réponds oui?
GRÉGOIRE.—Non pas.
SAMSON.—Non, monsieur, ce n'est pas à votre intention que je mords mon pouce; mais je mords mon pouce, monsieur.
GRÉGOIRE.—Cherchez-vous querelle, monsieur?
ABRAHAM.—Querelle, monsieur? Non monsieur.
SAMSON.—Si vous cherchez querelle, monsieur, je suis bon pour vous; je sers un aussi bon maître que vous.
ABRAHAM.—Pas un meilleur.
SAMSON.—Soit, monsieur.
GRÉGOIRE.—Dis meilleur. (A part, à Samson.) J'aperçois un des parents de mon maître8.
Note 8: (retour)
Il faut que cette phrase de Grégoire se rapporte à Tybalt, qu'il aperçoit apparemment de loin, car Benvolio est parent des Montaigu.
(On voit de loin entrer Benvolio.)
SAMSON.—Oui, meilleur, monsieur.
ABRAHAM.—Vous mentez.
SAMSON.—Tirez, si vous êtes des hommes.—Grégoire, n'oublie pas ce coup qui fait tant de bruit.
(Ils se battent.)
BENVOLIO, accourant l'épée nue pour les séparer.—Séparez-vous, imbéciles. Remettez vos épées; vous ne savez ce que vous faites. (Il abaisse leurs épées)
(Entre Tybalt.)
TYBALT.—Quoi! tu tires l'épée contre cette lâche canaille! Tourne-toi, Benvolio; regarde ta mort en face.
BENVOLIO.—Je ne veux que rétablir la paix ici. Remets ton épée, ou sers-t'en pour m'aider à séparer ces hommes.
TYBALT.—Quoi! l'épée est tirée et tu parles de paix! Je hais ce mot comme je hais l'enfer, tous les Montaigu et toi. Défends-toi, lâche.
(Ils se battent.)
(Entrent des partisans des deux maisons qui se joignent à la mêlée. Entrent ensuite des citoyens avec de gros bâtons.)
PREMIER CITOYEN.—Prenez vos bâtons, vos piques, vos pertuisanes. Frappons, faisons-les tomber à terre: à bas les Capulet! à bas les Montaigu!
Entrent le vieux Capulet, en robe de chambre, et la signora Capulet.
CAPULET.—Quel est ce bruit? Holà! Donnez-moi mon épée de combat.
LA SIGNORA CAPULET.—Votre béquille, votre béquille! Que voulez-vous faire d'une épée?
CAPULET.—Mon épée! vous dis-je, j'aperçois le vieux Montaigu: il fait briller sa lame en l'air pour me braver.
(Entrent Montaigu et la signora Montaigu.)
MONTAIGU.—C'est toi, traître de Capulet!—Ne me retenez pas, laissez-moi aller.
LA SIGNORA MONTAIGU.—Je ne vous laisserai pas faire un pas pour chercher un ennemi.
(Entrent le prince et sa suite.)
LE PRINCE.—Sujets rebelles, ennemis de la paix, profanateurs de ce fer souillé du sang de vos voisins...—Ne m'écouteront-ils donc pas?—Holà! comment! Hommes ou bêtes que vous êtes, qui ne savez éteindre les flammes de votre rage pernicieuse que dans des flots de sang tirés de vos propres veines; sous peine de la torture, jetez à terre de vos mains sanglantes ces armes forgées par la colère9, et écoutez la sentence de votre prince irrité.—Déjà par votre fait, vieux Capulet, et vous Montaigu, trois querelles intestines ont, sur une parole en l'air, troublé trois fois la tranquillité de nos rues, et fait quitter aux anciens de Vérone les graves ornements qui leur conviennent, pour manier de vieilles pertuisanes dans de vieilles mains rongées par la paix, afin de réprimer les violences de la haine qui vous ronge. Si jamais vous troublez encore nos rues, vous payerez de votre vie la violation de la paix.
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