La plus attristante expérience de l’homme a été de voir ainsi violenter les plus nobles produits de la civilisation, de voir les défenseurs de la religion bénir la main de fer avec laquelle le pouvoir temporel égorge en masse les humains et rive les fers des esclaves, de voir aussi la science s’associer à ce même pouvoir dans sa course meurtrière et son exploitation impitoyable.

Quand nous en arrivons à croire que nous possédons notre Dieu parce que nous appartenons à telle ou telle secte, nous sommes parfaitement aises de penser que Dieu sert uniquement à nous permettre d’assommer avec plus de componction les gens qui, pour leur bien ou pour leur mal, se font de Lui une idée différant de la nôtre sur quelques détails théoriques. Ayant ainsi pourvu à notre Dieu dans quelque Champs-Élysées de credo, nous nous sentons libres de nous réserver à nous-mêmes tout l’espace dans le monde de la réalité, et nous débarrassons ce monde du merveilleux de l’Infini, en en faisant quelque chose d’aussi trivial que le reste de notre mobilier. Une vulgarité aussi entière ne devient possible que si dans notre esprit nous ne doutons plus de croire en Dieu, tandis que dans notre vie nous Le négligeons totalement.

Le pieux sectaire est fier parce qu’il se sent le droit de posséder Dieu. Le dévot est humble parce qu’il sent que Dieu a sur sa vie et son âme le droit d’amour. Or ce qui est l’objet de notre possession doit nécessairement devenir plus petit que nous ; sans l’admettre explicitement, le sectaire bigot entretient la croyance inconsciente que ses pareils et lui peuvent tenir Dieu à leur merci dans une cage qu’ils Lui ont forgée. C’est de la même manière que les races humaines primitives attribuent à leurs rituels une influence magique sur leurs dieux.

Et ainsi chaque religion commence comme agent de libération et finit par être une vaste geôle. Édifiée sur le renoncement de son fondateur, elle devient entre les mains de ses prêtres une institution d’accaparement ; revendiquant l’universalité, elle devient un centre actif de déchirements et de schismes. Tel un ruisseau paresseux, l’esprit de l’homme est envahi par des herbes qui se putréfient ; il se divise en flaques d’eau vaseuse qui n’ont pour toute activité que de dégager des vapeurs narcotiques et mortelles. L’esprit mécanique de la tradition est essentiellement matérialiste ; il est pieusement aveugle, mais il n’est pas spirituel ; il est obsédé par les fantômes de déraison qui hantent les cerveaux faibles avec leurs livides simulacres de religion. Et cela n’arrive pas seulement aux médiocres qui s’accrochent aux chaînes où ils se sentent dégagés de toute responsabilité, ou qui sont avides de blafardes irréalités ; cela arrive aussi aux générations entières de races insipides qui ont perdu tout sens d’elles-mêmes, et qui noient leur présent dans un passé spectral !

Les grandes âmes comme Râmakrishna ont de la Vérité une vision d’ensemble. Elles ont le pouvoir de saisir la signification qu’a chaque forme différente de la Réalité – qui est Une – tandis que la masse des croyants est incapable de résoudre les oppositions entre tous les commandements et tous les credo. Au lieu d’être libérée par une vision de l’Infini dans la religion, l’imagination timorée et ratatinée des masses est tenue captive par la bigoterie ; elle est torturée et exploitée par les prêtres et les fanatiques, et cela à des fins que n’avaient guère prévues les initiateurs des religions.

Malheureusement, les grands maîtres sont le plus souvent entourés de gens dont l’esprit, opaque à la lumière, obscurcit et dénature les idées provenant de la source supérieure. Dans leur suffisance, ces gens sont satisfaits lorsque le portrait qu’ils tracent de leur maître offre des traits plus ou moins calqués sur leur propre personnalité. Consciemment et inconsciemment ils remodèlent les messages de profonde sagesse dans le moule de leur propre compréhension tortueuse, les altèrent soigneusement pour en faire les platitudes conventionnelles dans lesquelles ils se sentent à l’aise et qui satisfont le conformisme de leur secte. N’ayant pas la sensibilité d’esprit nécessaire pour jouir de la vérité pure et sans mélange, ces mégalomanes l’exagèrent et s’efforcent de l’agrandir selon leurs normes insensées – ce qui est absurdement inutile si l’on veut réellement l’apprécier, et qui est en outre attentatoire à la dignité de ceux qui les premiers l’ont transmise. L’histoire des grands hommes, en raison même de leur grandeur, court toujours le risque d’être projetée sur un faux écran de souvenirs lorsqu’on la mêle à des événements grossièrement quotidiens et que, par conséquent, la foule accepte passivement.

