Pour deux vers
de La Gournerie ?...
Elle eut le même froncement de sourcils qu’au bal, puis
un geste de tête :
– Des bêtises !... n’en parlons plus...
Et les bras autour de lui :
– C’est que j’avais un peu peur, moi aussi...
j’essayais de me sauver, de me reprendre... mais je n’ai
pas pu, je ne pourrai jamais...
– Oh ! jamais.
– Tu verras.
Il se contenta de répondre avec le sourire sceptique de son
âge, sans s’arrêter à l’accent
passionné, presque menaçant, dont lui fut jeté
ce « tu verras... ». Cette étreinte de
femme était si douce, si soumise ; il croyait fermement
n’avoir qu’un geste à faire pour se dégager...
Même, à quoi bon se dégager ?... Il était
si bien dans le dorlotement de cette chambre voluptueuse, si
délicieusement étourdi par cette haleine en caresse sur
ses paupières qui battaient, lourdes de sommeil, pleines de
visions fuyantes, bois rouillés, prés, meules
ruisselantes, toute leur journée d’amour à la
campagne...
Au matin, il fut réveillé en sursaut par la voix de
Machaume criant au pied du lit, sans le moindre mystère :
– Il est là... il veut vous parler...
– Comment ! il veut ?... Je ne suis donc plus
chez moi !... tu l’as donc laissé entrer...
Furieuse, elle bondit, s’échappa de la chambre, à
moitié nue, la batiste ouverte :
– Ne bouge pas, m’ami... je reviens...
Mais il ne l’attendit pas et se sentit tranquille que lorsqu’il
fut levé à son tour, et vêtu, ses pieds solides
dans ses bottes.
Tout en ramassant ses vêtements dans la chambre hermétiquement
close où la veilleuse éclairait encore le désordre
du petit souper, il entendait le bruit d’un débat
terrible, étouffé par les tentures du salon. Une voix
d’homme, irritée d’abord, puis implorante, dont
les éclats s’écrasaient en sanglots, en
larmoyantes faiblesses, alternait avec une autre voix qu’il ne
reconnut pas tout de suite, dure et rauque, chargée de haine
et de mots ignobles arrivant jusqu’à lui comme d’une
dispute de brasserie de filles.
Tout ce luxe amoureux en était souillé, dégradé
d’un éclaboussement de taches sur de la soie ; et
la femme salie aussi, au niveau d’autres qu’il avait
méprisées auparavant.
Elle rentra haletante, tordant d’un beau geste sa chevelure
répandue :
– Est-ce bête un homme qui pleure !...
Puis le voyant debout, habillé, elle eut un cri de rage :
– Tu t’es levé !... recouche-toi... tout
de suite... Je le veux...
Subitement radoucie, et l’enlaçant du geste et de la
voix :
– Non, non... ne pars pas... tu ne peux pas t’en
aller comme ça... D’abord je suis sûre que tu ne
reviendrais plus.
– Mais si... Pourquoi donc ?...
– Jure que tu n’es pas fâché, que tu
viendras encore... oh ! c’est que je te connais.
Il jura ce qu’elle voulut, mais ne se recoucha pas malgré
ses supplications et l’assurance réitérée
qu’elle était chez elle, libre de sa vie, de ses actes.
À la fin elle sembla se résigner à le voir
partir, et l’accompagna jusqu’à la porte, n’ayant
plus rien de la faunesse en délire, bien humble au contraire,
cherchant à se faire pardonner.
Une longue et profonde caresse d’adieu les retint dans
l’antichambre.
« Alors... quand ?... » lui
demandait-elle, les yeux tout au fond des yeux. Il allait répondre,
mentir sans doute, dans sa hâte d’être dehors,
quand un coup de sonnette l’arrêta. Machaume sortit de sa
cuisine, mais Fanny lui fit signe : « Non... n’ouvre
pas... » Et ils restaient là, tous les trois,
immobiles, sans parler.
On entendit une plainte étouffée, puis le froissement
d’une lettre glissée sous la porte, et des pas qui
descendaient lentement.
– Quand je te disais que j’étais libre...
tiens !...
Elle passa à son amant la lettre qu’elle venait
d’ouvrir, une pauvre lettre d’amour, bien basse, bien
lâche, crayonnée en hâte sur une table de café
et dans laquelle le malheureux demandait grâce pour sa folie du
matin, reconnaissait n’avoir aucun droit sur elle que celui
qu’elle voudrait bien lui laisser, priait à deux mains
jointes qu’on ne l’exilât pas sans retour,
promettant d’accepter tout, résigné à
tout... mais ne pas la perdre, mon Dieu ! ne pas la perdre...
« Crois-tu !... » dit-elle avec un mauvais
rire ; et ce rire acheva de lui barrer le cœur qu’elle
voulait conquérir. Jean la trouva cruelle. Il ne savait pas
encore que la femme qui aime n’a d’entrailles que pour
son amour, toutes ses forces vives de charité, de bonté,
de pitié, de dévouement absorbées au profit d’un
être, d’un seul.
« Tu as bien tort de te moquer... cette lettre est
horriblement belle et navrante... » et tout bas, d’une
voix grave, en lui tenant les mains :
– Voyons... pourquoi le chasses-tu ?...
– Je n’en veux plus... Je ne l’aime pas.
– Pourtant c’était ton amant... Il t’a
fait ce luxe où tu vis, où tu as toujours vécu,
qui t’est nécessaire.
– M’ami, dit-elle avec son accent de franchise,
quand je ne te connaissais pas, je trouvais tout cela très
bien... Maintenant c’est une fatigue, une honte ; j’en
avais le cœur qui me levait...
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