O civilisés que civilise

L'Ordre obéi, le Respect sacré !

O dans ce champ si bien préparé

Cette moisson de la Seule Eglise !

XV

La mer est plus belle

Que les cathédrales,

Nourrice fidèle,

Berceuse de râles,

La mer sur qui prie

La Vierge Marie !

Elle a tous les dons

Terribles et doux.

J'entends ses pardons

Gronder ses courroux.

Cette immensité

N'a rien d'entêté.

Oh ! si patiente,

Même quand méchante !

Un souffle ami hante

La vague, et nous chante :

« Vous sans espérance,

Mourez sans souffrance ! »

Et puis sous les cieux

Qui s'y rient plus clairs,

Elle a des airs bleus,

Roses, gris et verts...

Plus belle que tous,

Meilleure que nous !

XVI

La « grande ville ». Un tas criard de pierres blanches Où rage le soleil comme en pays conquis.

Tous les vices ont leur tanière, les exquis Et les hideux, dans ce désert de pierres blanches.

Des odeurs ! Des bruits vains ! Où que vague le coeur, Toujours ce poudroiement vertigineux de sable, Toujours ce remuement de la chose coupable Dans cette solitude où s'écoeure le coeur !

De près, de loin, le Sage aura sa thébaïde Parmi le fade ennui qui monte de ceci,

D'autant plus âpre et plus sanctifiante aussi Que deux parts de son âme y pleurent, dans ce vide !

XVII

Tournez, tournez, bons chevaux de bois, Tournez cent tours, tournez mille tours, Tournez souvent et tournez toujours,

Tournez, tournez au son des hautbois.

L'enfant tout rouge et la mère blanche, Le gars en noir et la fille en rose,

L'une à la chose et l'autre à la pose,

Chacun se paie un sou de dimanche.

Tournez, tournez, chevaux de leur coeur, Tandis qu'autour de tous vos tournois

Clignote l'oeil du filou sournois,

Tournez au son du piston vainqueur !

C'est étonnant comme ça vous soûle

D'aller ainsi dans ce cirque bête :

Bien dans le ventre et mal dans la tête, Du mal en masse et du bien en foule.

Tournez au son de l'accordéon,

Du violon, du trombone fous,

Chevaux plus doux que des moutons, doux Comme un peuple en révolution.

Le vent, fouettant la tente, les verres, Les zincs et le drapeau tricolore,

Et les jupons, et que sais-je encore ?

Fait un fracas de cinq cents tonnerres.

Tournez, dadas, sans qu'il soit besoin

D'user jamais de nuls éperons

Pour commander à vos galops ronds :

Tournez, tournez, sans espoir de foin.

Et dépêchez, chevaux de leur âme :

Déjà voici que sonne à la soupe

La nuit qui tombe et chasse la troupe

De gais buveurs que leur soif affame.

Tournez, tournez ! Le ciel est en velours D'astres en or se vêt lentement.

L'église tinte un glas tristement.

Tournez au son joyeux des tambours !

XVIII

Toutes les amours de la terre

Laissent au coeur du délétère

Et de l'affreusement amer,

Fraternelles et conjugales,

Paternelles et filiales,

Civiques et nationales,

Les charnelles, les idéales,

Toutes ont la guêpe et le ver.

La mort prend ton père et ta mère,

Ton frère trahira son frère,

Ta femme flaire un autre époux,

Ton enfant, on te l'aliène,

Ton peuple, il se pille ou s'enchaîne

Et l'étranger y pond sa haine,

Ta chair s'irrite et tourne obscène,

Ton âme flue en rêves fous.

Mais, dit Jésus, aime, n'importe !

Puis de toute illusion morte

Fais un cortège, forme un choeur,

Va devant, tel aux champs le pâtre,

Tel le coryphée au théâtre,

Tel le vrai prêtre ou l'idolâtre,

Tels les grands-parents près de l'âtre, Oui, que devant aille ton coeur !

Et que toutes ces voix dolentes

S'élèvent rapides ou lentes,

Aigres ou douces, composant

A la gloire de Ma souffrance,

Instrument de ta délivrance,

Condiment de ton espérance

Et mets de ta propre navrance,

L'hymne qui te sied à présent !

XIX

Sainte Thérèse veut que la Pauvreté soit La reine d'ici-bas, et littéralement !

Elle dit peu de mots de ce gouvernement, Et ne s'arrête point aux détails de surcroît ; Mais le Point, à son sens, celui qu'il faut qu'on voie Et croie, est ceci dont elle la complimente : Le libre arbitre pèse, arguë et parlemente, Puis le pauvre-de-coeur décide et suit sa voie.

Qui l'en empêchera ? De voeux il n'en a plus Que celui d'être un jour au nombre des élus, Tout-puissant serviteur, tout-puissant souverain, Prodigue et dédaigneux, sur tous, des choses eues, Mais accumulateur des seules choses sues : De quel si fier sujet, et libre, quelle reine !

XX

Parisien, mon frère à jamais étonné,

Montons sur la colline où le soleil est né Si glorieux qu'il fait comprendre l'idolâtre, Sous cette perspective inconnue au théâtre, D'arbres au vent et de poussière d'ombre et d'or.

Montons. Il fait si frais encor, montons encor.

Là ! nous voilà placés comme dans une « loge De face » ; et le décor vraiment tire un éloge, La cathédrale énorme et le beffroi sans fin, Ces toits de tuile sous ces verdures, le vain Appareil des remparts pompeux et grands quand même, Ces clochers, cette tour, ces autres, sur l'or blême Des nuages à l'ouest réverbérant l'or dur De derrière chez nous, tous ces lourds joyaux sur Ces ouates, n'est-ce pas, l'écrin vaut le voyage, Et c'est ce qu'on peut dire un brin de paysage ?

- Mais descendons, si ce n'est pas trop abuser De vos pieds las, à fin seule de reposer Vos yeux qui n'ont jamais rien vu que de Montmartre,

- « Campagne » vert de plaie et ville blanc de dartre.

(Et les sombres parfums qui grimpent de Pantin !)

- Donc, par ce lent sentier de rosée et de thym, Cheminons par la ville au long de la rivière, Sous les frais peupliers, dans la fine lumière.

L'une des portes ouvre une rue, entrons-y.

Aussi bien, c'est le point qu'il faut, l'endroit choisi : Si blanches, les maisons anciennes, si bien faites, Point hautes, çà et là des branches sur leurs faîtes, Si doux et sinueux le cours de ces maisons, Comme un ruisseau parmi de vagues frondaisons, Profilant la lumière et l'ombre en broderies Au lieu du long ennui de vos haussmanneries, Et si gentil l'accent qui confine au patois De ces passants naïfs avec leurs yeux matois !...

Des places ivres d'air et de cris d'hirondelles, Où l'histoire proteste en formules fidèles A la crête des toits comme au fer des balcons : Des portes ne tournant qu'à regret sur leurs gonds, Jalouses de garder l'honneur et la famille...

Ici tout vit et meurt calme, rien ne fourmille.

Le « Théâtre » fait four, et ce dieu des brouillons, Le « Journal » n'en est plus à compter ses bouillons.

L'amour même prétend conserver ses noblesses Et le vice se gobe en de rares drôlesses.