Je vous le dis : Si vous êtes véritablement amoureux de la Vérité, osez la chercher dans la plénitude, dans toute l’infinie beauté de sa majesté, et ne vous contentez jamais de thésauriser ses symboles vides en l’avare captivité que lui offrent les hautes murailles des conventions. Vénérons les grandes âmes dans la sublime simplicité de leur grandeur spirituelle – que toutes ont en commun – là où elles se rejoignent dans un désir universel de libérer l’homme de son asservissement à son propre ego individuel, à l’ego de sa race et à celui de sa secte. Mais dans ces basses terres des traditions, là où les religions se défient mutuellement, réfutent les prétentions et les dogmes les unes des autres, le sage, consterné et plein de doutes, doit se sentir à l’écart d’elles.

Je n’ai pas l’intention de préconiser une même Église pour toute l’humanité, un modèle uniforme auquel doive se plier tout acte d’adoration ou d’invocation. À l’esprit arrogant du sectarisme – qui si souvent, au moindre prétexte, emploie des méthodes de persécution actives ou passives, violentes ou subtiles – il faut rappeler que la religion, tout comme la poésie, n’est pas une simple idée, c’est une expression. Dieu S’exprime dans l’infinie variété de la création ; et notre attitude envers l’Infini doit aussi avoir dans son expression une variété d’individualité incessante et sans fin. Lorsqu’une religion a la prétention d’imposer sa doctrine à l’humanité tout entière, elle se dégrade en une tyrannie et devient une forme d’impérialisme. C’est pourquoi, en matière religieuse, nous voyons régner dans la plus grande partie du monde une méthode fasciste implacable, qui écrase sous son talon insensible tout épanouissement de l’esprit humain.

Les hommes enclins au sectarisme veulent naturellement que leur propre religion domine tout, dans le temps et dans l’espace. Aussi se sentent-ils offensés lorsqu’on leur dit que Dieu distribue Son amour sans parcimonie et que les moyens de communication dont Il dispose avec les hommes ne se limitent pas à une étroite impasse qui prend fin abruptement en un point donné de l’histoire. Si jamais l’humanité se trouvait submergée une fois de plus par le déluge universel de l’exclusivisme et de la bigoterie, Dieu devrait prévoir une autre arche de Noé pour que Ses créatures échappent à la catastrophe de la dévastation spirituelle.

Ce que je réclame, c’est que l’on reconnaisse activement ce fait oublié que la réalité de la religion plonge ses racines dans la vérité de la nature humaine, dans le désir humain le plus intense et le plus universel, et que par conséquent c’est cela qui fournit le critère même de la religion. Quand elle frustre ce besoin et fait injure à la raison, elle répudie sa propre justification.

Je voudrais pour conclure citer quelques vers du grand poète mystique de l’Inde médiévale, Kabîr, que je considère comme l’un des plus puissants génies spirituels de notre pays :

Le diamant est perdu dans la boue ;

                        Tous vont à sa recherche

Certains vont vers l’Orient – ou vers l’Ouest,

                                 Espérant l’y trouver.

Est-il donc égaré dans le fleuve ?

                        Ou bien dans les rochers ?

Sabir, Ton serviteur, l’apprécie

                                 À sa juste valeur

Chaudement abrité, il l’emporte

                     Dans un pan de son cœur.

1.

Discours prononcé en mars 1937 à l’hôtel de ville de Calcutta lors du centenaire de Râmakrishna.

Grandes Traductions et Domaine Étranger
 (extrait du catalogue)

Traduit de l’albanais

KADARÉ Ismaïl

Le Général de l’armée morte

Traduit de l’allemand

BUCHHEIM Lothar Günter

Le Bateau (Le Styx)

 

CANETTI Elias

Le Cœur secret de l’horloge – (Réflexions, 1973-1985)

Le Collier de mouches

La Conscience des mots

Histoire d’une jeunesse. La Langue sauvée (T. 1)

Histoire d’une vie, 1921-1931.

Le Flambeau dans l’oreille (T. 2)

Jeux de regard. Histoire d’une vie, 1931-1937 (T. 3)

Le Témoin auriculaire

Le Territoire de l’homme

Théâtre – Noces, Comédie des vanités, Les Sursitaires

Les Voix de Marrakech

 

DÜRRENMATT Friedrich

La Chute d’A.

