Sagesse

SAGESSE
PAUL VERLAINE
SAGESSE
A MA MERE
P. V.
(Mai 1889)
PRÉFACE DE LA PREMIERE ÉDITION
L'auteur de ce livre n'a pas toujours pensé comme aujourd'hui. Il a longtemps erré dans la corruption contemporaine, y prenant sa part de faute et d'ignorance. Des chagrins très mérités l'ont depuis averti, et Dieu lui a fait la grâce de comprendre l'avertissement. Il s'est prosterné devant l'Autel longtemps méconnu, il adore la Toute-Bonté et invoque la Toute-Puissance, fils soumis de l'Eglise, le dernier en mérites, mais plein de bonne volonté.
Le sentiment de sa faiblesse et le souvenir de ses chutes l'ont guidé dans l'élaboration de cet ouvrage qui est son premier acte de foi public depuis un long silence littéraire : on n'y trouvera rien, il l'espère, de contraire à cette charité que l'auteur, désormais chrétien, doit aux pécheurs dont il a jadis et presque naguère pratiqué les haïssables moeurs.
Deux ou trois pièces toutefois rompent le silence qu'il s'est en conscience imposé à cet égard, mais on observera qu'elles portent sur des actes publics, sur des événements dès lors trop généralement providentiels pour qu'on ne puisse voir dans leur énergie qu'un témoignage nécessaire, qu'une confession sollicitée par l'idée du devoir religieux et d'une espérance française.
L'auteur a publié très jeune, c'est-à-dire il y a une dizaine et une douzaine d'années, des vers sceptiques et tristement légers. Il ose compter qu'en ceux-ci nulle dissonance n'ira choquer la délicatesse d'une oreille catholique
: ce serait sa plus chère gloire comme c'est son espoir le plus fier.
Paris, 30 juillet 1880.
I
Bon chevalier masqué qui chevauche en silence, Le Malheur a percé mon vieux coeur de sa lance.
Le sang de mon vieux coeur n'a fait qu'un jet vermeil, Puis s'est évaporé sur les fleurs, au soleil.
L'ombre éteignit mes yeux, un cri vint à ma bouche Et mon vieux coeur est mort dans un frisson farouche.
Alors le chevalier Malheur s'est rapproché, Il a mis pied à terre et sa main m'a touché.
Son doigt ganté de fer entra dans ma blessure Tandis qu'il attestait sa loi d'une voix dure.
Et voici qu'au contact glacé du doigt de fer Un coeur me renaissait, tout un coeur pur et fier, Et voici que, fervent d'une candeur divine, Tout un coeur jeune et bon battit dans ma poitrine !
Or je restais tremblant, ivre, incrédule un peu, Comme un homme qui voit des visions de Dieu.
Mais le bon chevalier, remonté sur sa bête, En s'éloignant me fit un signe de la tête Et me cria (j'entends encore cette voix) :
« Au moins prudence ! Car c'est bon pour une fois. »
II
J'avais peiné comme Sisyphe
Et comme Hercule travaillé
Contre la chair qui se rebiffe.
J'avais lutté, j'avais baillé
Des coups à trancher des montagnes,
Et comme Achille ferraillé.
Farouche ami qui m'accompagnes,
Tu le sais, courage païen,
Si nous en rimes des campagnes,
Si nous avons négligé rien
Dans cette guerre exténuante,
Si nous avons travaillé bien !
Le tout en vain : l'âpre géante
A mon effort de tout côté
Opposait sa ruse ambiante,
Et toujours un lâche abrité
Dans mes conseils qu'il environne
Livrait les clefs de la cité.
Que ma chance fût male ou bonne,
Toujours un parti de mon coeur
Ouvrait sa porte à la Gorgone.
Toujours l'ennemi suborneur
Savait envelopper d'un piège
Même la victoire et l'honneur !
J'étais le vaincu qu'on assiège,
Prêt à vendre son sang bien cher,
Quand, blanche en vêtement de neige,
Toute belle, au front humble et fier,
Une Dame vint sur la nue,
Qui d'un signe fit fuir la chair.
Dans une tempête inconnue
De rage et de cris inhumains,
Et déchirant sa gorge nue.
Le Monstre reprit ses chemins
Par les bois pleins d'amours affreuses, Et la Dame, joignant les mains :
« Mon pauvre combattant qui creuses,
Dit-elle, ce dilemme en vain,
Trêve aux victoires malheureuses !
« Il t'arrive un secours divin
Dont je suis sûre messagère
Pour ton salut, possible enfin ! »
- « O ma Dame dont la voix chère
Encourage un blessé jaloux
De voir finir l'atroce guerre,
« Vous qui parlez d'un ton si doux
En m'annonçant de bonnes choses,
Ma Dame, qui donc êtes-vous ? »
- « J'étais née avant toutes causes
Et je verrai la fin de tous
Les effets, étoiles et roses.
« En même temps, bonne, sur vous,
Hommes faibles et pauvres femmes,
Je pleure, et je vous trouve fous !
« Je pleure sur vos tristes âmes,
J'ai l'amour d'elles, j'ai la peur
D'elles, et de leurs voeux infâmes !
« O ceci n'est pas le bonheur.
Veillez, quelqu'un l'a dit que j'aime,
Veillez, crainte du suborneur,
« Veillez, crainte du jour suprême !
Qui je suis ? me demandais-tu.
Mon nom courbe les anges même,
« Je suis le coeur de la vertu,
Je suis l'âme de la sagesse,
Mon nom brûle l'Enfer têtu,
« Je suis la douceur qui redresse,
J'aime tous et n'accuse aucun,
Mon nom, seul, se nomme promesse.
« Je suis l'unique hôte opportun,
Je parle au roi le vrai langage
Du matin rose et du soir brun.
« Je suis la PRIERE, et mon gage
C'est ton vice en déroute au loin.
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