Entre un homme jeune et une femme jeune, la condition essentielle du bonheur est dans l’accord…

— Dans l’accord physique.

— Oui, déclara-t-elle fortement. Tout découle de là, et tout s’arrange ensuite. Je suis sûre de l’avenir.

Il réfléchit, puis prononça :

— Depuis longtemps j’avais prévu cette heure. Tenez, voici l’écrin dans lequel je vous ai donné autrefois votre anneau de mariage. Vous l’y remettrez, et tout sera fini.

Il prit cet écrin au fond d’un tiroir et le lui tendit. Elle le saisit, le tourna pensivement entre ses doigts, puis d’un geste machinal, l’ouvrit.

— Vous vous trompez, dit-elle, étonnée, il y a dedans un autre anneau.

Il ne répondit pas. Elle examina le cercle d’or. Son nom était gravé à l’intérieur, ainsi que la date de son mariage avec Georges Helmans.

Elle regarda son mari, longtemps, avec une angoisse sourde, puis mit le cercle d’or à son doigt, l’examina, retrouva certains détails, certaines hachures produites par l’usage.

Elle chancelait sous le poids d’une pensée affreuse, et elle balbutia :

— C’est le mien, n’est-ce pas ?

— Oui.

— Où l’avez-vous eu ?

— À votre doigt, l’autre nuit.

— Ah, fit-elle, toute tremblante et sans même essayer de se soustraire à une vérité qui s’imposait à elle par tant de preuves.

Elle se mit à pleurer, assise, et les mains plaquées contre sa figure. Georges Helmans, après avoir attendu quelques secondes, chuchota, à phrases lentes et affectueuses :

— Vous êtes déçue, n’est-ce pas ? Oui, vous aviez fait un rêve que la réalité détruit… Excusez-moi… et comprenez… Je n’ai jamais cessé de vous aimer, et, depuis dix ans, mon seul but est de réparer ma première faute. Je suis arrivé à dominer mes sens, à ne plus être la brute que j’étais… et je pensais à vous continuellement, vous aimant de plus en plus… Alors j’ai arrangé ces choses… qui vous paraissent aujourd’hui intolérables, mais qui cependant… nous ont rapprochés…

Elle se dressa toute rouge et s’écria :

— Taisez-vous… je vous défends…

— Vous avez raison, dit-il, en reculant. Tout en moi vous exaspère. Je vous laisse, Natalie… Vous prendrez votre décision dans le calme.

— Je ne vous reverrai pas, je ne veux pas vous revoir.

— Que votre volonté soit faite. Quoiqu’il arrive, j’ai eu ma part de bonheur.

Il sortit. Jamais elle ne l’avait haï à ce point. Fiévreuse, saccadée, elle prit son chapeau et sa mante. Elle avait hâte de fuir. Mais, au moment d’ouvrir la porte, elle tomba assise. Tout son élan de révolte et de résistance se dissipait. Elle sentait qu’elle ne pourrait plus jamais s’échapper. Il la tenait par ses douces caresses, si habiles et si pénétrantes. Et déjà elle écoutait éperdument s’il n’allait pas revenir et lui donner de nouveau cette fête de volupté dont elle n’admettait plus que sa vie fût privée.

 

L’Infidèle

Tanger, 1893

 

 

Ils sortaient du café arabe où, tous les soirs, parmi la fumée du chanvre et les hurlements des nègres, les interprètes de Tanger empilent les voyageurs. Dehors les deux messieurs dont Jacques et sa femme avaient fait connaissance à l’hôtel, les saluèrent et disparurent.

Germaine demanda au guide :

— Où vont-ils, à cette heure ?

Hadji répondit mystérieusement :

— Dans une maison… monsieur et madame, si ça vous plaît, moi, je vous conduirai voir une fille qui danse très bien, très bien.

Germaine supplia :

— Oh ! Jacques, ça m’amuserait tant, veux-tu ?

Il résista. Jadis, en Algérie, il avait assisté à ce spectacle peu ragoûtant, et cela le choquait d’y mener sa femme, après deux mois de mariage.

Elle se suspendit à son bras :

— Je t’en prie, je t’en prie, personne ne le saura… je serais si heureuse !

Il dut céder. Hadji alluma sa lanterne. Et interminablement ils enfilèrent des rues étroites et noires où des formes blanches, à leur rencontre, s’aplatissaient contre les murs. À la fin le guide s’arrêta devant une porte basse et la frappa de sa canne. Des pas s’approchèrent. Il y eut des pourparlers. La porte s’ouvrit. Et une vieille femme s’effaça, démasquant un escalier que montèrent les deux jeunes gens.

On les introduisit dans une chambre à coucher meublée à la bourgeoise, d’un lit, d’une armoire et de tables en acajou.