Grec cherche Grecque

La Promesse

Romans (La Panne – Le Juge et son bourreau – Le Soupçon)

La Ville

 

HILSENRATH Edgar

Le Conte de la pensée dernière

Le Retour au pays de Jossel

Wassermann

 

MANN Thomas

Les Confessions du chevalier d’industrie F. Krull

Déception (Nouvelles)

Le Docteur Faustus

Le Mirage

Les Têtes interverties

 

PERUTZ Léo

Le Cosaque et le Rossignol

Le Miracle du manguier

Seigneur, ayez pitié de moi !

 

RILKE Rainer Maria

Correspondance avec Marie de la Tour et Taxis

 

WERFEL Franz

Le Chant de Bernadette

Les 40 jours du Musa Dagh

Traduit de l’anglais

AMIS Martin

Le Dossier Rachel

 

CALDWELL Erskine

Miss Mamma Aimée

Le Quartier de Médora

 

CANIN Ethan

Blue River

L’Empereur de l’air

 

CHASE-RIBOUD Barbara

La Fille du président

La Grande Sultane

Le Nègre de l’Amistad

La Virginienne

 

CRACE Jim

Arcadia

 

FOWLES John

La Créature

Daniel Martin

Le Mage

Mantissa

La Tour d’ébène

 

GORDIMER Nadine

Un caprice de la nature

Ceux de July

Le Conservateur

Fille de Burger

Un monde d’étrangers

Quelque chose, là-bas (Nouvelles)

 

IGNATIEFF Michael

Asya

 

JAMES Henry

Confiance

Le Dernier des Valérii (Nouvelles)

Les Européens

 

KIPLING Rudyard

La lumière qui s’éteint

 

KOESTLER Arthur

Dialogue avec la mort. Un testament espagnol

 

LESSING Doris

Le Carnet d’or

Les Carnets de Jane Somers.

T. 1 – Journal d’une voisine

T. 2 – Si vieillesse pouvait

Les Chats en particulier (Récit)

Le Cinquième Enfant

Dans ma peau. Autobiographie

La Descente aux enfers

Les Enfants de la violence (3 tomes)

T. 1 – Les Enfants de la violence

T. 2 – L’Écho lointain de l’orage

T. 3 – La Cité promise

L’Été avant la nuit

L’Habitude d’aimer

Mémoires d’une survivante

Notre amie Judith

Nouvelles africaines (T. 1)

La Madone noire (Nouvelles africaines T. 2)

Rire d’Afrique

La Terroriste

Le vent emporte nos paroles

 

McGAHERN John

Les Créatures de la terre (Nouvelles)

Le Pornographe

 

MAILER Norman

Les Nus et les Morts

 

MALOUF David

Ce vaste monde

Harland et son domaine

Je me souviens de Babylone

 

MUNRO Alice

Amie de ma jeunesse

Les Lunes de Jupiter

 

NAIPAUL V.S.

À la courbe du fleuve

Crépuscule sur l’Islam

Dis-moi qui tuer

Guérilleros

Mr. Stone

Sacrifices

 

PURDY James

Ce que raconta Jeremy

Les Inconsolés

 

SELBY Hubert Jr.

Last Exit to Brooklyn

 

THOMAS D.M.

L’Hôtel blanc

 

TROLLOPE Anthony

Les Antichambres de Westminster

Les Diamants Eustace

Phinéas Finn

Le Premier ministre

 

URQUHART Jane

La Foudre et le Sable

 

WELCH James

L’Hiver dans le sang

La Mort de Jim Loney

Comme des ombres sur la terre

L’Avocat indien

 

WELLS H.G.

L’Homme invisible

 

WEST Paul

L’Homme au rat

 

WHITE Edmund

Le Héros effarouché

Traduit de l’arménien

ESSAYAN Zabel

Les Jardins de Silihdar

 

MATEVOSSIAN Hrant

Soleil d’automne

Traduit du chinois

SHEN Congwen

Le Passeur de Chadong

Le Petit Soldat du Hunan (Autobiographie)

Traduit de l’espagnol

ASTURIAS Miguel-Angel

Une certaine mulâtresse

La Flaque du mendiant

Hommes de maïs

Le larron qui ne croyait pas au ciel

Monsieur le Président

Le Pape vert

Vendredi des douleurs

Week-end au Guatemala

Les Yeux des enterrés

 

CELA Camilo José

Office des ténèbres

San Camilo 1936

 

FEINMANN José Pablo

L’Armée des cendres

La Ballade d’Ismael Navarro

 

GALEANO Eduardo

La chanson que nous chantons

Jours et nuits d’amour et de guerre

 

ICAZA Jorge

L’Homme de Quito

Traduit de l’hébreu

AGNON Samuel-Joseph

Le Chien Balak

Une histoire toute simple

Vingt et une nouvelles

 

SHALEV Meir

Le Baiser d’Esaü

Que la Terre se souvienne

Traduit du hongrois

DÉRY Tibor

Cher beau-père

La Phrase inachevée

 

KRUDY Gyula

Le Compagnon de voyage

Le Prix des dames

 

MARAI Sandor

Les Braises

Les Confessions d’un bourgeois

La Conversation de Bolzano

Les Révoltés

Traduit de l’italien

BARICCO Alessandro

Châteaux de la colère

 

CERONETTI Guido

Ce n’est pas l’homme qui boit le thé mais le thé qui boit l’homme

Le Lorgnon mélancolique

La Patience du brûlé

Une poignée d’apparence

Le Silence du corps

Un voyage en Italie

 

LEVI Primo

Le Système périodique

 

PRATOLINI Vasco

Chronique des pauvres amants

 

PONTIGGIA Giuseppe

La Comptabilité céleste

Vie des hommes non illustres

Traduit du japonais

KAWABATA Yasunari

L’Adolescent

Les Belles Endormies

Chronique d’Asakusa

La Danseuse d’Izu

Le Grondement de la montagne

Kyoto

Le Lac

Le Maître ou le tournoi de go

Pays de neige

Les Servantes d’auberge

Tristesse et beauté

Traduit du polonais

KUSNIEWICZ Andrzej

Le Chemin de Corinthe

L’État d’apesanteur

La Leçon de langue morte

Le Roi des Deux-Siciles

Vitrail

 

MROZEK Slawomir

L’Éléphant (Nouvelles)

Les Porte-Plume (Nouvelles)

La vie est difficile (Nouvelles)

Une souris dans l’armoire (Nouvelles)

 

RUDNICKI Adolf

Têtes polonaises

Traduit du portugais

CAMPOS DE CARVALHO Walter

La lune vient d’Asie

La Pluie immobile

 

COUTO Mia

Les Baleines de Quissico

Terre somnambule

 

GUIMARAES-ROSA Joao

Diadorim

 

JORGE Lidia

La Forêt dans le fleuve

 

LOBO ANTUNES Antonio

Fado Alexandrino

Traduit du roumain

GOMA Paul

Bonifacia

Le Calidor

 

MANEA Norman

Le Bonheur obligatoire (Nouvelles)

Le Thé de Proust et autres nouvelles

 

PAPILIAN Alexandre

Des mouches sous un verre

Le Fardeau

Traduit du russe

BITOV Andreï

La Maison Pouchkine

Un Russe en Arménie

 

DOMBROVSKI Iouri

La Faculté de l’inutile

 

ERMAKOV Oleg

La Marque de la bête

Récits afghans

 

EROFEEV Victor

La Belle de Moscou

Le Labyrinthe des questions maudites

La Vie avec un idiot (Nouvelles)

Le Jugement dernier

 

LIMONOV Edouard

Autoportrait d’un bandit dans son adolescence

Journal d’un raté

Le Petit Salaud

 

OKOUDJAVA Boulat

L’Amour toujours ou les tribulations de Chipov

Un banquet pour Napoléon

Pauvre Avrossimov

 

RYBAKOV Anatoli

Les Enfants de l’Arbat

La Peur. Les Enfants de l’Arbat (T. 2)

 

SAVITSKI Dimitri

Bons Baisers de nulle part

 

SINIAVSKI André

André-la-poisse

Bonne nuit

La Civilisation soviétique (Essai)

Ivan le simple

 

STRIJAK Oleg

Roman pétersbourgeois en six canaux et rivières

 

TCHEKHOV Anton

Correspondance avec Olga

 

TCHILADZE Otar

Théâtre de fer

Traduit du suédois

RANELID Björn

La Nostalgie du paon

Mon nom sera Stig Dagerman

Traduit du tchèque

HIRSAL Josef

Bohême bohème

 

HRABAL Bohumil

Les Palabreurs

Les Imposteurs et autres nouvelles

 

KOHOUT Pavel

L’Exécutrice

 

MATOUSEK Ivan

Neufs-les-Bains

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